2013, l'année où le cinéma est parti « en live »
Le Monde | 30.12.2013 à 17h52 • Mis à jour le 31.12.2013 à 09h53 | Aureliano Tonet
Depuis quelques saisons, une charmante expression agrémente les conversations juvéniles : « partir en live ». Si nos sources sont fiables, elle désigne le comportement soudainement outrancier d’un individu, une forme d’état second, entre ivresse et hystérie. Exemple : « Régis l’a provoqué, alors Kevin est parti en live. »
Lire aussi les choix des six critiques cinéma du « Monde » : Ce que nous avons aimé sur grand écran en 2013 (1/2) et Ce que nous avons aimé sur grand écran en 2013 (2/2)
A des degrés divers, les meilleurs films de 2013 ont su s’inscrire dans cette économie. Prenez Inside Llewyn Davis, qui s’ouvre et se clôt sur une scène de concert, en prise directe, sans play-back : c’est parce qu’elle vibre d’un trouble sincère que la déveine du héros résonne si bien avec notre époque. Même immédiateté dans A Touch of Sin, dont les brusques saillies de violence expriment, avec une rare acuité, les métamorphoses de la Chine contemporaine.
Filmer au présent, mais en cinéaste, la mort (Fifi hurle de joie), la maladie (Amore Carne), les traces du colonialisme (Tip Top), le vide (Spring Breakers), le déséquilibre (Frances Ha) ou le tiraillement amoureux (Tirez la langue, mademoiselle) : voilà ce qui a mu les réalisateurs, et ému leurs spectateurs. Le numérique a ouvert des horizons, dans lesquels se sont plongés les auteurs les plus téméraires, de l’immersion spatiale en relief de Gravity aux réflexions virtuoses de Passion sur la surveillance généralisée.
Mais le panoptique qu’est Internet, en grossissant de vaines polémiques, a aussi altéré le regard porté sur deux œuvres majeures, La Vie d’Adèle et L’Inconnu du lac. Ces emportements passagers furent d’autant plus dommageables que les deux films font du temps leur objet premier : temporalités étirées, dilatées, suspendues aux saccades de la passion amoureuse, de l’élan à la chute.
A leur manière, ils attestent le paradoxe du cinéma français, dont l’hyper-vitalité s’accompagne d’une fébrilité patente, comme l’ont illustré les passes d’armes sur le salaire des acteurs, la convention collective, l’exception culturelle ou l’éducation à l’image. La remise, le 8 janvier, du rapport Bonnell, qui fourmille de propositions iconoclastes sur la chronologie des médias, augure déjà, pour 2014, de nouvelles et trépidantes partances en live.
Les choix d'Aureliano Tonet :
1. La Bataille de Solférino, de Justine Triet
2. Inside Llewyn Davis, d'Ethan et Joel Coen
3. Tirez la langue, mademoiselle, d'Axelle Ropert
4. L'Inconnu du lac, d'Alain Guiraudie
5. Passion, de Brian de Palma