A quand l’alternance tirée au sort ?
Par Christian Duteil
En principe et en théorie, le vote devrait être un moment rationnel où chacun pèse le pour et le contre et se prononce pour l’intérêt général à l’instant de mettre son bulletin dans l’urne (vote classique) ou d’appuyer sur la touche de son candidat favori (vote électronique).
Mais dans les faits, on se rend compte que les choses ne sont pas si simples et aussi rationnelles qu'on le prétend. On a plus ou moins conscience que nos choix électoraux sont aussi déterminés par notre origine sociale, nos conditions de vie, notre milieu familial, nos appartenances religieuses ou/et philosophiques ; nos trajectoires professionnelles, etc.
Sans oublier qu’on ne peut faire l’impasse sur nos émotions et nos affects devant la dramaturgie spécifique de chaque élection et par exemple la nécessité du fameux « vote utile » qui consiste à voter pour les deux candidats en tête des sondages tout en accentuant la bipolarisation de la vie politique. (polis en grec signifie la cité)
Nous ne votons pas pour le candidat parfait de nos rêves mais plus prosaïquement pour le moins imparfait à la situation du moment. Dans « La République », Platon soutient même que la démocratie est le moins pire des régimes politiques. Le scrutin uninominal serait donc loin d’être la panacée et de faire l’unanimité. On oublie au passage que dans l’Athènes antique, berceau de la démocratie, l’alternance ne sortait pas de l’urne mais d’un tirage au sort. La « lotocratie » politique créait jadis le consensus populaire et évitait bien des polémiques comme on a assisté, hélas, en cette fin de campagne présidentielle malgré l’image consensuelle de passage de témoin entre les deux présidents lors de la cérémonie du 8 mai. Aujourd’hui encore, en matière judiciaire, souligne le sociologue Pierre Mercklé, nous acceptons l’idée que les verdicts soient rendus par des jurys populaires tirés au sort, sans que quiconque songe à en contester la légitimité et la compétence. Et il précise, avec pertinence et impertinence, que les Verts de Metz viennent de désigner leurs candidats aux prochaines législatives par tirage au sort et que la Fondation pour l’innovation politique, le think tank proche de l’UMP, propose de désigner de la même façon 10% des conseillers municipaux dans les villes de plus de 3500 habitants. C’est, certes, encore timide, surtout en France moins en Allemagne souvent citée en exemple. Il reste que l’idée philosophiquement pertinente d’une « démocratie au hasard » resurgit depuis quelques années et fait son chemin en politique.
Un remède ultime et radical de s’en remettre au sort pour résoudre la crise ou de tirer la leçon que nos choix de plus en plus indécis et fragiles sont toujours irrationnels par essence ?
CD
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