Les vins d'Amphores, Patrimoine national
LES VINS D’AMPHORES,
PATRIMOINE NATIONAL
Christian Duteil
«Je sais combien il faut, sur la colline en flamme, de peine, de sueur et de soleil cuisant pour engendrer ma vie et me donner de l’âme». (Charles Baudelaire «L’âme du vin»)
L’amphore était dans l’Antiquité «le récipient par excellence pour le transport des huiles, vins, saumures, poissons et autres préparations». Aujourd’hui, des vignerons en France, en Autriche, en Suisse, surtout en Georgie, au Liban et en Italie perpétuent cette tradition millénaire en vinifiant dans des jarres en terre cuite. Ce mariage immémorial entre vin et terre cuite, loin du goût souvent envahissant du bois, ressuscite le patrimoine ampélographique avec des résultats étonnants, bien que la production reste encore marginale en France.
L’amphore ressuscite en ce début de XXIe siècle dans le monde du vin et ne semble pas être seulement un phénomène éphémère de mode. En Georgie (qui signifie littéralement « travail de la terre » en grec), il n’est pas rare qu’un paysan en creusant la terre découvre au milieu des cochons et des canards des amphores baptisées kvevri de 1 à 3 tonnes enfouies et contenant un vin orange bien conservé qui se laisse boire… malgré son indéniable acidité volatile. Les Géorgiens - pour parer à la production vineuse de leurs 65000 hectares de vignoble - les nettoient avec une écorce de merisier, puis le enduisent de cire d’abeille pour les rendre étanches. Une amphore neuve d’une capacité d’une tonne coûte environ 200 euros.
Une tradition antique retrouvée
L’amphore (dolia en latin) est l’emballage perdu de l’Antiquité, un objet artisanal qui a fait ses preuves pour la conservation des liquides précieux et périssables comme l’huile et le vin. Elle apparaît au VIIIe siècle av. J.-C en Méditerranée orientale pour transporter le vin sur de longues distances. Elle est fabriquée à partir d’argile épurée. On délaye l’argile dans de l’eau pour la rendre plus malléable. En général, c’est le tournage qui est utilisé pour la façonner. Le potier confectionne d’abord un fût, puis y ajouté col, pointe et anse. Une fois mise en forme, l’amphore est mise à sécher dans un lieu ventilé. On la fait cuire ensuite dans un four à bois pendant plusieurs heures. Elle est enduite à l’intérieur de résine utile autant pour éviter que le vin ne tourne que pour assurer l’étanchéité.
Le poissage est parfois utilisé pour la rendre plus étanche : on verse à l ‘intérieur de la poix liquide de manière à former un film impénétrable. L’amphore conservant le vin est bouchée par une bourre de paille, recouverte d’une épaisse couche d’argile ou dès l’Antiquité par un bouchon en liège et scellée par du mortier de chaux. Si elle permettait une évolution intéressante et une bonne conservation du vin à bonne température, cette technique qui remonte aux Grecs et aux Romains présentait quelques inconvénients : poids, fragilité des amphores peu empilables et donc encombrantes.
La forme des amphores différente et caractéristique selon les régions et les époques demeure un précieux indicateur chronologique et commercial. La substitution progressive du tonneau aux amphores à partir du IIIe siècle de notre ère fit parfois disparaître une source précieuse pour l’écriture économique de l’Antiquité. Néanmoins, l’usage des amphores fut poursuivi à l’époque tardive, au dernier siècle de l’empire romain et aux premiers de l’empire byzantin, notamment dans le bassin oriental de la Méditerranée autour de Constantinople.
«Il ne fait plus de doute aujourd’hui que la très grande majorité de ces amphores de Méditerranée orientale a contenu du vin, explique Dominique Pieri de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne. Il précise: «Cette constatation se trouve appuyée par la présence de poix sur les parois de ces amphores comme cela a été constaté fréquemment lors d’études menées sur les contextes portuaires de Carthage, Marseille, Port-Vendres ou Fos, et également sur les gisements sous-marins d’épaves comme celles de Yassi Ada, de la Palud, du Dramont E, de Saint-Gervais 2, Dor D ou Giglio Porto. De plus, de nombreux témoignages littéraires présentent aussi l’immense majorité des régions orientales comme essentiellement productrices mais surtout exportatrices de vin».
Les pionniers en France dans les années 2000
Aujourd’hui, les vins d’amphores très courant en Italie, notamment en Sicile, demeurent encore plutôt confidentiels en France où il est assez difficile de les trouver dans le commerce quand ils ne sont pas purement et simplement épuisés et seulement disponibles à la propriété.
Rendons à César ce qui est à César. A Cahors, le couple Véronique et Stéphane Azémar et dans la Vallée du Rhône, dans la Drôme, à Saint-Maurice-sur-Eygues, Alain et Philippe Viret (cuvées Dolia en Amphora en rouge et en blanc) sont les deux pionniers qui ont contribué dans les années 2004-2005 à la résurgence du patrimoine ampélographique local de la terre cuite et du vin et relevé le défi technique.
Ils ont fait depuis quelques adeptes éclairés, comme le Domaine André et Mireille Tissot dans le Jura qui produit environ 500 bouteilles par an d’Arbois Savagnin Amphore. A Figari, en Corse, le Clos Canarelli vinifie en jarres à l’ancienne une cuvée Amphora. En Beaujolais, Jean Claude Lapalu commercialise sa cuvée L’An Fort à raison de 800 bouteilles/an. En Savoie, au Domaine D & P. Belluard, on peut déguster une Mondeuse (500 bouteilles/an) qui a bénéficié de la micro oxygénation fraîche en terre cuite.
Céline et Romain du domaine Clos Romain (10 ha, 2 de vignes et 6 d’oliveraies) à Cabrières ont rétabli le «temps des amphores» avec leur cuvée rouge Phidias (250 bouteilles en 2010, 600 en 2011 avec un objectif de 800 flacons en 2012) aux accents de garrigue, à 350 mètres d’altitude. Pour trois raisons principales qu’ils développent sur leur blog. D’abord pour «faire revivre le domaine comme du temps des Romains où dans une villa gallo-romaine située près de notre maison se trouvaient un pressoir et des amphores en grand nombre». Ensuite, explique Céline, «la seconde idée de départ, c’est comment arrondir les vins, assouplir les tannins sans boiser? Comment faire évoluer les vins différemment? Je ne suis pas une adepte du boisé souvent vulgaire, si excessif, souvent trop présent, il masque trop à mon goût les arômes des cépages vinifiés et la précieuse typicité d’un terroir, d’un millésime.»
Enfin, les jarres en terre cuite d’une contenance moyenne entre 20 et 30 litres gardent la fraîcheur et favorisent les échanges alors que leur vin du soleil à base de grenache titre presque 16° d’alcool. «Les vins évoluent plus vite et sont buvables plus rapidement, commente Céline. La barrique a tendance à uniformiser le vin alors que la jarre permet de mieux exprimer le terroir en cultivant le retour à la terre tout en atténuant le côté lourd des grenache.»
En 2009, Céline Beauquel forte de ses convictions a élaboré une micro oxygénation aussi précise qu’inédite sur leur originale cuvée Phidias: une première cuvée vinifiée en jarres ouvertes, puis élevées en jarres fermées. Avec levure indigènes Confortée par ce retour à la tradition de la terre cuite, la jeune vigneronne a choisi la voie étroite de consacrer presque uniquement aux vins d’amphores son domaine au nom prédestiné de Clos Romain. Avec en prime un premier blanc fermenté à basse température dans des jarres en terre cuite.
Issu de la terre, vieilli en terre…
En une bonne dizaine d’années et sans d’effet d’annonce, le jeune couple Azémar trace son sillon cadurcien. Il a réussi la prouesse de porter leur domaine Le Clos d’un jour (6,5 ha, 100% malbec, rendement maximum: 30 h/ha) au sommet de l’appellation en alliant tradition et modernité. Stéphane et Véronique ont joué astucieusement de la toute petite taille de l’exploitation familiale à Duravel pour exploiter avec un soin maniaque chaque parcelle. Après avoir démarré en vinifiant le Clos d’un Jour, un excellent vin d’initiation au cépage malbec d’un bon rapport qualité/prix, les Azémar ont concocté dès 2004 une cuvée surprenante au nom biblique «Un Jour sur Terre » (7000 bouteilles par an) élevée beaucoup un peu plus d’un an comme aux temps des Romains dans des jarres en terre cuite. «C’est un élevage en fût sans les arômes du bois», précise Stéphane animé par une motivation technique plus que commerciale. Pariant, avec un succès qui n’a rien d’estime à la clef, sur une oxygénation lente et continue du vin grâce aux pores de la fine amphore façonnée par un artisan potier «Terre d’autan» à Mas Sainte Puelles près de Castelnaudary dans l’Aude. Ce n’est ni un caprice ni un luxe car ce récipient antique - qu’il ne faut pas confondre avec les modernes ovules en béton - permet de vieillir à l’ancienne le vin sans aucun boisé et donne des résultats probants qui ne tiendraient ni du fameux effet placebo, ni de la célèbre madeleine de Proust.
«Nous avons choisi Terre d’Autan en 2003 lors de nos premières expérimentations, car c’est l’un des rares potiers qui tourne encore à la main. Ce qui nous permet d’avoir une « épaisseur fine» de l’amphore, idéale pour les échanges du milieu avec le raisin au cours de l’élevage en cave. Notre jarre de 130 litres environ tournée à goulot étroit oxygène le vin grâce à la terre cuite durant tout son élevage, cela permet de fixer tanins et anthocianes et contribue à la rondeur et à l’équilibre de ce vin qui suit un itinéraire technique très précis et bénéficie d’un élevage particulier sans apport d’arôme supplémentaire », explique dans ses vignes Stéphane Azémar qui a décidé dans la foulée de lancer une bouteille collector en porcelaine. Les vins élevés en amphores représentent aujourd’hui un tiers de la production globale de Clos d’un Jour, un domaine à dimension humaine.
Comme les Viret, les Azémar ont fait des disciples et conseillent actuellement une vingtaine de vignerons souhaitant expérimentés le retour à l’amphore à vin chère aux Romains. Ces derniers profitent de leur protocole d’utilisation et bénéficient du recul dans cette technique antique revisitée par ces pionniers qui ont bien conscience que cet élevage en micro oxygénation séduit autant qu’il fait peur à ceux qui seraient tentés par l’aventure. «En règle générale, on note presque un millésime d’écart entre nos deux rouges un Jour élevé en fût et un Jour sur Terre vieilli en jarre», conclut Stéphane qui ne regrette pas sa décision comme son choix de vie. Partant du principe que la qualité ne se décrète pas mais se construit jour après jour dans les vignes et au caveau.
Ailleurs, l’élevage en amphore est aussi de rigueur et dépasse le simple effet de mode ou d’annonce. Josko Gravner vigneron de Frioul vinifie depuis 2001 ses vins dans des jarres de terre cuite géorgiennes et s’en félicite. «Mon vin se bonifie mieux grâce à ce procédé naturel à l’ancienne. Il me paraît à tort ou à raison plus droit, minéral et équilibré, il n’est pas masqué par le bois… même si je ne suis pas sectaire et n’ai rien contre l’élevage en fût qui a aussi ses inconditionnels».
Sur les pentes noires et épurées du volcan Etna, Frank Cornelissen, l’un des plus fameux producteurs de vin naturel de Sicile (12 ha dont 8,5 de vignes) est partisan convaincu lui aussi des amphores en terre cuite pour la fermentation de ses raisins (10 q/ha). Du moins en partie car il utilise aussi des cuves en plastique qui font certes moins rêver. Toujours sans levures ni sulfites. En jouant à fond la carte des petits rendements et de l’authenticité du terroir.
«Le raisin est transformé au cours d’un processus délicat, à savoir une fermentation selon des méthodes ancestrales dans des jarres de 150 à 400 litres enterrées dans de la pierre de lave moulue. Nous laissons toute la masse (jus et peaux) jusqu’à l’obstention de la transformation totale de la matière (fermentation malolactique) pour extraire toutes les arômes du raisin propre au terroir, explique Frank. Cette macération a un durée de 4 à 7 mois et varie selon le vin et le millésime. Après le pressurage, le vin est remis dans des récipients en terre cuite pour terminer son cycle de repos et d’évolution durant 18 mois supplémentaires avant d’être mis en bouteille à la propriété».
Sur ce haut de gamme de niche, il exporte la quasi-totalité (95%) de sa production de 10 000 bouteilles, dont la réputée cuvée Magma à 150 euros. Ce qui n’exclut pas une «politique sociale des prix» avec le Il Rosso del Contadino, un vin plus humble et plus simple à portée de toutes les bourses.
A côté des wineries comme GWS dirigée par le Français Benoît Fill, de nombreux Georgiens vendangent leur petit jardin de vignes. Les cépages sont locaux : rouge saperavi, blancs rkatsithli et mtsvane, ou français: merlot, chardonnay, cabernet-sauvignon, malbec, etc.. Ils y concoctent un vin familial, rustique et naturel dans des amphores en terre, enfouies dans le sol. «Nous foulons les grappes, puis nous les mettons à fermenter dans des amphores et nous pigeons le marc pour qu’il ne sèche pas», explique Tamasi Natroshvili à notre confrère Pierrick Bourgeault (La Vigne N°194). Après une vingtaine de jours, lorsque le marc descend au fond, nous transvasons le vin dans une autre amphore. Un panier sert de filtre. Nous distillons le marc et les rafles. Après quinze jours, nous transvasons à nouveau le vin dans un autre amphore, que nous fermons hermétiquement. Puis trois transvasements suivent : au printemps, à la Transfiguration du Christ (6 août) et aux nouvelles vendanges».
Jean-Jacques Jacob, un breton pratiquant la biodynamie à Kwermo Magaro, non loin de Telavi, a lancé sa cave selon ces méthodes antiques et un retour ascétique à la nature. Ce moine du vin bio n’a pas d’eau courante, pas d’électricité, ni tonneaux, ni climatisation…. Seulement un bâton et des amphores qu’il enterre pour dissimuler ce vaste caveau en terre cuite à ciel ouvert au voisin russe envahisseur qui boycotte le vin géorgien pour une fallacieuse histoire de frontières.
Eternelle lutte inégale du pot de fer contre le pot de terre qui enivre, enflamme et excite les esprits qui ne sont pas toujours à jeun. Avec pour devise empreinte d’une sagesse paysanne quasi biblique : «Tu retourneras à la terre d’où tu as été tiré». Comme nous tous d’ailleurs…. Santé !
CD
Une vigne inscrite aux monuments historiques
C’est une première en France : la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS) de Midi-Pyrénées vient d’inscrire au titre des monuments historiques l’une des plus vieilles vignes de France. Située à Sarragachies dans le Gers, au cœur de l’appellation Saint-Mont, cette parcelle de vigne unique de 20 ares, plantée sur un sol très sableux qui lui a permis de résister au phylloxéra, est âgée de près de 200 ans.
Perpétuant des méthodes culturales ancestrales aujourd’hui disparues (plantation en pieds doubles disposés en carré) et témoin de la biodiversité du Piémont Pyrénéen, cette vigne classée recèle une vingtaine de cépages différents, dont sept non identifiés. Et un conservatoire ampélographique a été mis en œuvre qui, non content de répertorier toutes les variétés propres à la région du bassin de l’Adour, renferme d’autres variétés encore non répertoriées sur lesquelles les chercheurs vont pouvoir travailler.
Les méthodes ancestrales autour de 4 appellations
Les AOC Clairette de Die, Limoux, Bugey, Gaillac nous ont convié fin juin à Lyon pour une dégustation conviviale autour de leurs méthodes ancestrales suivie d’un déjeuner accord mets/vins. Une première patrimoniale en synergie avec ces quatre appellations fort diverses qui nous a permis de découvrir ou de redécouvrir des cuvées mâtinées à l’ancienne et avec passion au milieu des vignerons mobilisés par l’événement.
Nous avons apprécié pour son originalité la cuvée Vieilles vignes rosé 2011 AOC Bugey du Domaine Georges Martin à Jujurieux qui est un assemblage étonnant et subtil entre l’acidité du Gamay et l’équilibre du Poulsard issus de vignes de plus de 80 ans. Nous avons remarqué pour sa fraîcheur le Gaillac brut blanc 2011 (100% Mauzac) du Domaine Vaysette à Gaillac au nez aromatique, avec une bouche agréable aux notes de pommes et de poires. Nous avons été séduit par la droiture noble de la Clairette de Die Cuvée Icône 2011 (100% muscat) de Jaillance à Die bien équilibrée aux arômes en bouche de fruits exotiques et de menthe. Enfin, nous avons été troublé par le Cœur de Bulle de Sieur d’Arques, Limoux 2011 (Mauzac) aux notes de pomme, de figue et de fruits confits.
François Pinault investit près de trois millions d’euros pour trois ouvrées de Montrachet
François Pinault, 75 ans, gérant de la holding financière Artémis, vient d’acheter pour plus d’un million d’euros une ouvrée (4,28 ares) du château de Puligny Montrachet en Bourgogne. Le milliardaire a également acquis deux ouvrées de Bâtard Montrachet Grand Cru autour de 900 000 euros chacune.
En Bordelais, le crédit Mutuel vient de confirmer l’achat de Calon Ségur (Saint Estèphe) par le biais de sa filiale assurance-vie Suravenir.
La Festa Vendemia 2012
en Pic Saint Loup
La Fête des vendanges est le grand rendez-vous annuel festif en Pic Saint Loup qui célèbre le vin, les vignerons et leur terroir. 3 à 4000 visiteurs sont attendus pour cet événement automnal. Il se déroule fin octobre dans le petit village de Valfaunès, au cœur du vignoble. Fête populaire et conviviale, la Festa Vendemia est avant tout une invitation à la découverte de la tradition vigneronne, sa culture, son patrimoine et ses vins.
Pendant une semaine, animations et festivités envahissent les rues du village pour le bonheur des petits comme des grands : marché des produits du terroir, concert, théâtre de rues, expositions, ateliers d’initiation ou de perfectionnement à la dégustation, intronisation de nouveaux taste vins par la Confrérie de l’Aïsette, rencontre avec les vignerons et dégustation de leurs cuvées.
C.D