Hélène Archidec, maître de chai
« Le métier de la vigne, ce fut pour moi une révélation tout à fait par hasard »
Elle se préparait à poursuivre des études de biotechnologie à objectif médical. Elle se retrouve dans la section œnologie pour renforcer le contingent féminin de l'établissement scolaire! C'était à Blanquefort, en Gironde, il y a un peu plus de vingt ans.
La jeune quarantaine, le physique solide, chaleureuse, Hélène Archidec s'avance à ma rencontre tandis que, flairée par ses quatre chiens à ma descente de voiture, je me tiens coite. Elle me fait la bise. Nous nous sommes rencontrées il y a deux jours, lors d'un salon du foie gras et rendez-vous a été pris pour Nananews.
Nous sommes dans le Gers. Pour arriver au domaine de Herrebouc, j'ai emprunté une petite route sinueuse et étroite qui épouse le coteau, à la sortie de St-Jean-Poutge. A mi-chemin, un hameau fort encaissé. A partir de là, on descend vers l'île où s'élève la tour du Domaine, un imposant édifice datant de la fin du XIIIe siècle et qui me sert de repère depuis un moment. Tout en bas, entre la Baïse qui s'écoule paisible et le canal de l'écluse, le Domaine de Herrebouc. Ma première visite. Sous un ciel pur, dans une blonde lumière délicieuse.
Dès que j'ai franchi le portail, les bâtiments du Domaine disposés en rectangle autour d'une vaste cour, me prennent le cœur. Ici, comme dit Baudelaire, tout est calme, luxe et volupté : harmonie et sérénité se dégagent des bâtisses dont l'architecte, probablement un initié, en a calculé les lignes selon le nombre d'or...
Quand les chiens se sont élancés vers moi en aboyant, saisie par la beauté du lieu, je suis demeurée sans crainte. A présent, ils me reniflent et semblent même prêts à remuer la queue en signe de bienvenue.
Hélène m'entraine vers ce qui est son domaine propre : le chai.
Une vaste salle aux murs de pierres ancestrales, maintenue dans une fraîche pénombre. Adossées au mur, de hautes cuves en inox. Au centre du chai, des fûts de chêne. Plus loin un espace de stockage dédié au vieillissement des rouges.
Tandis qu'Hélène évolue en me parlant de son métier, je prends quelques photos. C'est la partie toujours la plus délicate du reportage : l'objectif ne met pas forcément les gens à leur aise ! Quand la glace est rompue, en fin d'entretien, je prends d'autres clichés mais, est-ce l'effet de surprise, le meilleur s'avère bien souvent être ma première prise !
J'ai bien révisé ma leçon avant de venir retrouver Hélène Archidec : Le maître de chai est responsable de l'élaboration et de l'élevage du vin. Il règne sur la cave : de l'arrivée du raisin jusqu'à la mise en bouteilles, c'est lui (ici, elle) qui élève le vin.
Elever le vin, quelle jolie expression pour qui est sensible aux chants du vin qui toujours envoûtent le poète ...Plus prosaïquement, l'élevage du vin c'est l'ensemble des soins à donner au vin entre la fin des fermentations et la commercialisation ou le conditionnement.
Le maître de chai, en collaboration avec l'œnologue, supervise toutes les opérations qui conduisent à l'élaboration du vin. A Herrebouc, l'œnologue c'est aussi Hélène :
« Rigueur et simplicité sont les maîtres mots de notre travail de vinification. Les interventions œnologiques sont raisonnées pour ne pas modifier le caractère naturel du raisin et donc l'effet millésime... »
Ses explications accompagnent la visite : la réception de la vendange – de l'érafloir (pour réaliser certaines vinifications, il faut parfois séparer le grain de raisin de la rafle, ndlr), au fouloir et à la pompe à vendange – ainsi que les pressurages, tout cela est réglé avec précision afin de respecter l'intégrité de la vendange et limiter les phénomènes oxydatifs :
« On utilise des levures neutres pour permettre au raisin d'exprimer pleinement son caractère propre. »
En fait, les processus d'extraction, de macération et d'élevage sont réévalués chaque année en fonction de la maturité du raisin :
« Cépages et parcelles sont vinifiés séparément puis assemblés selon une sélection minutieuse des différentes cuves et varient donc d'une année sur l'autre ».
Et l'élevage se poursuit ensuite en cuves ou en fûts de chêne, puis en bouteilles.
Mais comment devient-on maître de chai ? Et maitre de chai au féminin ?
La vigne dans le sang.
« J'ai fait des études de biochimie après un bac F7. C'est par hasard que je me suis retrouvée dans la vigne ! En 1990, je passais un entretien pour intégrer un établissement agricole, à Blanquefort, en Gironde, section analyse biotechnologique à objectif médical. C'est le directeur de l'établissement qui m'auditionne... Il m'a proposé de rejoindre la section œnologie car il souhaitait y voir venir beaucoup plus de filles. Il m'a fallu un centième de seconde de réflexion et je me suis dit : on y va !
Cela a été une révélation pour moi : j'étais destinée à bosser dans un laboratoire et voilà que je chausse des bottes pour aller marcher dans les vignes. J'ai fait deux années de NTS en viticulture/œnologie, un an de commercialisation en vin et spiritueux. J'ai commencé à travailler en faisant mon tour de France : 3 ans dans le Médoc, puis l'Alsace, la Normandie, les Charente-Maritime, le Frontonais... et le Gers. Ma région de cœur, c'était le Médoc où j'ai grandi au sein d'une famille agricole, originaire du Gers et de l'Ariège. Le Médoc et, plus largement, le grand Sud-ouest : quand on est du Sud-ouest, on est désespérément du Sud-ouest !
Et la vigne, en fait, je l'ai toujours eu dans le sang mais je ne m'en suis rendue compte que sur le terrain...
Quand je travaillais là-haut (au-dessus de la Loire pour les gens du Midi, c'est le nord lointain, ndlr), l'océan, les vallons, les Pyrénées me manquaient trop et donc au bout de dix ans de pérégrinations au gré des contrats au cours desquels j'ai appris un maximum de choses, où j'ai expérimenté tous les maillons de la chaine, je suis arrivée dans le Gers. C'était en 2003. »
C'est alors qu'elle rencontre Carine Fitte venue chercher des renseignements à la Chambre d'Agriculture du Gers où Hélène est en poste à ce moment-là. Carine avait décidé de reprendre le domaine de Herrebouc, ses parents prenant leur retraite. Les deux jeunes femmes sympathisent. Elles sont complémentaires : l'une a le vignoble, l'autre le savoir-faire et l'expérience. L'association de leurs compétences voit le jour. A Carine qui a fait une école de commerce, la partie commerciale ; Hélène prend la direction de la partie technique, de la vigne et du vin. Avec elles, Jean-Paul, l'ouvrier viticole. Tous trois déterminent les itinéraires souhaités pour la vigne.
Mais le chai reste le domaine exclusif d'Hélène. L'alchimiste, c'est bien elle !
« Concrètement, mon travail au chai consiste à piloter la fermentation. Je réceptionne le raisin brut produit de la vendange, avant de procéder à l'élevage du vin, à la préparation des cuvées et à la mise en bouteilles, tout en assurant l'organisation matérielle et la gestion du chai : respect des normes d'hygiène, gestion et surveillance du niveau des stocks année par année, déclaration administrative de la récolte. Mais tout ce que j'entreprends, c'est toujours en étroite concertation avec Carine. »
Les deux femmes ont créé une gamme de vins en 2004. Les précédents exploitants du vignoble étaient coopérateurs :
« On a donc dû créer toute une gamme, contenu et contenant. Et depuis 2005, nous sommes passées en agriculture biologique. C'est devenu officiel en 2007 et certifié en 2010. »
Elle me donne un cours d'œnologie : « le vin élevé en barrique est plus sérieux, plus complexe, plus puissant. En cuve, il sera plutôt fruité, plus léger. Un vin, à un moment donné trouvera le client qui lui convient... »
Elle parle du vin comme d'une personne. Je ressens le mystère de cette alliance, un brin fascinée. Le Domaine de Herrebouc n'a rien à envier au Royaume de Camelot. Ici pas de fée Viviane mais la fée Carine que je ne verrai pas ce jour-là, et qui par son absence est omniprésente... Le Domaine de Herrebouc doit son nom au château et au moulin construits à la fin du XIIIe siècle sur les rives de la Baïse, dominé par les coteaux argilo-calcaires où s'étagent les douze hectares du vignoble, dont un tiers planté de vieilles vignes :
« La conduite rigoureuse de la vigne et des processus de vinification, couplée à une recherche permanente d'optimisation des itinéraires techniques, ça nous permet d'obtenir un raisin sain, mûr et concentré qui promet des vins francs, structurés. Des vins expressifs ! »
Pratiques viticoles
Hélène détaille les pratiques du Domaine :
« La gestion des rendements est l'une de nos priorités car ils garantissent l'obtention d'une matière première de qualité. Grâce à une taille maîtrisée (guyot simple), aux travaux en vert et à la nature même du sol, ils varient de 10 à 45 hl/ha en fonction des cépages et des millésimes.
Le travail du sol occupe une place centrale : apport d'engrais organique et de compost pour favoriser la vie microbiologique et la structure, décompactage superficiel pour aérer les sols et faciliter la pénétration de l'eau. Pour lutter contre l'érosion, nous favorisons l'enherbement naturel des parcelles en pente.
L'ébourgeonnage et l'effeuillage sont faits à la main tandis que le désherbage et l'épamprage sont mécaniques. Pour les traitements, sur le plan phyto : utilisation de souffre et cuivre aux « bonnes doses » et au « bon moment » grâce à une observation précise et régulière des parcelles.
La moitié des vendanges se fait à la main et elles sont impérativement manuelles lorsqu'un tri à la parcelle s'impose. Seul un raisin parfaitement sain et donc mûr, parviendra dans nos cuves... »
La fraîcheur persistante du chai nous chasse vers la boutique qui lui est attenante. C'est semble-t-il un haut lieu de l'art où s'exposent peintures et sculptures d'artistes connues de Carine et Hélène et où se dégustent les précieux nectars. Ce qu'elle m'invite à faire...
©Mahia Alonso pour Nananews
Domaine de HERREBOUC
Propriété de la famille Fitte
Médaillé au concours des vins 2008
DOMAINE DE HERREBOUC
VIN DE PAYS DU GERS Sec 2006
Depuis 2010 ce vignoble est certifié au titre de l'Agriculture Biologique. Le Vin de Pays La Tour de Herrebouc blanc 2008 (Colombard majoritaire avec 30% d'Ugni Blanc), qui a bénéficié d'un élevage de 18 mois en fûts de chêne de 1 à 3 vins, dégage un nez complexe dominé par les agrumes et l'amande, est d'une jolie persistance, sec mais aussi fondu. La Tour de Herrebouc rouge 2009, (60% Merlot et le reste en Tannat) le Tannat ayant été élevé 12 mois en fûts de chêne neuf et le Merlot en cuves, donne un vin de bonne base tannique, très équilibré, riche et charnu, au nez dominé par le cassis mûr et le fumé. Goûtez le Domaine de Herrebouc rouge 2010 (100%Merlot, élevage en cuves Inox), dense, au nez complexe où dominent la fraise des bois, mûre et l'humus, est très bien élevé, de robe profonde, de bouche classique, un vin corsé et gras. L'année 2010 est particulière dans le sens où il n'y a pas eu d'eau ; les rendements s'en sont ressentis sur l'ensemble du vignoble, 20 hl/ha en moyenne, mais les vins n'en sont que plus riches et concentrés. Le blanc 2010, 100% Sauvignon gris, au nez de petits fruits frais, ample et persistant, qui développe en bouche des nuances de citron, est très bien élevé, fin et subtil.
Famille Fitte
Domaine de Herrebouc
32190 Saint-Jean-Poutge
Tél. : 05 62 64 68 34 et 06 88 17 07 94
Fax : 05 62 64 68 35
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