Rythmes scolaires : Ce début d'année a été épuisant
Le Monde | 19.10.2013 à 15h02 • Mis à jour le 19.10.2013 à 16h19 | Par François Béguin
"On avait bien dit ce qui allait se passer, mais les gens croyaient que c'était parce qu'on ne voulait pas bosser le mercredi matin..." A l'heure du déjeuner, dans la petite salle de repos de l'école de la rue Ramponeau (150 élèves, 7 classes), dans le 20e arrondissement de la capitale, Claire, 27 ans, professeure des écoles chargée des CE1 et des CE2, commente avec ses collègues les effets des nouveaux rythmes scolaires. Comme les 661 autres écoles parisiennes, cet établissement du quartier populaire de Belleville, classé en zone d'éducation prioritaire (ZEP), applique depuis plus de six semaines la réforme menée par le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon. Ici, au mois de février, enseignants, direction et parents d'élèves étaient tous vent debout contre ce projet.
Lire notre reportage du 12 février : "Rythmes scolaires : les raisons du refus d'une école parisienne"
Parmi les enseignants, qui sortent tout juste d'une grosse semaine où ils ont dû plancher sur les nouveaux programmes, personne n'envisage de se rendre à ce rassemblement.
"JUSQU'AU MERCREDI ÇA VA"
Si certains concèdent quelques aspects positifs à cette réforme (terminer à 15 heures deux jours par semaine, quelques bons ateliers), on déplore surtout la fatigue qu'elle génère, tant chez les enfants que chez les adultes encadrant. "La pause du mercredi manque, explique Florence, la professeur d'arts plastiques. Les enfants sont à fleur de peau et nous aussi.""Jusqu'au mercredi, ça va, estime Valérie Chilma, la directrice de l'école. Le jeudi, c'est le pire. Les enfants sont plus énervés qu'habituellement.""C'est très dur d'avoir de la concentration le jeudi, l'après-midi est en général explosif", abonde Claire.
"Ce début d'année a été épuisant, soupire la directrice. Les enfants ne s'y retrouvent pas, ils ne savent jamais quel jour où on est...""Les journées des enfants sont saucissonnées, alors qu'ils ont besoin de continuité", souligne Catherine Veillerot, psychologue dans six écoles, dont celle de la rue Ramponeau. "S'il n'y avait pas un rythme de collège à l'école primaire, c'est qu'il y avait une raison." Pour la directrice, la plus grosse mission liée à ces nouveaux rythmes a été de "faire des listes fines de qui peut sortir et de qui ne peut pas. Parfois les parents eux-mêmes ne savent pas. Ou alors changent d'avis..." Point positif, à la différence d'autres écoles, les ateliers ne se tiennent pas dans les salles de classe, mais dans le préau, la salle de sports, la bibliothèque ou la cantine. "On a eu de la chance, cela pose moins de problème de matériel."
Les ateliers ont été mis en place par la Ville de Paris les mardis et vendredis après-midi de 15 heures à 16 h 30. Avec les temps de récréation et de rangement, de 15 h 20 à 16 h 15 en réalité. Au programme de ces activités, organisées par séquence de sept semaines : astronomie, chorale, double dutch [corde à sauter], aïkido, slam poésie, découverte musique du monde, danse, roller...
"C'est du zapping, une usine à gaz, déplore Juliette Warlop, cinéaste et mère d'une petite fille scolarisée en CM2. Les ateliers commencent à peine à s'installer que c'est déjà terminé..." Plus de six semaines après la rentrée, elle reconnaît "encore s'emmêler les pinceaux" dans l'emploi du temps de sa fille et regrette le mercredi matin non travaillé. "Cette pause du milieu de semaine était un peu sacrée, elle faisait beaucoup de bien..." "Mon fils n'a pas deux jours de suite les mêmes horaires", déplore Jérôme Dayre, élu FCPE et ingénieur réseau. "Toutes les choses qui fonctionnaient le mercredi matin ont été mises par terre", ajoute Juliette Robain. En lieu et place de cette réforme, cette représentante des parents d'élèves aurait par exemple préféré davantage de places ouvertes dans les conservatoires de musique.
LES ANIMATEURS CRITIQUÉS
Membre fraîchement réélue de la FCPE, Juliette Warlop a hésité à réadhérer à cette fédération de parents d'élèves en raison de son soutien "aveugle" à la réforme. Un soutien qu'elle qualifie de "gros dérapage". Si avec d'autres parents elle a finalement décidé de se rengager, c'est "sans enthousiasme" et au nom d'autres "valeurs", notamment "une certaine idée de l'école de la République" défendue par la fédération. En février, les élus FCPE de l'établissement disaient être favorables à cette semaine de quatre jours et demi mais avec le samedi matin travaillé.
Autre motif d'insatisfaction : les animateurs. "Ils n'ont pas la même exigence que nous par rapport au silence, notamment dans les escaliers. C'est très perturbant pour les élèves", dit Valérie Chilma, qui regrette ce changement des référents adultes tout au long de la journée. "Ils ont été recrutés au dernier moment et ne savent pas s'occuper de groupes de petits, complète Florence. C'est la jungle, ils se font bouffer. Il faudrait des gens mieux formés, avec des plus petits groupes." Sur la nature des activités proposées, le sentiment est plus mitigé. "Il y a de bons ateliers", "c'est pas mal...", reconnaissent certains enseignants.
Lire : "A Paris, Delanoë prêt à 'améliorer' les rythmes scolaires"
"Cela fonctionne parce qu'on explose nos heures de travail, estime la responsable éducative de la Ville, qui ne souhaite pas donner son nom. On a eu un temps de préparation limité, mais on est en train de démontrer que les animateurs sont des professionnels." Fatou Aidara, mère d'un petit garçon scolarisé en CE2 et élue FCPE, soutient elle aussi cette réforme, à qui "il faut laisser une chance". Pour elle, "ces activités ne représentent pas une surcharge de travail pour les enfants et leur permettent de découvrir autre chose". "Mon fils est content d'avoir fait de l'astronomie, dit-elle. Sans cet atelier, il n'en aurait jamais fait." Elle se demande si "uniformiser" les activités dans toutes les écoles de la capitale ne permettrait pas une meilleure formation des animateurs...
"Cela va peut-être pouvoir rouler, mais ça ne règle pas le fond, résume Valérie Chilma. Quel bénéfice pour l'élève ? On ne voit pas ce qui va améliorer leurs résultats..." Pour elle, "tout l'argent investi dans cette réforme aurait pu servir à plein d'autres choses".