Johann Schneider-Ammann, le Jérôme Cahuzac suisse ?
Même les paradis fiscaux ne sont pas à l'abri d'une évasion de capitaux. Johann Schneider-Ammann, ministre suisse de l’économie est rattrapé par son passé d’entrepreneur. Alors PDG de son groupe, il a créé des sociétés factices à Jersey et au Luxembourg. Mais la procédure pourrait être parfaitement légale.
La Suisse aurait-elle droit à son Jérôme Cahuzac ? Johann Schneider-Ammann, ministre suisse de l’économie depuis septembre 2010 s’est trouvé au cœur de la tourmente ces deux dernières semaines. Il est suspecté d’avoir procédé à des pratiques fiscales illégales en créant des sociétés « boîtes aux lettres » dans des places offshore, alors qu’il était encore à la tête du Groupe Ammann. Une entreprise de machines de construction présente dans 80 pays, dont la France.
Le 28 janvier, pendant que toute l’attention du pays était tournée vers les votations du 9 février, l’émission de télévision Rundschau a révélé l’existence d’une enquête du fisc bernois concernant de possibles montages financiers illégaux. Au centre du viseur, Jerfin Limited, une filiale du Groupe Ammann, basée sur l’île anglo-normande de Jersey. Créée en 1996 avec un capital de départ de 150 millions de francs suisses (122 millions d’euros), la société a servi au groupe à optimiser fiscalement ses réserves afin de pallier la rude concurrence internationale en allégeant son imposition. A la fin de 2008, le capital de Jerfin atteignait 263 millions de francs (215 millions d’euros).
Des optimisations dispensables
De l’aveu de Johann Schneider-Ammann dans les colonnes du Temps, ces placements, s’ils n’étaient « pas nécessaires à la survie du groupe », lui permettaient « une marge de sécurité au moment de prendre des décisions stratégiques. » La Suisse fait la distinction entre évasion fiscale et optimisation fiscale. L’évasion correspond aux capitaux déplacés à l’étranger, non déclarés. Elle est illégale, contrairement à l’optimisation, sensiblement la même pratique mais nécessitant une déclaration au fisc de son canton.
En 2009, les fonds de Jerfin Limited ont été rapatriés à Afinsa, une entreprise Suisse qui n’est autre qu’une boîte postale, bénéficiant, à nouveau, d’un allégement fiscal. Jerfin a été liquidée en novembre 2010, juste avant que Johann Schneider-Ammann n’accède au gouvernement, en charge du département de l’économie.
Rien à déclarer !
L’affaire prend de l’ampleur lorsque le 5 février, le quotidien Tages Anzeiger révèle que le Groupe Amman possédait entre 1992 et 2007, une autre structure offshore mais cette fois-ci au Luxembourg. La société Manilux SA, une holding disposant de fonds propres à hauteur de 230 millions de francs (188 millions d’euros), servait de banque au groupe. Son président n’était autre que Johann Schneider-Ammann lui-même. Un mandat qu’a omis de déclarer le ministre lorsqu’il était député au Conseil national, contrevenant à la loi sur le parlement.
A Manilux SA, ni employé ni bureau ; juste une adresse, le numéro 23 de l’avenue de Monterrey à Luxembourg. C’est là que sont situés les Services généraux de gestion (SGG) « qui ont conclu, avec Manilux, en janvier 2001, une convention de services et de domiciliation, en échange de quelques dizaines de milliers de francs par an », a indiqué Le Courrier . En 2007, la société est dissoute et les fonds transférés à Jerfin Limited qui poursuivra son office jusqu’en 2010.
Une image politique entachée
Muré dans le silence suite à ces révélations, le ministre de l’économie n’a répondu qu’à travers des communiqués refusant la parole publique. Si son parti, le PLR (Parti libéral radical) a immédiatement pris sa défense, invoquant des structures légales et des réserves conformes aux lois fiscales, l’image du ministre risque d’être durablement ternie. De nombreux députés et parlementaires de gauche ont mis en doute sa capacité d’assurer la fonction gouvernementale et le groupe des Jeunes socialistes a exigé sa démission immédiate.
« Un conseiller fédéral ne peut pratiquer de telles astuces fiscales et priver les collectivités publiques de recettes importantes », a réagi la députée socialiste Margret Kiener Nellen dans les colonnes de la Tribune de Genève, avant d’exhorter le ministre à révéler combien de millions ont échappé à l’impôt grâce à ces montages.
L’intéressé a rétorqué que ces réserves, bien que dispensables, ont permis de maintenir l’entreprise à flot et de préserver des emplois suisses tout en réinvestissant dans l’économie nationale. Il estime que ces attaques visent avant tout à « affaiblir la place économique suisse ». Il prend pour preuve de ce « climat anti-libéral », la future initiative visant à doter les Suisses d’un salaire minimum ou celle, déboutée, qui demandait à limiter le revenu des patrons à douze fois celui du premier employé. Des idées contre lesquelles il souhaite continuer « à se battre de toutes ses forces », pour maintenir « une économie libérale, forte et concurrentielle. »
Enquête d’éthique
Le 6 février, le fisc cantonal bernois a clôturé son enquête, estimant que les pratiques fiscales du Groupe Ammann étaient légales. Si le ministre peut souffler, l’affaire semble loin d’être entièrement démêlée. La Direction des finances du canton de Berne a demandé un deuxième avis indépendant à une instance nationale, l’Administration fédérale des contributions (AFC) chargée d’enquêter sur ces structures offshore. La première étape sera d’éclaircir pourquoi la holding Manilux SA ne faisait pas partie de la liste des activités d’entrepreneur que Johann Schneider-Ammann avait dû déclarer en respect de la loi sur le parlement, et s’il s’agit d’une omission ou d’une décision.
L’affaire étonne d’autant plus que Johann Schneider-Ammann, s’était fait, à travers de nombreux articles et prises de parole, le pourfendeur des milieux bancaires en mal d’éthique, dénonçant au passage les paradis fiscaux étrangers. Ce qui lui avait valu le sobriquet de « Monsieur propre de la Suisse ».
Matteo Maillard (Monde Académie)
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