Eleonore Favre, projectionniste
Eléonore Favre,
projectionniste au « Champo »
Une gersoise à Paris.
Eléonore a eu 21 ans le 2 octobre dernier. Elle est projectionniste dans l’un des cinémas les plus anciens de Paris : le Champo. Une jeune nana courageuse, venue à Paris voici quatre ans. D’abord pour y faire sa formation de projectionniste pendant un an en alternance – une semaine à Paris et une semaine à Auch, dans le Gers d’où elle est originaire. Puis elle a décroché un CDI au Champo, il y a trois ans.
« J’ai préparé mon CAP opérateur-projectionniste car je voulais arrêter le lycée. Mes parents sont tous deux artistes (la maman, c’est Isabelle Gaignier, la première « The Nana » de nananews :
http://www.nananews.fr/fr/les-qtheq-nana-de-la-semaine/21-isabelle-gaignier
(ndlr) et je voulais rester dans le milieu des arts…
J’ai hésité entre musique et cinéma… Et voilà, c’est le cinéma qui l’a emporté grâce à maman. »
C’est en effet Isabelle qui a trouvé cette formation sur Internet. Eléonore avait seize ans, il n’était pas question de la lâcher sans rien dans la nature !
Pour Eléonore, tout semble naturel : «J’ai rencontré le projectionniste du « Reflet Médicis » qui connaissait Daniel, le chef de cabine du Champo. Justement ils recherchaient quelqu’un… Et voilà !»
Le refus du numérique
Son travail consiste à tenir la caisse puis passer à la projection.
«Le Champo, c’est très particulier car on utilise de vieilles pellicules : quand le film arrive, il faut le monter et il faudra tout démonter quand il repartira. Il y a 5 à 6 bobines. Les vieux films, ça casse facilement. Comme ils se dégradent, il y a aussi des copies, mais elles ne sont plus toutes jeunes, non plus… C’est ce qui fait le charme du Champo… On est un peu dans Cinéma Paradisio de Tornatore… Pour un film des années 20, il n’y a plus de copie car le support a changé. A présent, tous les films vont partir pour être stockés. Les laboratoires ferment et avec l’arrivé du numérique, il n’y aura plus de copies.
C’est l’ordinateur qui va tout faire… Pour moi, c’est une catastrophe : je refuse le numérique! J’aime le côté artisanal de ma profession et cette ère nouvelle va tout changer. Je ne veux pas suivre. Je vais me recycler… complètement. Dès que je ne pourrais plus projeter ... »
Eléonore pense à passer un autre CAP sur la petite enfance, cette fois. On lui a dit que c’était bouché mais elle veut tenter tout de même…
«Je veux rester à Paris encore quelque temps mais je dois absolument trouver à me loger.»
Une romance qui se termine et un toit à trouver rapidement, le métier qui prend un nouveau tournant, cela fait beaucoup pour une jeune femme d’à peine 21 ans. Mais elle ne s’apitoie pas sur son sort. Elle m’entraîne dans la salle de projection au rétro-réflex.
«Nous sommes au–dessus de l’écran. C’est tout un système de miroir qui projette le film», explique-t-elle et elle rappelle qu’en 1941, un incendie a détruit la cabine d'origine, dont l'exiguïté interdit la reconstruction selon les normes de sécurité. Le propriétaire Roger Joly invente alors le fameux "rétro-réflex", un système inédit de projection, mis au point avec un ingénieur des travaux publics et l'institut optique : de la nouvelle cabine située au-dessus de l'écran, un périscope envoie l'image sur un premier puis un second miroir, qui la renvoie sur l'écran. Je regarde, fascinée. Je sais que ce lieu a été le QG de Truffaut comme de Chabrol. Tous les amoureux du cinéma, je parle des vieux films, tous ont laissé et laissent ici un peu de leur âme. Je suis émue. Et cette jolie jeune femme, mélancolique à l’idée de la modernité qui vient tout flanquer par terre, me parait encore plus belle, plus touchante.
« J’aime les films anciens », dit-elle en mettant ses bobines en place. A ma question muette, elle répond en souriant :
«Non ce n’est pas dur, les copies font entre 20 à 25 kg, mais ça va. Je sais que je resterai nostalgique de ce milieu. Ici dans le Quartier latin, les projectionnistes, nous formons une famille. Il y a entre nous une forte solidarité. Daniel, le chef de cabine est là depuis trente ans… Moi, je travaille du vendredi au dimanche ; la semaine, c’est Olivier, l’autre projectionniste et puis il y a deux ouvreuses, Françoise et Valérie, mère et fille…
"On est vraiment en famille"
Elle me raccompagne et avant de remonter dans la cabine de projection: "Faut être très réactif, si ça coupe, on doit réparer vite caril faut pas gêner le public!"