Javier Martin-Artajo, la chute d'un conquistador de la City
Le Monde | 28.08.2013 à 09h44 • Mis à jour le 28.08.2013 à 10h28 | Par Marc Roche
En compagnie de son épouse, Sarah, et de ses enfants, l'ancienne étoile montante de JPMorgan habitait un manoir dans les Cotswolds (ouest de l'Angleterre), la campagne branchée où le premier ministre, David Cameron, a sa résidence. Le quadragénaire – qui a touché en 2011 un bonus de 11 millions de dollars – était emblématique des années fastes de la City.
Directeur opérationnel du Chief Investment Office (CIO), la trésorerie de JPMorgan, l'intéressé était le supérieur de Bruno Iksil, le trader français surnommé la "baleine de Londres" en raison de l'énormité de ses positions, qui auront coûté plus de 6 milliards de dollars à son employeur.
Le gendarme américain de la Bourse a réclamé, le 14 août, l'extradition de M. Martin-Artajo, ainsi que celle de Julien Grout, 35 ans, trader junior chargé de la présentation des résultats quotidiens des opérations de son unité.
M. Martin-Artajo avait été licencié pour faute grave en juillet 2012. S'il devait être reconnu coupable de "conspiration" et de "fraude", il risquerait vingt ans de prison. L'ancien trader réfute les accusations de falsification en invoquant le fait que les titres de dérivés de crédit en question avaient été négociés de gré à gré et non pas sur des Bourses. D'où la difficulté d'estimer leur valeur.
Chez JPMorgan, le CIO était un Etat dans l'Etat, dépendant directement du PDG, Jamie Dimon. A Londres, l'équipe, totalement autonome du siège new-yorkais, était dirigée par Achilles Macris, un natif de Grèce, responsable de la stratégie d'investissement. M. Marcis avait travaillé avec M. Martin-Artajo chez Dresdner Kleinwort. Il avait recruté ce professionnel plein d'avenir.
LABORIEUSES EXPLICATIONS
Lié par sa famille à à Alberto Martin-Artajo, ministre des affaires étrangères de Franco entre 1945 et 1957, ce conservateur bien né, et aux manières de qui compte quelques siècles de haute bourgeoisie derrière lui, en imposait. D'autant qu'une vie professionnelle pleine et excitante, conjuguée à une carrière de courbettes à la cour du "roi Jamie", vous mène loin au sein d'une vénérable institution comme JPMorgan, qui conserve les traces de son passé de "banque au sang bleu".
Le battant était aussi un chef très exigeant. Ses collaborateurs filaient doux devant ses ordres et ses colères. Et c'est là que le bât blesse. Car, à écouter les autorités américaines, Javier Martin-Artajo a contraint Bruno Iksil à minorer les pertes des placements risqués du COI au lieu de les valoriser aux prix du marché entre janvier et mars 2012.
"Je ne peux pas continuer... Je pense qu'ilattend qu'on revalorise à la fin du mois... Je ne sais pas où il veut en venir. Cela devient stupide" : cette conversation téléphonique en mars 2012 entre M. Iksil et M. Grout est au coeur de l'acte d'accusation américain.
Lorsque, le 6 avril, le Wall Street Journal révèle le pot aux roses, M. Martin-Artajo s'enferre dans de longues et laborieuses explications lors d'une série de vidéoconférences avec New York avant de reconnaître la déconfiture.
M. Iksil a pris les devants en acceptant, en juin, de collaborer avec la justice d'outre-Atlantique, ce qui lui a permis d'éviter les poursuites. De son côté, M. Grout est aujourd'hui en négociation avec le procureur de New York pour tenter d'obtenir un arrangement à l'amiable, voire l'immunité, en affirmant avoir sonné en vain l'alerte sur l'ampleur des pertes dès janvier 2012.
Javier Martin-Artajo, lui, est le plus exposé des trois compères. L'inculpé passait ses vacances en Espagne lorsque la justice l'a convoqué. Il a de la chance. Madrid est traditionnellement moins enclin que Londres à répondre favorablement aux requêtes d'extradition de cols blancs provenant des Etats-Unis.