«Nos business schools doivent favoriser la mixité sociale»
Les écoles de commerce à la française vivent une belle success story. Certes, la parisienne HEC perd sa première place au niveau mondial dans le dernier classement général du Financial Times. Mais parmi les 81 établissements distingués par ce palmarès, qui demeure la référence concernant les business schools, 19 sont français. Six d'entre eux figurent même parmi les vingt premiers.
>> A lire : HEC perd sa couronne de première école de commerce européenne
Leur succès est-il pour autant sans faille ? Pas vraiment, selon un récent rapport de l'Institut Montaigne, qui prévient que « ces champions de notre enseignement supérieur semblent avoir atteint les limites de leurs performances ». Dans un contexte de « concurrence nationale et globale », les deux auteurs du rapport, Jean-Michel Huet, associé chez BearingPoint, et Edouard Husson, vice-chancelier des Universités de Paris et ancien directeur général d'ESCP Europe, craignent un déclin imminent et proposent des solutions concrètes pour redresser la barre.
Quels sont les avantages et les spécificités des business schools françaises pour les étudiants ?
Edouard Husson : Elles constituent l'un des fleurons de l'enseignement supérieur français. Bien avant les universités, elles ont su s'ouvrir et développer des liens étroits avec leur tissu socio-économique. Les étudiants qui entrent dans ces écoles ont l'assurance de suivre un cursus international et de bénéficier d'une très bonne insertion sur le marché du travail. De plus, ils peuvent tirer parti de la forte reconnaissance dont jouissent nos business schools hors de nos frontières : 18 écoles françaises figurent au classement des meilleurs masters in management réalisé par le Financial Times – contre 11 pour le Royaume-Uni – et dix écoles possèdent la triple accréditation AACBS-EQUIS-AMBA.
Les principales spécificités des business schools françaises, et sans doute leurs principaux défauts, tiennent à leur recrutement – des étudiants issus des classes préparatoires et insuffisamment diversifiés socialement – mais aussi à leur gouvernance qui laisse peu de place aux alumni (anciens élèves) et à d'autres sources de financement. En effet, la plupart des écoles qui forment le peloton de tête dans les classements internationaux se sont développées à distance du ministère de l'enseignement supérieur, sous la tutelle des Chambres de commerce et d'industrie (CCI). Alors que les CCI se voient amputées d'une partie de leurs ressources, cette tutelle constitue un frein dans la diversification des sources de financement des écoles. Les investisseurs privés risquent effectivement d'hésiter à s'engager – surtout s'ils sont internationaux – dans un schéma où les CCI restent a minima actionnaires à 51 % et historiquement décisionnaires.
Comment les business schools françaises pourraient-elles se distinguer pour attirer plus d'étudiants ?
Edouard Husson : L'augmentation des effectifs a déjà été considérable au cours des quinze dernières années ; conjuguée au triplement ou quadruplement des frais de scolarité, elle a permis d'accroître les ressources des écoles et d'investir dans leur attractivité. Mais cette seule ressource ne suffit plus aujourd'hui à assurer la viabilité du modèle financier de ces écoles et leur capacité d'accueil des étudiants atteint ses limites.
La question n'est donc pas tant celle de la quantité que celle de la qualité. La priorité pour nos business schools est de se donner les moyens de porter un projet encore plus ambitieux pour ce modèle d'excellence à réussite internationale. Pour cela, elles doivent parvenir à sécuriser et à diversifier leurs sources de financement, sans quoi elles ne pourront engager les investissements à la hauteur des défis qu'elles doivent relever. Accueillir les meilleurs étudiants mondiaux suppose ainsi de construire des campus de renom offrant une qualité d'accueil, de service et d'accompagnement de très haut standing.
L'ouverture des business schools à un public d'étudiants plus divers socialement est une deuxième priorité à laquelle l'Etat doit être directement associé. Pour permettre l'éclosion de business schools créatives, capables d'attirer les investisseurs publics et privés, nos écoles devront promouvoir l'accueil d'étudiants venus d'horizons sociaux, académiques et nationaux bien plus divers que ne le permettent les modes de recrutement pratiqués aujourd'hui.
Le rapport évoque l'importance des réseaux alumni : quel rôle pourraient jouer ces anciens étudiants pour aider au rayonnement des business schools à l'international ?
Jean-Michel Huet : Les alumni ont un rôle central à jouer. Ils pourraient tenir une place bien plus importante dans la collecte de fonds, ou dans les fondations, et contribuer davantage au financement des écoles : c'est le modèle que privilégient les plus grands établissements mondiaux. Mais les structures de gouvernance actuelles des écoles consulaires, avec un rôle central pour les CCI, empêchent la diffusion de ce modèle en France.
La présence de réseaux de diplômés à l'échelle mondiale peut aussi faire de ces derniers des relais d'influence pertinents pour aider les écoles au recrutement d'étudiants (notamment au niveau MBA) et les pousser à devenir les ambassadeurs de leurs anciennes écoles.
Enfin, ils peuvent aussi contribuer au développement de leur école via leur entreprise, en faisant de la business school où ils ont suivi leurs études la structure de formation de leurs salariés. N'oublions pas que la partie executive education[la formation à destination des cadres supérieurs] prend de plus en plus d'importance.
L'une des grandes difficultés auxquelles sont confrontées nos écoles est qu'elles n'ont pas encore initié une mécanique vertueuse mobilisant activement leurs réseaux d'anciens. Leurs consœurs américaines ou européennes ne commettent pas cette erreur, souligne notre rapport : les alumni occupent ainsi 63 % des postes de gouvernance des 100 premières universités américaines.
Les business schools devraient-elles favoriser la mixité sociale, en mettant en place des outils de démocratisation ?
Jean-Michel Huet : C'est une évidence, c'est même une ardente obligation pour ces établissements qui doivent contribuer à la diversification sociale dans l'enseignement supérieur. Si des initiatives remarquables ont déjà vu le jour (« Cordées de la réussite », gratuité des concours pour les boursiers, etc.) la barrière que constituent des droits de scolarité de plus en plus élevés reste une réalité ; les étudiants boursiers sont deux fois moins nombreux dans nos business schools qu'à l'université.
Pour favoriser la mixité sociale dans les business schools, nous proposons dans notre rapport la mise en place d'un barème permettant l'échelonnement des droits d'inscription. Il pourrait aller de la prise en charge d'un tiers des frais de scolarité pour les boursiers des échelons 1 et 2, à leur prise en charge totale pour les boursiers des échelons 5, 6 et 7. Les business schools devraient être des outils de démocratisation et d'ascension sociale ; à ce titre, nous pensons que l'Etat pourrait participer davantage à leur financement, contre l'engagement d'une plus grande ouverture aux boursiers.