Paris s'inquiète de la multiplication des locations saisonnières
Le Monde | 26.06.2013 à 19h58 • Mis à jour le 26.06.2013 à 21h30 | Par Delphine Roucaute
Si Odile s'émerveille encore du succès de son studio, il n'y a là rien d'étonnant pour Alexis Gardy, du cabinet de conseil Roland Berger. "Il y a clairement une demande pour ce type de formule, plus souple que le séjour hôtelier, explique ce spécialiste du tourisme. Dans la plupart des grandes villes, il y a un défaut de capacité, un manque d'hébergements hôteliers attractifs, rénovés et à prix abordable."Dans une lettre d'information datant de février 2013, l'Insee révèle en effet que "les besoins à l'horizon 2020 seraient de 20 000 à 30 000 chambres supplémentaires, dont 7 000 pour Paris". Avec les quelque 15 000 annonces revendiquées par Airbnb, ce type de location passant directement de particulier à particulier pourrait présenter une alternative intéressante aux quelque 74 860 chambres d'hôtel aujourd'hui disponibles à Paris.
CHASSE AUX "LOUEURS ABUSIFS"
Mais cette explosion de la location saisonnière inquiète la mairie de Paris. Depuis 2009, elle s'est lancée dans la chasse aux multi-propriétaires qui, en louant leurs biens de manière saisonnière, font enfler le prix des loyers. En première ligne, Jean-Yves Mano, adjoint au logement de la mairie de Paris, ne cesse de le répéter : "Paris ne doit pas devenir Venise", dont le centre-ville a été vidé de ses habitants au profit des touristes. "Chaque appartement loué de manière saisonnière aux touristes est un appartement de moins pour les Parisiens", s'agace l'élu. "L'accueil des touristes, s'il est extrêmement bénéfique pour la ville de Paris, ne doit pas se faire au détriment des habitants." A la mairie, on s'accorde sur le chiffre de 20 000 meublés touristiques dans la capitale – un chiffre non contesté par les professionnels, "ce qui signifie qu'il y en a sûrement plus", souffle l'élu.
Dans la capitale, les propriétaires voulant louer de manière saisonnière un appartement n'étant pas leur résidence principale doivent d'abord en demander l'autorisation à la mairie. Ils doivent ensuite appliquer le principe de "compensation", en "transformant en logement un local de surface équivalente non dévolu à l'habitation". S'il s'agit de la résidence principale du propriétaire, une simple déclaration en mairie suffit.
En avril 2012, la mairie a réussi à obtenirla condamnation d'un bailleur à 15 000 euros d'amende pour avoir loué quatre appartements en meublés touristiques. Une première victoire qui a ouvert la voie à plus d'une cinquantaine de condamnations. Et la décision de justice rendue à New York le 21 mai ne fait que "renforcer notre motivation", insiste Jean-Yves Mano. Depuis deux ans, "les choses sont montées en puissance", affirme-t-il, notamment en recrutant de nombreux inspecteurs, qui ont déjà repéré plusieurs centaines de personnes devant se mettre en conformité avec le règlement en vigueur à Paris.
ENCADRER LES PRATIQUES
Malgré sa traque des "loueurs abusifs", la mairie de Paris reste consciente des limites de la réglementation actuelle, qui considère comme saisonnière toute location inférieure à un bail d'un an (ou neuf mois pour un étudiant). "Il y a un besoin réel", reconnaît Jean-Yves Mano. L'élu socialiste évoque la possibilité de faire des baux de six mois à destination des étudiants en échange universitaire, ou des baux de trois mois pour les professionnels faisant des stages à Paris.
C'est justement à ce genre de public que s'adressent les agences professionnelles de location de meublés, qui se sont développées sur Paris dans les années 2000. Jean-Marc Agnès a créé son agence, My Appartement in Paris, en 2002. Depuis son petit local situé rue de Fleurus (6e arr.), il gère 120 appartements et 12 employés. En 2010, il décide de créer le Syndicat des professionnels de la location meublée, une association défendant les intérêts d'une quarantaine d'agences parisiennes, afin de "se mettre en position de discuter avec la mairie". Pour ce professionnel de la location, l'explosion du meublé de tourisme est inévitable car "aujourd'hui, l'offre correspondant à ce type de demande fait défaut".
Pour lui, la solution passe par un meilleur encadrement de la profession. "Nous regardons d'un œil inquiet les pratiques de particuliers à particuliers [type Airbnb]", souligne Jean-Marc Agnès, pour qui les professionnels sont les "garants des bonnes pratiques", comme la régulation des prix ou l'obligation de louer un appartement au minimum pour trois nuits – "comme ça, on ne va pas sur les plates-bandes des hôteliers". Il assure que la mairie et son syndicat travaillent en bonne intelligence et que tous s'accordent à dénoncer les pratiques des multi-propriétaires.
Depuis quelques mois, le syndicat s'est rapproché du ministère du logement, qui présentait le projet de loi Duflot 2 en conseil des ministres ce mercredi 26 juin. L'objectif est de lui faire des propositions, toutes articulées autour de la notion de "petit propriétaire". "On sent une convergence entre ce que veut le ministère et la mairie de Paris", souligne Jean-Marc Agnès. Si le ministère a d'ores et déjà affiché son intention d'inclure la question des locations saisonnières dans la loi – imposant au passage les termes de "locations meublées touristiques" –, les propositions restent floues. On évoque seulement l'idée de donner aux collectivités le moyen de réguler le secteur en adéquation avec leur propre politique de l'habitat. Des dispositions qui existent déjà depuis 2009.