Jamais de la vie : pas d’enfant !
Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales adeptes de la conception et de l’éducation sexuelle, la maternité est un choix mûrement réfléchi et n’est plus une fatalité subie par les femmes. Aussi, voit-on se multiplier des couples sans enfants qui paraissent satisfaits de ce choix volontaire de vie. Leur pari moderne : se dire qu’on a toute la vie et qu’il faut d’abord la vivre à fond à deux et mener sa carrière sans avoir à jongler avec les horaires de crèche ou les problèmes de nourrice. Puis à l’approche de la quarantaine, on se dit que le temps presse. On doute, on s‘interroge car c’est maintenant ou jamais, et c’est très tendance : les stars exhibent sans complexes leur ventre rond. Alors avec ou sans enfants ? Ca se discute dans l’ambivalence des sentiments : entre deux égoïsmes, entre le désir et l’envie.
Le désir d’enfant partagé ?
« La vie est une maladie sexuellement transmissible » glisse Jacques Dutronc. Sous l’ironie pertinente et impertinente, l’artiste rappelle ici une vérité essentielle : un enfant se fait à deux, il incarne le désir d’un homme et d’une femme et est le fruit d’une rencontre sexuelle entre deux êtres, voire l’aboutissement d’une histoire d’amour, pas seulement de corps à corps désirants. Comme le souligne Catherine Bensaïd, « faire un enfant pour soi sans se soucier du père, c’était la grande mode des années 80. Aujourd’hui, les femmes ont compris que la grande difficulté est justement là : un enfant se fait avec quelqu’un, dans un désir d’enfant partagé ».
Paradoxalement, alors que les Françaises font moins d’enfants qu’autrefois, le désir d’en avoir est beaucoup plus fort. Ce qui est rare est encore plus désirable : l’enfant n’est plus conçu comme une fatalité, du moins dans nos sociétés qui maîtrisent les techniques de contraception et prêchent pour l’éducation sexuelle dès l’école. Si l’on en croit l’enquête réalisé par le sociologue Vincenzo Cicchelli sur le désir d’enfant chez les femmes dans la population française, elles envisagent leur rôle maternel comme une véritable transformation, un bouleversement identitaire, voire une révolution dans leur mode de vie. Elles ne subissent plus la maternité mais elles la programment dans leur vie de couple. Baignées par les paroles de psychanalystes comme Françoise Dolto, elles se sentent investies d’une énorme responsabilité psychologique et affective. Au bout du compte, on fait moins d’enfants en ce début de IIIe millénaire mais ce sont des bébés de l’amour qui s’inscrivent dans un projet familial. Il n’y a pas plus de naissance gratuite que d’acte gratuit, c’est-à-dire sans causes.
Alors pourquoi certains couples non stériles et aux revenus confortables refusent-ils de mettre au monde des enfants, de se prolonger et d’incarner leur désir ? « Nous n’avons pas voulu d’enfants, car notre couple n’est pas mûr pour en avoir. Notre relation de couple en aurait sans doute pâtie : un enfant, ça s’assume au quotidien, même la nuit, or, nous n’en étions pas capables… Et puis nos familles étaient trop pesantes, très présentes », déclarent Julie et Michaël qui s’affichent comme un couple heureux, sans enfants et « sans histoires », ce qui est peut-être un lapsus significatif de leur psychopathologie quoditienne
Entre désir et envie
Car le « je ne veux pas d’enfant » n’est peut-être pas à prendre au pied de la lettre, d’autant que l’amour implique une prise de risque, avec ou sans enfants. On échange sans doute un égoïsme à deux contre un égoïsme à trois, voire plus.
« Il faut faire la différence entre le désir et l’envie d’avoir un enfant », nuance la psychanalytse Catherine Mathelin. « On peut vouloir consciemment un enfant et inconsciemment ne pas en désirer. Et inversement ». Certaines personnalités narcissiques supportent mal de ne plus donner une image parfaite de leur silhouette lors de la grossesse et ne se reconnaissent plus dans le regard d’autrui. A tort ou à raison, elles ne se sentent plus désirables, se jugent diminuées et craignent l’accouchement vécu comme déchirure et atteinte à l’image idéale de leur corps. Vergetures, épisiotomie, forceps, vagin distendu, prise de poids peuplent les fantasmes de ces jeunes femmes qui ont fait le deuil de la maternité et l’assument. Du moins en paroles : « Je ne supporterai pas d’avoir une image déformée de mon corps et de ne plus être désirable, même pendant seulement quelques mois… Et puis, j’aurai l’impression de me mettre en danger, de végéter et de régresser », déclare Valérie, 38 ans, une jolie brune qui fait tourner la tête des hommes sans les prendre pour des géniteurs potentiels mais seulement pour des amants qu’elle « note au lit » (sic), avoue-t-elle sans complexe.
Jouir sans entraves : le non …mais
« Il est interdit d’interdire » et « Jouissons sans entraves » ont remplacé le commandement biblique de procréer et de peupler la terre. Ces slogans de Mai 68 ont marqué les esprits même s’ils semblent aujourd’hui datés et que ceux qui nous gouvernent « veulent en finir avec la pensée de Mai 68 » (sic) . Avant, les femmes se mariaient jeunes et devenaient mères dans la foulée, quelques mois après. Aujourd’hui, on vit dans une société où la liberté sexuelle, malgré le spectre du sida, est entrée dans les mœurs et où une femme seule qui veut devenir mère peut se faire inséminer. Des couples se forment et se déforment sans le lien de l’enfant vécu parfois comme boulet au moment de la séparation. Mais ces couples sans progéniture vivent aussi des blocages inconscients et n’ont pas le même rapport au temps selon leur sexe. Les femmes savent qu’un jour, elles ne pourront plus faire un enfant. A l’approche de la quarantaine, elles commencent à s’interroger : « Quel est le sens de ma vie ? Une vie sans enfants a t-elle un sens ? Que vais-je laisser derrière moi ? ». Certains garçons, trentenaires encore couvés par leur mère, savent plus ou moins consciemment qu’ils doivent jouer le rôle de l’éternel enfant auprès de leur mère plutôt que celui de père. Ils ont bien le temps de trouver le grand amour et de faire un enfant… à l’exemple d’Yves Montand, père sexagénaire d‘un petit Valentin.
Vie et mort
Enfin, nous vivons dans un climat de sinistrose qui n’incite guère à la maternité et à la paternité, voire à des projets à long terme. « De voir mes meilleurs potes assumer les responsabilités d’une famille et des fins de mois m’a vacciné et coupé l’envie de programmer des enfants », avoue Denis, 35 ans. « Et le monde dans lequel nous vivons depuis notamment le 11 septembre, m’a fait encore plus prendre conscience de la fragilité de nos existences et de l’apocalypse qui nous guette en ce début de millénaire. Alors, mettre un enfant dans ce monde là, très peu pour moi, mais je comprends le désir des autres de donner la vie, de vouloir fonder une famille en ces temps difficiles ».Car effectivement, pour oublier le nihilisme ambiant et le syndrome du bio-terrorisme, on peut tout aussi bien militer pour la vie et choisir de faire des enfants en 2007.
« La seule façon de combattre la mort, c’est de donner la vie » note l’écrivain Martin Gray. Eternel balancement de l’histoire entre Eros et Thanatos, pulsions de vie et de mort, qui fait que nous sommes nés là pour en débattre.
Femmes sans enfants : pourquoi ?Elles refusent de donner la vie et de se prolonger dans un univers, selon elles, sans futur et sans certitudes Elles redoutent de mettre un enfant au monde dans un environnement de guerre, de sang et de pollution, d’en faire de la chair à canonElles désirent avant tout réussir leur vie de couple Elles privilégient d’abord leurs études et/ou leur carrière professionnelle Elles n’ont pas trouvé le père idéal. Elles craignent la dépression maternelle qui suit la naissance de l’enfant Elles redoutent de voir leur corps déformé par la grossesse. Elles ne se sentent pas mère et ont peur de subir l’accouchement Elles ne veulent pas que leurs mères deviennent grand-mères, que leurs pères jouent les grands pères. Elles se sentent trop narcissiques pour donner la vie. Elles ont peur de la dépression qui suit la naissance de l’enfant. |
Hommes sans enfants : pourquoi pas ?Ils ne veulent pas partager l’amour de leur femme avec un bébé, craignent qu’elles les négligent pour pouponner à leur guise. Ils la préfèrent plutôt amante que mère Ils n’ont pas trouvé la mère idéale. Ils refusent d’assumer l’éducation d’un enfant, se jugeant eux-mêmes immatures. Ils estiment que la réussite professionnelle et sociale exige une disponibilité totale. Ils sont toujours restés le petit garçon de leurs mères Ils ne veulent pas donner la vie dans un monde en crise, voire fou. Ils pensent qu’un enfant, c’est aliénant, que sa venue est la fin de la liberté dans le couple, que programmer un gosse, c’est le comble de l’égoïsme et une manière de combler son désir d’éternité en se prolongeant. |