Ugo Legrand, le champion de judo pressé... de raccrocher
Le judoka, médaillé olympique à Londres, vise le titre mondial à Rio de Janeiro mercredi 28 août. Un titre attendu depuis longtemps par ce grand espoir du judo qui rêve d’entamer les « mille vies » loin du judo qu’il attend de pied ferme.
On a beau tourner autour du pot, formuler la question de différentes manières, revenir à la charge… Ugo Legrand ne voit pas le problème. « Le fait que Pierre Duprat soit sélectionné pour les championnats du monde ? Non, vraiment, je trouve ça génial pour lui. Il mérite vraiment d’aller à Rio car il a cartonné tout le début de saison », analyse le médaillé olympiques de Londres en -73 kg, confortablement installé dans le fauteuil d’un café, place de la Nation, en cette fin du mois de juin. Et si d’autres trouvent dans ces propos une pointe de fausse modestie, il les laisse pérorer. Car la sélection d’un concurrent français dans sa catégorie est bien le cadet de ses soucis.
A dire vrai, Ugo Legrand n’a pas de soucis. Fidèle à son image de beau gosse flegmatique, il enchaîne avec ce même air posé, ce petit sourire en coin à la fin de chaque réponse qui trahit parfois d’inavouables pensées, genre : « Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? » Alors on le pousse dans ses derniers retranchements, histoire de jauger son degré de motivation. Et voilà qu’arrive enfin la réponse attendue : « Moi, le seul truc qui m’importe, c’est d’être champion du monde. Tomber contre Paul ou Jacques, ça m’est égal. De toute façon, il faut tous les battre. Et si d’aventure je retrouvais Pierre Duprat sur mon chemin, il cesserait, le temps du combat, d’être mon ami. Ce serait un adversaire comme les autres, point. » Nous voilà rassurés.
>> Lire le portrait complet d'Ugo Legrand réalisé avant les JO
Disons le d’emblée, Ugo Legrand a fait un début de saison catastrophique. En février, six mois après avoir bronzé aux JO, le judoka a fait un retour pour le moins inattendu sur les tatamis lors du Tournoi de Paris. Dès le premier tour, un Israélien inconnu au bataillon le renvoyait prématurément au vestiaire. « Ça a été horrible, une grosse claque. J’avais les boules par rapport au public qui était venu me voir, se souvient l’Orléanais. En fait, je crois que c’était une erreur de nous faire participer à ce tournoi car à part Teddy Riner et Automne Pavia, aucun des médaillés olympiques n’a brillé. Moi je n’avais aucune préparation, rien. Je suis arrivé là en me disant que je pourrais gagner sur la confiance comme l’avait fait Benjamin Darbelet (son ancien rival) en 2009 juste après les JO de Pékin où il avait fait 2e. Mais bon, ça n’a pas marché », s’incline le blondinet de 24 ans qui a eu bien du mal à se remettre dans le jus. Son compatriote Pierre Duprat, transfuge des -66 kg, en a donc profité pour s’engouffrer dans la brèche en remportant le prestigieux Tournoi de Düsseldorf en février et une médaille de bronze européenne fin avril à Budapest.
« Après de Tournoi de Paris, je me suis rendu compte que je n’avais plus de sensations, plus d’envie. Il fallait reprendre du plaisir », confie Ugo Legrand, qui a même pensé à raccrocher le kimono. Une idée bien vite écartée par le champion olympique des lourds Teddy Riner qui se voyait mal porter à lui seul toute l’équipe de France masculine. « Ugo, il sera champion du monde ou champion olympique », lâchait le Guadeloupéen avant les JO de Londres. Alors pas question de laisser son camarade avorter une carrière si prometteuse sur un coup de tête. Il y eut, paraît-il, une sacrée explication. « Ugo et moi sommes très proches, confirme Teddy Riner. Je lui ai juste dit qu’il ne fallait rien lâcher. C’est vrai qu’il évolue dans une catégorie où il y a plus de prétendants que dans la mienne, mais il doit continuer à travailler et ses efforts récompenseront son talent. Quand on traverse une période de doutes, c’est difficile d’aller vers les autres, on a tous tendance à se renfermer, à vouloir tout envoyer paître et là, c’est important d’avoir un pote qui vient enlever le capuchon que vous avez sur la tête, vous parler, vous écouter, vous conseiller ou vous faire rire. » « Arrêter ? Je n’y ai jamais cru, affirme Rodolphe Legrand, le père d’Ugo. Après Paris, il a pris un coup à son orgueil. Il sortait de son petit nuage post JO. De notre côté, on l’a laissé dire… mais on savait qu’il retrouverait bien vite le chemin des tatamis. » Et effectivement, petit à petit, Ugo Legrand a repris goût. En mars, il s’envolait pour la Mongolie, une de ses terres de prédilection, pour se frotter au gratin local avec ses acolytes d’Orléans Adrien Bourguignon, Antoine Janin et leur entraîneur Daniel Fernandes. Puis ensuite, en juin, direction le grand Prix de Miami où il a décroché une médaille de bronze qui fait du bien au mental. « Là-bas, j’ai pu enfin m’exprimer, se réjouit le judoka. J’ai placé de beaux mouvements en cercle et j’ai bien travaillé au sol. »
Aux championnats du monde à Rio (du 24 août au 1er septembre), beaucoup le voient déjà sur la plus haute marche du podium. Une perspective étonnante au regard des résultats contrastés de sa saison, mais qui s’explique bel et bien grâce aux arguments qui suivent. Depuis son titre mondial junior en 2008 à Bangkok (Thaïlande), le judoka est annoncé comme un grand espoir du judo. Ses médailles de bronze aux Mondiaux de Paris en 2011 et aux JO en 2012 attestent d’ailleurs de sa progression. Techniquement, ce judoka est une merveille avec ses uchi-mata aériens et ses belles techniques de hanche. Capable d’attaquer aussi bien à gauche qu’à droite, il a une capacité d’accélération phénoménale qui empêche ses adversaires de lire parfaitement son judo. Enfin, Ugo Legrand est un pur combattant qui ne lâche rien dans les grands rendez-vous. Et c’est parfois ce qui le rend aussi difficile à cerner. Guère performant dans des tournois – même prestigieux- comme le Grand Chelem de Paris ou les championnats de France, il devient redoutable lorsque l’enjeu est à son comble. « Avant, je me demandais comment il faisait pour foirer ses compétitions de préparation et claquer une médaille aux Jeux, témoigne la championne olympique des -70 kg Lucie Décosse. En fait, je ne voulais pas y croire, mais Ugo est un vrai mec de championnat. Il est capable de se hisser à un niveau impressionnant juste sur une compétition majeur. »
Pour Rodolphe Legrand, Ugo Legrand a « largement les capacités de remporter le titre mondial à Rio ». « C’est même maintenant, poursuit son père. Pour moi, Ugo n’a pas encore atteint son maximum. Il peut devenir monstrueux et à Rio, on devrait voir du grand judo. » Une tendance que confirme tranquillement l’intéressé : « Je suis dans une catégorie très fournie où la concurrence est énorme. Jusqu’à maintenant, j’ai eu une belle progression avec un titre européen, une médaille olympique et mondiale. Pour Rio, l’objectif, c’est forcément le titre car sinon, je n’aurais jamais remis le kimono », persiste-t-il.
Alors on repart à la charge. Arrêter, et après ? Pour quoi faire ? « Voyager, répond-il nez au plafond, regard loin. Il me tarde d’arrêter. Le judo à ce niveau, c’est beaucoup de sacrifices. C’est un frein à mes envies annexes. Quand j’étais jeune, je savais que je me privais de beaucoup de choses pour devenir un champion. Mais depuis que j’ai eu ma médaille aux Jeux, j’ai pris conscience des milliers de trucs que j’ai envie de faire dans ma vie… » L’avenir, comment le voit-il ? « En Asie, avec ma copine. C’est une grande voyageuse et à cause de ma carrière dans le judo, elle a été freinée. Une fois que j’aurais raccroché le kimono, c’est moi qui m’adapterai à ses envies. Je la suivrai dans tous ses choix. En fait, je me vois bien poser mes valises quelque part, au soleil, faire du sport toute la journée. Vivre simplement et rencontrer tout un tas de cultures différentes. Il me tarde vraiment d’arrêter le judo », lâche-t-il du haut de ses 24 ans… « Personnellement, je n’y crois pas, rigole Rodolphe Legrand. Il a trop soif de titres et les plus beaux l’attendent. Ce qui est certain, pour moi, c’est qu’il ira aux Jeux olympiques en 2016 parce que c’est son ambition ultime. En fait, je crois que ce qu’il veut dire à travers ses propos, c’est qu’il ne sait pas où il en sera demain. Ugo fonctionne au plaisir et une olympiade, c’est tellement de souffrances qu’il n’arrive pas à se projeter aussi loin. Il a besoin d’objectifs à court terme pour se motiver. »
En attendant, Ugo Legrand a repris l’entraînement sérieusement, flâne dans les rues de Paris (« la plus belle ville du monde ») dès qu’il en a l’occasion et capitalise sur sa petite notoriété pour enchaîner les galas ou des séances photos qu’il aimerait plus fréquentes. Et si par bonheur, il venait à décrocher le Saint-Graal mondial de l’année 2013, alors il ne saurait pas quel tournant donner à la suite de sa vie. « Un titre mondial, ça doit être traumatisant. C’est un rêve de gosse… Je n’arriverai peut-être jamais à remonter sur un tatami », souffle-t-il. Voilà qu’il nous refait le coup ! On n’est pas sérieux quand on a 24 ans.
Florent Bouteiller, envoyé spécial à Rio de Janeiro
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Sur lemonde.fr, revivez les mésaventures du journaliste Florent Bouteiller qui a voulu défier Ugo Legrand une première fois en avril 2012, un mois avant son titre européen et quatre mois avant sa médaille de bronze aux JO. Humilié, notre reporter a voulu prendre sa revanche en juin dernier. Mais bien mal lui en a pris. On ne s'attaque pas à un judoka de haut-niveau aussi facilement.
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Suivez les championnats du monde de judo du 26 août au 1er septembre sur Au Tapis! Analyses, enjeux, reportages, interviews. Le blog du monde.fr consacré aux sports de combat sera sur place pour vous faire vivre l'événement. Ne manquez pas non plus nos confrères de L'Esprit du judo, le magazine de référence de tous les judokas. Le numéro du mois d'août-septembre consacre un numéro spécial aux Mondiaux. Retrouvez l'interview d'Ugo Legrand et les pronostics de la rédaction sur toutes les catégories. Chances de médailles françaises, ténors internationaux et programme complet de la semaine... Le bimestriel vous dit tout. A Rio de Janeiro eux aussi, les journalistes Olivier Remy, Emmanuel Charlot et Anthony Diao commenteront la compétition en direct sur leur site Internet.
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