Océan, à G.J.
Peinture June Bellamy
Océan, (courte nouvelle poétique)
à G.J.
Une cavale, farouche, fonce dans les flots drus de l’océan, cinglant le vent furieux de sa crinière folle... sous les étoiles abandonnées et languissantes. Course rebelle, contre son âme ignée... Cette rétive aux yeux océan est un mâle de la pure espèce, caracolant et piaffant devant l’insondable projet de sa propre destinée : il recherche sans plus y croire l’amazone de lumière qui saura se dresser entre lui et les abîmes pour le ramener à la mangeoire...
Où n’est-ce que fantasme pour cet indomptable? Ah, il en a côtoyé des belles au cœur à perdre et il s’est même laissé un temps chevaucher par l’amour mais il est trop altier (ou trop tendre?) pour ployer plus longtemps l’échine sous des caresses mensongères.
Elle était là. Pauvre fleur fanée, portée par la vague mourante sur la jetée. Et pleuraient les coquillages, et frissonnait la plage... ! Les années, comme un linceul, drapaient sa chair veuve.
L’alezan somptueux fait le beau devant la princesse abîmée. De la pointe du sabot il gratte le sable mouillé traçant un cercle magique autour de la femme chrysalide. Et voici qu’elle s’éveille, le regarde et ses mains se tendent quémandeuses et offrandes, étonnées... Ce rire à gorge déployée! Il est beau comme un dieu et ses yeux brillent l’invitant sans détour pour une messe archaïque qui se célèbre à deux.
Des jets d’écume translucide éclaboussent le ciel écarlate ou timide, retombant en gouttelettes fraîches sur la joue de l’amazone : “Qui donc es-tu,” dit-elle, la main en auvent sur son front encore un peu glacé. Elle le regarde, droit dans les entrailles.
Il laisse faire. Mais après un instant, le cheval se cabre, prêt à repartir au galop. Vive, elle se redresse, s’accroche à sa crinière : c’est la vie, à flot, qui revient, qui renoue, allumant un feu impudique dans ses reins trop ardents, fait trembler son étreinte, lui dérobe les jambes... Elle est nue et dorée comme l’aurore, comme l’amour sauvage qui déferle ... “Et toi, qui es-tu? De quelle énigme as-tu surgi?” Il crie dans le fracas des vagues anonymes. Elle le laisse emporter sa fière riposte et voici qu’il charge encore, quand elle ne s’y attend pas.
Non, ce n’est plus toi la belle qui mène le bal mais le Centaure surgi de l’océan qui jongle avec les étoiles et jette ton âme dans les tourments. N’est-ce pas lui qui pourchasse l’éphémère, lui, le diseur de secrets qui rêve de plaisirs infinis ou infâmes?...
Elle s’est assise. Elle pleure : la nuit en elle s’effiloche, lamelles. Un frisson oublié se faufile sous son sein, en cet endroit chaud et intime tremble un premier désir chaste encore... Alors un sourire violent embrase son regard femelle.
La nuit de la femme est vaincue.
L’Ange s’écarte un doigt sur les lèvres. Il emporte le péché loin des rives de l’amour.
L’alezan a perdu sa morgue. Le voici qui recule. “Je suis celle qui est, c’est toi qui m’a créée, c’est toi l’énigme dont j’ai surgi! Je suis née pour t’aimer, te chanter, t’emporter au-delà des pensées, des histoires, des promesses. Tu m’as regardée et tu mas inventée. Je suis tienne désormais, prend soin de moi. Maintenant.”
- “ Et demain?”
Le Centaure se fige dans sa peur. Elle avance d’un pas, tendue et tressaillant telle une adolescente à son premier rendez-vous : “Veux-tu goûter à ma bouche ta vie même? C’est de toi que j’ai surgi à nouveau vierge et neuve pour t’offrir toutes mes nuits, de cet instant. Aujourd’hui.”
- “ Et demain?”
Il pose les jalons, veut s’affranchir des pièges. Une femme est rusée, elle a toujours en réserve une flèche empoisonnée. Tout le monde le sait...
Elle encercle son cou puissant, glisse les doigts dans la crinière emmêlée d’embruns et de sel glacé, frôle de sa bouche brûlante les naseaux haletants de la bête chimérique. Les jeux sont défaits. Les règles désamorcées : il n’y a plus rien.
Lui.
Elle.
- “ Et demain?” ose-t-il encore murmurer, vaincu. Enfin il y croit. Elle dit doucement comme à un enfant capricieux : “Demain n’arrive jamais. On ne vit qu’aujourd’hui!” et elle rit ; puis d’un bond sur son échine, chevauche le sauvage captif.
Il se cabre encore. Elle s’enroule à lui, l’enserre de toute sa douceur. La caresse l’apaise : il veut bien finalement qu’elle l’apprivoise. A la nuit tombée, la magie a vaincu, le Centaure triomphe tandis que près de lui sommeille sa cavalière. Elle a bu à la coupe du plaisir éternel et demain...
- “ Et demain?”
Ils habitent à jamais l’Instant éphémère, un pont sur le néant. Une prière. Réinventent leur soif à même leur âme jumelle. Et l’Océan se referme sur les Amants Hors du temps...
Lorsque tombe le crépuscule, les véritables amoureux, ceux qui tutoient les Etoiles, la Neige, le Vent, les Cimes et l‘Océan, et seulement ceux-là, peuvent apercevoir sur la dune à l’heure où l’on guette le Rayon vert, le noir cheval sauvage emportant vers le large en un galop rebelle, amoureux, passionné, son amazone au cœur brasier... vers l’éternité des Impossibles Amants.
© Mahia Alonso
Peinture June Bellamy