De la colonisation
à l’amour, à la trahison, aux regrets
L’Algérie
On ne peut comprendre la douloureuse histoire de l’Algérie si on ne connaît pas les fonctionnements de ce qui préside aux colonisations, ce que Hannah Arendt a précisément développé dans un livre « Les origines du totalitarisme : la colonisation ».
Pour résumer disons qu’un envahisseur pour s’approprier un pays ou des territoires, va considérer que la population du pays est « inférieure » ; il va la « chosifier » ne plus la considérer comme « humaine » et convaincu alors de sa propre supériorité, incontestable à ses yeux, il va pouvoir pratiquer un génocide orchestré selon ses besoins et nécessités: disparition des autochtones par meurtres, assassinats et spoliations de tous les droits humains fondamentaux et élémentaires, camps de concentration ; il s’applique alors avec systématisation à faire disparaître ce qui était avant lui de façon à pouvoir sur une place nette, s’installer avec ses propres coutumes et cultures ; il tue, torture, massacre, viole sans état d’âme puisque ceux qu’il assassine ne sont pas des êtres humains , mais des « choses ».
L’Espagne, l’Angleterre, la France ont pratiqué ainsi, de même que tous les pays qui ont été des colonisateurs dans l’histoire de l’humanité. Ce sont eux qui ont développé les méthodes. Et ce sont leurs méthodes que la Bosnie a utilisées ; ce sont leurs méthodes que l’Allemagne nazie a pratiquées dans sa conquête de l’Europe : races inférieures à faire disparaître ou à mettre en esclavage, récupération des terres et des biens, appropriation des pays et des territoires…Génocides parfois...
Evidemment, ce sont les politiques et les dirigeants, les leaders des États qui décident des guerres et des colonisations, jamais les populations en transhumance qui vont s’installer, pleine d’espérance de vie nouvelle.
La colonisation de l’Algérie à partir de 1830 a été violente et terrible, meurtrière. Si vous prenez la peine de survoler le hors série que nous avons rédigé dans ce magazine, vous serez horrifiés par ce que la France a organisé de crimes qu’on peut qualifier « contre l’humanité » pour disait-elle « pacifier » cette région.
Et malgré tout mon amour pour cette « Algérie Française » dont je suis par ma mère et nostalgique à jamais, si je comprends le malheur, la détresse, le ressentiment et la colère, les regrets des Français d’Algérie, piétinés par l’Histoire, je sais aussi que cette Histoire a fait des morts injustes des deux côtés de la rive et que pour ceux que la colonisation de la 4ème République appela « les indigènes », aujourd’hui les Algériens, ce fut un long calvaire qui ne s’arrêta en somme que lorsqu’ils décidèrent de se rebeller, à cette date fatidique du 8 mai 1945, où par représailles, les militaires Français sur décision du gouvernement assassinèrent des milliers d' Algériens, entre 30 000 et 45 000 selon les sources.
Le 8 mai 1945, les Algériens tués par les militaires Français dans le Constantinois changent le destin de l’Algérie Française et des pieds-noirs. C’est ce jour-là qui marqua l’origine de cette guerre d’Algérie que, jusqu'en 1999 l'État Français s'obstinera à n'appeler officiellement que par les termes d'« opérations de maintien de l'ordre » et qui traumatisera durablement et jusqu’à aujourd’hui les sociétés française et algérienne, les militaires des deux camps et les populations d’Algérie de toute origine et confession.
Juifs, musulmans ou chrétiens, pieds-noirs de souche Française par naissance ou naturalisation, la guerre d’Algérie a touché chacun dans sa chair, dans ses racines, dans son identité : les Algériens qui se battaient et se révoltaient pour se dégager d’une France sanguinaire qui les avaient colonisés et massacrés avec le désir d’un génocide nécessaire à son implantation et les Français d’Algérie, ceux qu’on appela les « pieds noirs », dans leur plus grand ensemble des déracinés en détresse, pauvres et humbles, malgré quelques aventuriers et politiques vaniteux et cruels.
Des pieds-noirs qui travaillèrent le joug au cou et à la herse pour défricher les marais, planter des orangers et des blés, construire des écoles ; des pieds-noirs qui s’enracinèrent sur cette terre sèche et poussiéreuse et dont les amis s’appelèrent Moktar, Moshé ou Martin ; des pieds noirs qui sur plusieurs générations ne connurent d’autre terre, d’autre sol où enterrer leurs morts que le sol et la terre d’Algérie, leur terre à eux aussi, donnée par loi au bout de 20 années d’exploitation, s’ils avaient été capables de la faire fructifier ; des pieds noirs qui n’avaient jamais vu le sol de cette France mythique dont on leur parlait à l’école ; des pieds noirs qui vivaient loin des sénateurs et des députés, loin de ceux qui gouvernaient, attachés seulement à vivre en famille et en harmonie avec les « arabes », et qui ne comprirent pas pourquoi on allait les expulser, leur prendre des biens acquis par un dur travail sur plusieurs générations, mais hélas, des pieds noirs qui n’avaient jamais réfléchi vraiment à ce pays qu’ils avaient envahi, qu’on leur avait proposé comme une source de vie nouvelle.
C’est dans cette ignorance de l’autre qu’on exploite et spolie que se sont installés les pieds-noirs sur la terre d’Algérie, inconscients du mal que l’État Français faisait aux « Indigènes » (comme on les appela jusqu’au début des événements de 1954), et de l’injustice qui les réduisait aux malheurs, à la misère, au dénuement et aux maladies, aux famines et à leur exploitation physique lorsqu’ils n’eurent plus de terres à cultiver pour nourrir leurs familles.
Des indigènes déchus et réduits par le code de « l’indigénat » qui leur supprimait tout droit politique et civique, leur patronyme d’origine qu’ils durent arabiser, dont toutes les terres furent confisquées sans autre forme de procédure et qui ne furent autorisés qu’à garder leur foi musulmane. Sans compter les exactions physiques et psychologiques, les actions vexatoires, les morts et les viols, les massacres qui jalonnèrent toute l’histoire de la colonisation de l’Algérie par les forces françaises.
Au regard de cette terrible histoire d’asservissement du peuple Algérien par l’État Français pendant 130 années, on ne peut que comprendre les raisons de l’implantation de l’islamisme actuel et comment et pourquoi il a trouvé autant d’audience auprès des musulmans : lorsque la seule liberté qu’on vous laisse est celle de prier, les automatismes de foi, de discipline et d’obéissance à une force supérieure sont intégrés.
Pour l’histoire la guerre d’Algérie commença le 1er Novembre 1954 avec des attaques d’indépendantistes algériens et se termina le 5 juillet 1962 avec l’application des accords d’Évian et la reconnaissance d’un État souverain : l’Algérie indépendante et libre.
La guerre d'Algérie, menée par la France de 1954 à 1962 contre les indépendantistes algériens, prend place dans le mouvement de décolonisation qui affecta les empires occidentaux après la Seconde Guerre mondiale, et notamment les plus grands d'entre eux, les empires français et britannique.
L’indépendance du Viêt-Nam venait d'être arrachée et les forces Françaises avaient perdu Dien Bien Phu, entraînant chez les militaires Français une humiliation profonde et un désir de revanche. Les vaincus de 1940 qui s’en étaient sortis grâce aux alliés et qui avaient perdu l’Indochine ne voulaient plus perdre.
C’est dans cet état d’esprit qu’ils mirent le pied sur la terre d’Algérie, avec l’envie cette fois-ci de gagner. Regagner une sorte d’honneur patriote.
Mais la guerre d'Algérie fut surtout une guerre civile, entre les communautés d'une part, et à l'intérieur des communautés d'autre part.
En 1954 François Mitterrand alors ministre de l’intérieur, prend pour option la force et propose à l'armée d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour réduire l’insurrection, ce qui entraîna de graves crises politiques en France métropolitaine, avec pour conséquences le retour au pouvoir de Charles de Gaulle, et la chute de la quatrième République.
Un de Gaulle qui le 13 mai 1958 après avoir soulevé un magnifique espoir d’intégration entre Arabes et Français qui pour la première fois sont en liesse ensemble pour une Algérie partagée, se rétracte, envoie des troupes combattre les Algériens pour avoir une position forte dans les négociations qu’il prévoit pour l’indépendance à venir de l’Algérie et surtout pour les accords à prendre pour les ressources de l'Algérie, tout en initiant des négociations avec le FLN pour le retrait de la France en Algérie. Un de Gaulle qui donna pourtant sa parole le 31 août 1959 en clamant que « lui vivant le drapeau Algérien ne flotterait pas sur l’Algérie ».
Jeunes appelés dont 30.000 ne reviendront pas et parachutistes de Bigeard et Massu, tous crapahutent dans les Aurès, en Kabylie ou les rues d’Alger, fusillent, torturent, développent une guerre totale pour une Algérie dont on leur a dit qu’elle resterait Française.
Une énergie qui leur fait étrangement gagner une guerre d’Algérie, que de Gaulle s’évertuera à laminer et à défaire en renvoyant Massu et Bigeard, en libérant des milliers de fellaghas, en envoyant des agents très spéciaux « les barbouzes » pour torturer et faire parler les sympathisants ou actifs de l’OAS (organisation armée secrète) créé fin janvier 1961 par des militaires et des civils pour résister au FLN.
Après avoir menti à tout le monde, avoir fait mourir des milliers de jeunes appelés Français, fait torturer des Algériens indépendantistes et des Français qui défendaient l’Algérie Française, après avoir fait brûler des mechtas et des villages, fermer les yeux sur les comportements de certains militaires et parachutistes sadiques ou seulement obéissants aux ordres, de Gaulle dans sa vision personnelle du monde qu’il ne partage avec personne, penchera finalement pour l'indépendance en tant que seule issue possible au conflit, ce qui conduisit une fraction de l'armée française à se rebeller et entrer en opposition ouverte avec le pouvoir et même à organiser un attentat contre lui.
L’attentat du Petit Clamart pour lequel le jeune Bastien Thiry fut fusillé le 11 mars 1963. Pour l’exemple et pour la vanité d’un général, homme d’armée inflexible, qui même après la fin de la guerre et l’indépendance de l’Algérie, ne fut pas capable de clémence et de distance politique.
Le conflit en Algérie, déboucha, après les Accords d’Évian du 18 Mars 1962 sur l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet de la même année.
Il entraîna l'exode de la population des Européens d'Algérie, dit pieds-noirs, ainsi que le massacre de plusieurs dizaines de milliers de musulmans pro Français, comme les harkis et celui de nombreux Algériens qui avaient choisi la France comme drapeau.
Il entraîna aussi le massacre de près de 5000 Français d’Oranie qui en ce triste 5 juillet furent lynchés, torturés, brûlés par une foule Algérienne pleine de colère et de ressentiment.
La guerre d’Algérie, dont les exactions Algériennes et Françaises furent camouflées sous diverses formules acceptables comme « Indépendance ou maintien de l’ordre » selon le bord, a apporté des deuils, des détresses individuelles et collectives, faites de regrets, de remords, de culpabilité, de ressentiment, de colère, de tristesse et de nostalgie.
Nombreux furent les « indigènes » qui voulurent rester Français, et nombreux furent les pieds-noirs qui voulurent rester « algériens ».
Mais, hélas, ce ne sont pas les populations qui décident des grands mouvements du monde, ce sont toujours les politiques qui permettent les transhumances d’un endroit à un autre, dans des visions à moyen et long terme qu’ils sont seuls à détenir. Souvent pour des gloires et des puissances personnelles, mais souvent aussi pour le bien commun.
Les grandes invasions de l’Histoire, les colonisations, les emprises sur d’autres pays, ont souvent pour origine des misères, des famines, des maladies qui sévissent et qui poussent les gens à aller voir plus loin si c’est mieux, en quelque sorte. C’est l’instinct de survie qui pousse aux migrations, hier comme aujourd’hui.
Les migrants Africains ou Roms dont parfois le nombre trop important nous agresse, sont toujours et encore dans cette nécessité de trouver mieux, de manger mieux, d’être mieux ; la même nécessité que celle qui entraîna des Alsaciens, des Espagnols, des Italiens, des Français et toutes sorte d’Européens à s’installer en Algérie, d’y faire souche, d’y aimer et d’y mourir. D’en repartir « une main devant, une main derrière » comme ils disaient, le cœur déchiré à bord des bateaux qui les éloignaient de la côte et des cités Orientales où ils vécurent heureux et, croyaient-ils, enracinés pour tous les temps à venir.
L.G.
Extrait de « La Résultante ou Claire d’Algérie »
« D’abord Martin vit les minarets d’or, puis tout autour du blanc. Mais ce qui le frappa surtout, ce fut le bleu. Un bleu où tous les bleus de la terre se seraient dépossédés. Un bleu partout étalé sur la ville. Martin qui aimait le bleu y vit un signe de reconnaissance, aussi lorsque monta la voix du muezzin, il regarda la ville orientale en pensant qu’il n’avait rien vu de plus beau. »
A Tlemcen, Martin âprement s’attela à la terre. Le joug au cou, tirant la herse sur les pierres qui poussaient par mauvaise magie et sur les sables aussi que les vents du sud déposaient régulièrement sur l’Afrique, engorgeant les rigoles creusées pour que l’eau fut mieux répartie sur les cultures et sur les plantations, s’infiltrant dans les maisons, piquant les yeux et asséchant les oueds et toutes les eaux de tous les puits qui s’en trouvaient souillées, et dont le goût devenait étrangement minéral.
Bien que sans plainte ni récriminations, il eut de la peine avec les cailloux, les roches et les pierres, avec les moustiques, les intempérances du temps et l’eau qui manquait.
Une rude bataille vraiment, qui le tint des années, mais qu’il gagna par obstination, en homme qui savait faire avec le temps et les ingratitudes.
Tandis que Paris vivait dans les prémices d’une époque flamboyante, Martin lui, construisit sa maison et sa terre, faisant lever les blés sur les sables et les orangers dans les cailloux. Quand parfois le soir après que tout fut endormi il s’asseyait sur la terrasse, c’est content et tranquille des choses accomplies qu’il respirait l’odeur poivrée des orangers et celle des blés en épi.
Parfois Youssef et Moshé qui l’aidaient depuis le début de son installation venaient le retrouver sur la terrasse, et tous les trois regardaient la terre apaisée par la fraîcheur du soir.
- Et les enfants, ça va les enfants ?
- Ça va, ça va, grâce à Dieu…
- Et la récolte ?
- Ça ira, ça ira…
Des choses communes dont ils parlaient en buvant du thé chaud et sucré. Loin des rumeurs citadines où les autres défendaient des intérêts nouveaux. Loin des législateurs, des députés et des sénateurs. Loin des villes nouvelles où les palais européens prolongeant les antiques cités bordaient les côtes d’un luxe ostentatoire, où sous les arcades des villes orientales s’installait l’Occident, repoussant au plus loin les tribus et les douars, les princes et les fils des princes.