A Bangalore, pas de permission de minuit
Dans la troisième plus grosse agglomération d'Inde, les soirées finissent toujours trop tôt. La réglementation interdit les activités nocturnes après 23h. Sauf pour le réveillon du Nouvel an, où l'on peut festoyer jusqu'à 1h30 du matin, seulement.
Un vendredi soir, vers 22h30, à Bangalore, dans un bar situé en terrasse dans l’un des quartiers chic de cette métropole du sud de l'Inde, un groupe de touristes venus de New-York se brouille avec un serveur qui refuse de prendre leur commande. "On ne sert plus les clients à cette heure-ci", explique-t-il pour une énième fois, d'un air gêné face aux lamentations des clients. "Ils ne savent pas faire la fête comme nous", soupire l’un des clients américains, exaspéré.
Le serveur s’éclipse en cuisine et ignore les railleries des touristes : la scène se répète pour lui presque chaque soir. A Bangalore, aux alentours de 23 heures, restaurants, bars, pubs, discothèques se voient contraints de cesser leurs activités, en semaine comme le weekend, par une réglementation que l’on pourrait qualifier de couvre-feu et qui s’applique à l’intégralité de l’Etat du Karnataka depuis près de dix ans.
Bien que des restrictions du monde de la nuit s’appliquent dans tout le pays, Bangalore se distingue des autres métropoles par la rigueur de cette restriction, que les autorités justifient par la nécessité de contrôler le taux de criminalité et le niveau sonore. De 2008 jusqu’à 2011, il était même interdit d’avoir une piste de danse et de servir de l’alcool dans le même établissement !
Himesh, patron d’un bar huppé de la ville, affirme que de telles restrictions n'ont pas de sens et nuisent aux affaires : "Les clients ne sont pas satisfaits, c’est à peine s'ils ont le temps de profiter de la soirée. Dernièrement, plusieurs bars ont fermés à cause de la pression des forces de l’ordre et de l'absence de profit. Entre compétition et horaires restrictifs, il est devenu difficile de tenir un établissement nocturne. Si seulement le gouvernement levait la restriction, les clients seraient heureux, et l’Etat pourrait même en bénéficier, compte-tenu de la lourde taxe mise en place sur la vente de boissons alcoolisées." Le nouveau gouvernement du Parti du Congrès, issu des élections de mai 2013, n’a pas donné suite à la mesure d’extension des activités nocturnes votée par le gouvernement sortant du parti rival, le BJP.
La "culture pubs", pour laquelle Bangalore demeure malgré tout réputée, profite surtout à un public mondain et aisé. Cette population s’est accommodée des concepts "happy hours" et "afterwork" si populaire de l’autre côté du globe et peut se permettre de multiples sorties en semaine.
Une grande partie de la population active de la Sillicon Valley indienne est employée dans les call centers et dans le secteur des technologies de l'information dont les horaires ne font pas bon ménage avec le caractère couche-tôt de la ville. Ces jeunes travailleurs préconisent aussi une activité nocturne prolongée et une meilleure desserte des transports publics. Au final, le débat sur la vie nocturne est symbolique d'une société divisée entre modernité et tradition.
Le calme des nuits de Bangalore ne déplaît toutefois pas à tout le monde. Pour K, une Indo-Néozélandaise trentenaire originaire de Goa, capitale fêtarde du sous-continent, "contrairement à d’autres villes qui ne dorment pas, Bangalore offre l’opportunité de faire la fête avec modération, notamment pour la population active : à mon âge, on a passé l’âge d’aller au travail avec une gueule de bois".
A ce jour, il n'existe qu'une seule exception dans l'année, le soir du réveillon du Nouvel an, où les établissements sont autorisés à rester ouverts jusqu'à 1h30.
Ndeye Diobaye (Monde Académie)
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