UN CŒUR QUI COURT….
"Mon coeur est convoqué pour reprendre des activités conformes à son impatience.
On me somme de le faire bouger ! Cela tombe bien, j'ai envie de le sortir. Comme ces gens qui vivent en appartement et sortent leur jeune chien fou tirant sur la laisse, reniflant en tous sens, oreilles dressées, la queue battant la mesure, droite gauche...
Moi aussi, je sors mon coeur..., je l'emmène sur un vélo et avant même d'être assis sur la selle, il se met à battre. Je le sens impatient de monter en rythme.
J'ai tant couru, nagé, sauté, frappé dans toutes sortes de balles et ballons qu'il sait qu'il va pouvoir s'en donner à coeur joie. Puis la piscine, corps plus élancé, ben oui, je fais plus attention maintenant...
Les femmes m'ont souvent regardé de cette manière-là...
A nouveau aujourd'hui, c'est drôle...
Savoir par où je suis passé et ces regards à nouveau... mais peut être que je projette ces regards sur les visages.
Cela étant, la piscine, l'après midi en septembre, c'est l'affaire des femmes, toutes.... Jeunes enceintes et donc cherchant à se maintenir et cherchant aussi de la compagnie en attendant.... Femmes "à la maison" attendant on ne sait quoi maintenant que les enfants ont grandi, dorénavant au collège, "il faut se maintenir..." pensent-elles peut être... peut être pas...
Grand-mères aussi qui retrouvent les petits avant qu'ils n'entrent à l'école. Elles attendent aussi, je ne veux pas imaginer quoi... Elles sont toutes là et moi, je dois sortir mon coeur pour qu'il réapprenne le rythme même si je sais pertinemment qu'il n'a pas besoin de réapprendre... il m'attendait, c'est tout. Comme les jeunes chiens pensent probablement que c'est eux qui sortent leur maître : "Si je n'étais pas là, qu'est ce qu'il deviendrait..., gros et tout flappi..."
Une fois les bras dans l'eau, c'est plus facile. Hop ! C'est parti ! "Enfonce bien la tête... fais la couler tout en douceur... fais en sorte que jambes, buste, bras et tête n'opposent aucune résistance à l'élément... et, et, écoute ton coeur ! Il est bien là, il bat régulièrement et sereinement, comme toi ! Sors le bras gauche, puis le droit. Resserre les doigts de telle sorte que chaque battement brasse autant d'eau que possible. Tu dois tout saisir ! Chaque coup de pagaie doit te faire avancer autant que possible... Allonge le bras.. étires le, le plus loin possible... gauche, droite.... respire à fond... gauche, droite..."
Et ce coeur qui bat, vigoureusement. Les épaules au soleil, les méninges irriguées, l'évacuation en cours de l'acide lactique, je pense et profite. Quelle chance de vivre ! Cette pensée ne s'adresse pas spécialement à moi mais aux gens qui, comme moi, vivent en rescapé du cœur, grâce à la médecine française. Il y a trente ans, nous serions tous morts. Mais la médecine a progressé, un drain, un guide dans l'artère, un ballonnet et un ressort, stent comme on dit, qui vous redresse et écarte tout ça en deux temps trois mouvements et nous revoilà relancés... Quelle chance de vivre en France ! Et la Sécu, on peut dire ce qu'on veut, mais malgré ses imperfections, la Sécu quand même, elle assure...
Enfin, le coeur va avoir sa troisième sortie de la journée. Il est content ! Centre de rééducation... Des instruments de torture à défaut de travail. Rappelons nous qu'à l'origine torture et travail ne faisaient qu'un... Rameurs, tapirs ou lents, vélos couverts de gadgets, prises, boutons reliés à l'ordinateur sur lequel le cardiologue affairé scrute des anomalies.
A force de se concentrer comme ça, il va finir par trouver un problème... et puis, non, tout va bien, "vous en avez pour six semaines d'exercices". Peut-être dit-il la même chose aux autres ?... Mais bon, "Mon coeur, tu vas être servi !"..
Dans la salle, les autres. De pauvres bougres se demandent manifestement ce qu'ils font là. Le tatoué, l'intello cadre, le papy...
Je ne peux m'empêcher de ressentir une immense empathie envers ces pédaleurs impénitents sur leur drôle de vélo. Je crois que mon coeur ressent cette charge d'émotion partagée et me signifie par une sorte de vertige que beaucoup de gens ne sont pas prêts à être confrontés à l'épreuve. Leur épreuve. Mon coeur organique est plus fort que mon coeur humain. Ce dernier ne peut s'empêcher de ressentir. Mais ça, je le sais depuis si longtemps...
"Allez, mon Coeur, on rentre à la maison, tu t'es assez ébattu aujourd'hui. Demain, tu t'amuseras à nouveau ! Demain si t'es toujours là, on se la rejouera en vie... !