Jacqueline Kelen : écrivaine à contre-courant
Une femme qui prône le fin’amor : « Je me sens une femme qui brûle et qui est brûlée - par l’amour, par l’étude, par la beauté et la douleur, par les rencontres aussi... »
Diplômée de lettres classiques, Jacqueline Kelen a été productrice d'émissions à France-Culture pendant vingt ans et anime depuis une quinzaine d'années des séminaires d'expression orale et de communication dans l'enseignement supérieur, pour des jeunes âgés de 18 à 25 ans. Jacqueline Kelen consacre la plupart de ses livres et de ses séminaires au déchiffrement des mythes de la tradition occidentale et à l’étude de la voie mystique. Parmi ses ouvrages à succès, on peut citer 'Aimer d'amitié', 'La Déesse Nue' et 'L' Esprit de solitude', qui a obtenu le Prix Alef 2002 des libraires du mieux-être et de la spiritualité.
Extrait d’un entretien accordé à CLES
(http://www.cles.com/entretiens/article/la-beaute-est-une-manifestation)
« J’étais une enfant solitaire et heureuse de l’être. Je lisais énormément. Il me semblait que j’avais déjà mille ans, que je venais de bien plus loin que du jour de ma naissance. Cette sensation m’étonnait.
J’avais une passion pour l’étude. C’est, du reste, le génie de la tradition hébraïque : les juifs interrogent inlassablement les textes, les commentant, car il en va de la liberté humaine. Il me semble que les catholiques devraient étudier et se cultiver davantage, au lieu de répéter des formules et de se contenter des réponses du catéchisme.
Adolescente, en regardant les humains marcher dans la rue, je me faisais cette réflexion étrange : “Il y a peu d’êtres vivants”... Pour ma part, je vivais avec le Christ, mais aussi avec les chats, les fleurs, les rêves, les poètes. Je me suis très tôt sentie oiseau de passage, exilée en ce monde.
Mon chemin s’est fait progressivement et l’étude des mythes s’est accompagnée de la lecture incessante et passionnée des mystiques - égyptiens, tibétains, chrétiens, soufis ou juifs,... Tous me nourrissaient et m’éblouissaient.
Le langage des sages et des mystiques est universel dans sa diversité, contrairement au langage unique de la mondialisation qui réduit et appauvrit. À leur façon, les mythes sont inépuisables, éternellement jeunes, parce qu’ils sont reliés à la Source. Il en va ainsi de toute parole prophétique.
Élevée dans la religion catholique, on m’avait présentée Marie Madeleine comme une prostituée et une pécheresse repentie. Or, les poètes et les peintres la montraient comme une reine... Je ne comprenais pas où avait eu lieu la scission et j’ai cherché du côté des Évangiles apocryphes, très difficiles à trouver à l’époque, car interdits par l’Église de Rome. Dans ces lectures, j’ai rencontré une femme de lumière, éveilleuse, une femme qui avait part à la Connaissance spirituelle.
Dans les Évangiles officiels, Marie de Magdala garde le silence, mais dans les Évangiles secrets, elle transmet une parole prophétique, c’est-à-dire impérissable, toujours verdoyante, une parole qui fait danser les montagnes... Alors jeune éditeur, Marc de Smedt a eu un véritable coup de cœur pour mon manuscrit et l’a publié en 1982. Je lui en garde une immense gratitude. Marie Madeleine a le rôle difficile, sans cesse contesté, d’éveiller le cœur de l’homme et c’est, pour moi, la nature profonde de la femme. Inlassablement, celle-ci doit parler et témoigner dans sa chair de l’amour. De cet amour qui se rit du temps et de la dégradation, qui est connaissance et ouverture à l’infini.
Aujourd’hui, trop de femmes ne cherchent plus l’amour mais un homme dans leur vie. Aimer fait peur, c’est une expérience qui envahit tout l’être, le bouleverse, le déborde et le dépouille.
Prendre le risque de l’amour, ce “beau risque”, comme le disait Socrate à propos du mythe, agrée aux cœurs libres.
Une femme, tout particulièrement, devrait inviter à cette aventure chevaleresque et à cette passion qu’est l’amour. Quand on considère le code de le Fin’Amor (“parfait amour”) du XIIe siècle, quand on lit les poèmes et les romans courtois du XIIe et XIIIe siècles ainsi que les récits mystique des Fidèles d’Amour persans, c’est toujours la Dame - une femme “sage et belle”, autant dire éveillée - qui inspire et oriente chevaliers et troubadours dans leur quête.
La vie nous demande confiance, ardeur et humilité. Il n’y a pas de chemin de maturité sans épreuves. Celles-ci sont autant de portes, autant de rencontres qui nous forgent et nous enseignent. Pour moi, une “belle vie” ne consiste pas en une succession de bonheurs, de plaisirs ou de gratifications. C’est une vie remplie de toutes sortes d’expériences, de souffrances comme d’espérances, c’est une vie intense, entière. Avoir une “bonne vie”, c’est tout embrasser, ne rien rejeter, c’est avoir envie de tout bénir, de tout serrer sur son cœur...
Il est important de ne pas passer à côté des grandes rencontres, de ne pas s’y dérober, qu’elles s’avèrent heureuses ou pas. Elles sont peu nombreuses sur le chemin. La rencontre exige attention et disponibilité, elle est une élection.
L’amour n’est ni la confusion ni la promiscuité, et la vie conjugale doit respecter, et même révérer, le secret et la solitude de chacun des époux.
Nous sommes mendiants de l’amour et en même temps, nous sommes si avares de signes de tendresse, de gestes affectueux. L’amour ne paraît plus essentiel aux mortels. C’est peut-être pour cela qu’ils restent mortels ! »