Pauvres riches, par François Bégaudeau
Le Monde | 01.11.2013 à 12h01 • Mis à jour le 01.11.2013 à 15h32 | François Bégaudeau
La France des années 2010 est ce pays pittoresque où c'est Marine Le Pen qui se clame révolutionnaire et les patrons qui s'insurgent. Hier, les "pigeons", ces entrepreneurs spoliés par le pouvoir bolchevik ; aujourd'hui les patrons de Ligue 1, saignés par la taxe à 75 % sur les hauts revenus. Bon, il ne faut pas trop en demander à des gens habitués à maudire la France archaïque paralysée par les syndicats corporatistes : ils ne nomment pas grève mais "journée blanche" l'annulation des matchs du week-end du 20 novembre. Quand même : belle leçon de rébellion.
Lire sur le sujet : Taxe à 75 % : Hollande reste ferme, les dirigeants du foot maintiennent la grève
Les 80 % de sondés ayant exprimé une opinion négative sur cette initiative seraient donc avisés d'en changer. S'ils pensent que c'est une protestation de riches, ils doivent se souvenir qu'en temps de crise nous sommes tous dans la même galère, chacun doit faire des sacrifices pour sauver le pays. Pas plus tard que la semaine dernière, les patrons de Peugeot ont sacrifié l'usine d'Aulnay. Jean-Pierre Louvel, président du syndicat des clubs, tient à le préciser : "Ce n'est pas un combat de riches pour les riches, mais un combat de gens au bord de l'agonie." Cette mesure fiscale est d'autant plus injuste qu'elle va frapper des clubs déjà déficitaires. A cause de quoi ? A cause des taxes. En somme, l'Etat taxe des surtaxés. Et Michel Seydoux de citer Platon citant lui-même Kierkegaard : "Trop d'impôt tue l'impôt."
Evidemment, la plèbe alléguera que les clubs français sont déficitaires parce qu'ils sont gérés par des incompétents, et on aura peine à la contredire. Mais il y a une chose que la plèbe doit réaliser, à supposer qu'elle soit encore capable de commisération. Dans leur famille, à HEC, au club Entreprendre et piétiner, réuni chaque mois au Lutetia, ceux que le destin voue à devenir patrons sont éduqués dans les valeurs de la gagne. Le marché est un stade où triomphent les meilleurs, voilà ce qu'on leur inculque. Dès lors, comprenez que ça leur soit si difficile de perdre, a fortiori quand ils prennent à la lettre la métaphore en investissant dans le sport. Comprenez l'humiliation de se retrouver supplantés, ici comme en tous domaines, par des Allemands sans doute beaucoup moins taxés, oh oui beaucoup moins, mais surtout meilleurs gestionnaires et meilleurs connaisseurs du foot. Quel camouflet pour ces winners de naissance.
Alors ils font ce qu'enfant on faisait lorsqu'une défaite à la belote se profilait : ils reportent la faute. C'est la faute à la forme des cartes. C'est la faute à pépé qui ronfle à côté. C'est la faute aux couettes de ma soeur. C'est la faute à l'Etat. C'est la faute aux impôts. Ces jours-là, on finissait par pleurer un bon coup, et après ça allait mieux. Le 30 novembre, les patrons de Ligue 1 pleureront un bon coup à cause que jamais les clubs d'Europe ils les laissent gagner, et après ça ira mieux.
Dans le cahier "Sport & Forme" du "Monde" cette semaine
"Prophète en ses pays." Reconnu depuis longtemps aux Etats-Unis où il vient d'attaquer sa 13e saison en NBA, Tony Parker aura dû attendre le sacre européen des Bleus en septembre pour susciter la même passion en France. Lire aussi :Le business dans la peau de Tony Parker.
"Tanguy de Lamotte et François Damiens sont sur un bateau." Le marin et l'acteur disputent la Transat Jacques-Vabre qui commence dimanche.
"A bout de bras." Centimètre par centimètre, Vanessa François, paraplégique depuis 2010, a grimpé à la seule force de ses bras la voie Zodiac d'El Capitan dans le parc de Yosemite.