Incitation à la haine raciale : que risque vraiment Marine Le Pen ?
Le Monde | 02.07.2013 à 18h00 • Mis à jour le 02.07.2013 à 18h44 | Par Lucie Soullier
La justice française souhaite en effet l'entendre dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Lyon pour "incitation à la haine raciale", après une plainte déposée par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP). L'association dénonce des déclarations tenues par Mme Le Pen le 10 décembre 2010 à Lyon.
Devant des adhérents du Front national, celle qui était alors candidate à la présidence du FN avait alors comparé les prières de rue des musulmans à l'occupation allemande durant la deuxième guerre mondiale.
"Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la seconde guerre mondiale, s'il s'agit de parler d'occupation, on pourrait en parler, pour le coup. C'est une occupation de pans de territoire. Certes, il n'y a pas de blindés, il n'y a pas de soldats, mais elle pèse sur les habitants."
Le 18 juin de la même année, elle avait déjà évoqué les mêmes prières en affirmant que "très clairement, comme en 1940, certains croient se comporter dans la France de 2010 comme une armée d'occupation dans un pays conquis".
UNE TRIBUNE POLITIQUE AU TRIBUNAL
Les propos de Marine Le Pen lui vaudront-ils pour autant une condamnation ? "Juridiquement, le terme 'occupation' n'est pas forcément inapproprié", souligne en effet l'avocat pénaliste Grégory Kagan, qui estime que cela pourrait constituer une ligne de défense pour les avocats de Mme Le Pen. En droit administratif, une manifestation non autorisée par la préfecture est en effet désignée comme "une occupation illicite du domaine public".
"Il peut donc y avoir débat devant le tribunal, qui deviendrait alors une tribune politique" pour Mme le Pen, souligne Me Kagan. Pourrait s'ensuivre un procès en appel, voire devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). La présidente du FN pourrait en effet invoquer devant cette dernière des "atteintes à sa liberté de parole". Avant même la levée de son immunité, elle avait déjà affirmé lundi sur LCI que l'on voulait l'incriminer pour un "délit d'opinion".
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Pour le responsable du service juridique du MRAP, Bernard Schmid, il s'agit pourtant d'une "banalisation" implicite des crimes contre l'humanité commis durant la seconde guerre mondiale. "L'occupation nazie, ce n'était pas seulement une occupation du sol, mais également des déportations, des assassinats...", précise-t-il. D'où la plainte déposée par l'association, qui dénonce "une incitation à la haine raciale contre un groupe diabolisé par un parallèle sous-entendu avec l'occupation nazie". Pour M. Schmid, les musulmans sont explicitement visés dans les propos de Marine Le Pen. Pour preuve, souligne-t-il, "on ne l'a pas entendue sur les prières de rue catholiques organisées par Civitas lors du mouvement anti-mariage pour tous".
"ELLE NE RISQUE PAS GRAND-CHOSE"
Si Mme Le Pen devait finalement être condamnée, comme le souhaite le MRAP, pour provocation "à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison (...) de leur appartenance à une religion déterminée", elle risque théoriquement jusqu'à un an d'emprisonnement assorti, ou non, de 45 000 euros d'amende, selon l'article 24 de la loi de 1881. Sans compter les peines complémentaires possibles, comme la déchéance des droits civils ou encore une peine d'inéligibilité.
Une condamnation pour diffamation ou injure"envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée" serait moins lourde (six mois d'emprisonnement et 22 500 d'amende).
En réalité, Marine Le Pen "ne risque pas grand-chose", affirme Me Kagan, qui rappelle que le juge pénal statuant en intime conviction, le doute profitera toujours au prévenu. Du côté du MRAP, on en convient : "Elle n'écopera évidemment pas de la peine maximale", concède M. Schmid.
Pour rappel, et à titre de comparaison, Jean-Marie Le Pen avait été condamné en 2005 par la cour d'appel de Paris à 10 000 euros d'amende pour incitation à la haine raciale.