Chiens d’infidèles !
Gil Jouanard
L’accusation d’infidélité que se portaient mutuellement les Chrétiens et les Musulmans (jusqu’à ce que les premiers perdent le plus virulent de leur morgue avec l’essentiel de leur foi et que les seconds remplacent « infidèle » par « chien », ce qui n’est en fait, probablement, qu’une version abrégée du « chien d’infidèle » d’autrefois), cette accusation est aussi absurde dans ce qu’elle implique l’opinion qu’elle le serait, si elle s’appliquait à un homme ou à une femme qui ne serait pas fidèle à la femme ou au mari de son voisin !
En quoi, en effet, serait-on infidèle au conjoint d’un autre dès lors que l’on couche avec quelqu’un d’autre qu’elle ou que lui ? Et donc, en quoi un Chrétien (ou un Musulman) né dans la religion de ses parents ou en ayant adopté une par conviction et, donc, sous la poussée de la foi ou plus sûrement encore sous l’effet du hasard, serait-il « infidèle » à une autre religion, en laquelle ni lui ni ses ascendants n’ont jamais cru, et dont ils ne connaissent l’existence que par ouïe dire ?
Décidément la logique a peu de chose à voir avec l’engagement et le militantisme confessionnel !
Si les Juifs que nous disons « orthodoxes » ne traitent pas d’ « infidèles » les Chrétiens ni les Musulmans, ce n’est au demeurant pas du tout qu’ils seraient plus tolérants ou plus ouverts. C’est même le contraire : leur sentiment d’appartenir à un peuple « élu » par Dieu Lui-même interdit à tout individu non Juif d’accéder à ce statut inné et exclusif de détenteur de la Seule Vérité. Le non-Juif ne saurait donc être « infidèle » ; il est simplement inapte congénital ou se situe dans une frange de l’humanité que la Volonté Divine, non pas tant raciste qu’ethno-culturo-centriste, n’a pas éclairée et qu’on ne saurait de ce fait convertir, puisqu’on n’est pas soi-même Dieu.
Toujours dans l’ordre de la logique, le Christianisme ayant précédé l’Islam de quelque six siècles, aurait davantage de motifs d’accuser d’ « infidélité » les « déviants » musulmans, que n’en ont ceux-ci d’en accuser les Chrétiens, dont la foi précède chronologiquement la leur dans l’ordre d’aînesse. Mieux encore : si infidélité « objective », et historique, il y eut, ce fut celle des chrétiens numides, syriens, chaldéens, palestiniens ou byzantins qui, pour des raisons d’opportunité (et donc par opportunisme) se convertirent à l’Islam sous la poussée des conquérants arabes.
Les Chrétiens eux-mêmes sont, à l’origine, des infidèles à la religion judaïque, qu’ils détournèrent ou « dévoyèrent » en la traficotant.
Quant aux Hébreux convertis par Moïse, ils descendaient de tribus qui furent à un moment donné et progressivement infidèles au panthéisme, au polythéisme ou à l’animisme des temps immémoriaux. Tous ces monothéistes furent donc, et demeurent aujourd’hui, d’insolents infidèles, puisque tous trahirent à un moment donné la foi naturaliste des débuts de l’humanité consciente. Juifs, Chrétiens puis Musulmans, dans l’ordre chronologique, sont donc bel et bien, à parité, les seuls vrais infidèles. Ce qui ne les a nullement empêchés d’accomplir des prouesses dans l’ordre de l’art et des sciences, ce qui veut dire que l’on peut fort bien être résolument infidèle à toutes les naïves et impérieuses croyances concoctées par les différentes sociétés humaines et, ce nonobstant, être non seulement un brave homme (ou une brave femme), mais encore un individu généreux, attentif, ouvert, voire génial.
Amen.
G.J
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