Les travailleurs de l’aéroport d’Atlanta remplacés par des drones?
Par Ariane Fil
Récemment j’ai eu la chance de passer neuf heures à l’aéroport d’Atlanta. Mes retours aux Etats-Unis provoquent toujours des sentiments mêlés : confort et dégoût, sécurité et exaspération.
Sécurité et confort car pour tout ce qui est résolution pratique d’une situation, il n’y a pas mieux. Que ce soit la dame qui dispatche les gens dans les trains automatiques et qui m’indique aussi le comptoir d’information et me suggère, si j’ai le temps, d’aller visiter l’exposition de sculptures africaines dans le terminal T ; la vieille dame de Delta qui me file ma carte d’embarquement huit heures -huit heures !!!!- avant mon vol, le fait de pouvoir louer un DVD et un lecteur de DVD et regarder Indiana Jones vautrée dans des fauteuils pour tuer le temps ; la dame des bagages qui me décrit pas à pas comment me rendre au comptoir des objets encombrants avec force descriptions de tous les types d’objets que je pourrais y trouver afin de m’aider à identifier à coup sur et sans faillir que je me trouve bien au comptoir des objets encombrants (et pas à une autre expo d’Art africain postmoderne). Ou encore le gentil vieux serveur du coin fumeur qui me propose eau ou café et ne s’offusque pas quand je décline…
De toute façon il vaut mieux pas contrarier les drogués, c’est bien connu….
Donc tout ça c’est très bien, très aimable, très pratique, ça vous donne un sentiment d’être le bienvenu après un long voyage et un petit peu de chaud à l’estomac…
Mais par ailleurs, cette même dame bien gentille des bagages me dit que pour attendre je tombe bien parce qu’il y a plein de trucs à faire à l’aéroport d’Atlanta. Ah bon, quoi ?
« Bah y a plein de télévisions partout, des magasins pour acheter des trucs et pleins de restaurants », je suppose pour manger des trucs aussi.
Pas, tiens il y a un chouette magasin de livre ou tel ou tel restaurant si vous aimez la cuisine mexicano-chinoise… Non, générique, consommer, consommer, consommer indifféremment, sans choisir sa chaîne de télévision, acheter des objets dont on a pas besoin et bouffer pour bouffer.
Après 24 heures de voyage depuis les montagnes andines argentines, mes forces de résistance sont diminuées et je me dis que je vais me conformer aux coutumes locales
Je me parque donc sous un écran géant de télé qui diffuse la bonne parole au monde prisonnier de l’aéroport. Ainsi la dame dans le poste m’informe qu’on pouvait m’aider à dépenser plus, tout en conservant mon argent ; me raconte, avec reconstitution à l’appui, le sauvetage de Karen qui a eu une attaque cardiaque (et a failli mourir) tout ça pour nous dire que c’est bien qu’il y ait des défibrillateurs dans l’aéroport (en même temps si les gens bouffaient moins de saloperies (pour rappel, 40% des enfants d’Atlanta sont obèses ) ils auraient moins de problèmes cardio-vasculaires non ? ; on nous parle de l’histoire de ce monsieur qui a tué sa femme et ses cinq enfants et puis qui a pris sa propre vie parce que « il n’avait pas de boulot et cinq enfants », et dans la foulée, du couple de retraités californiens qui vient de dépenser 150,000 dollars pour faire cloner leur chien mort l’année dernière. Une petite digression sur l’exportation américaine s’impose à ce point. Dans le cas du chien cloné, c’est un laboratoire américain qui s’est chargé de collecter les 150,000 USD et qui a ensuite sous-traité l’opération à un laboratoire en Corée du Sud. Bah oui, parce que on peut acheter un clone aux Etats Unis mais on ne peut pas le fabriquer aux Etats Unis (bah oui, le fœtus humain étant un être humain dès les premières secondes de vie on n’autorise pas la recherche sur les cellules souches et donc pas faire de recherches pour trouver des traitements contre le cancer ou le SIDA) parce que cela irait à l’encontre des principes moraux américains.
C’est la même chose avec la torture par exemple. Souvenez vous, il y a quelques années les Américains sous-traitaient la torture dans quelques pays d’Europe centrale et par la suite c’est le Gouvernement macédonien qui se retrouvait poursuivi en justice par un ancien torturé… (il faut terminer le travail les gars !!)
C’est vrai que techniquement les américains l’ont juste amené en avion et assisté, muets, aux tortures… Donc on voit pas pourquoi ce serait le gouvernement américain qui serait poursuivi : compétence territoriale : niet, compétence du tortureur: niet, compétence du torturé : surtout pas américain….
Le problème de la sous-traitance souvent, c’est que le travail est moins bien fait et on se retrouve toujours avec des …..
Il y aussi la petite fille découpée en morceaux par ses parents mais toujours pas enterrées plusieurs semaines plus tard parce que l’un de ses parents trucideurs veut assister à l’enterrement et donc bloque en attendant de voir si l’Etat lui permettra de sortir de prison pour y aller….
Et enfin le grand moment où , dans l’émission POLITIQUE, la chroniqueuse afin de dénoncer les abus du grand capital et un homme d’affaires en particulier qui a fait refaire son bureau pour 1 million de dollars, nous offre comme solution, de lui souhaiter de voyager en classe économique dans le siège du milieu, à l’arrière de l’avion, prés des chiottes….
Vu le contexte, on ne peut pas s’empêcher de trouver ça drôle parce que nous sommes à l’aéroport, sur le point d’embarquer et que, parmi nous, il y a cette personne qui sera sur le siège du fond, au milieu, près des chiottes. Et il sera même puni une deuxième fois ce pauvre innocent parce qu’il se tapera le sale siège et il saura maintenant que toutes les personnes qui passent le regardent avec pitié en se disant que c’est vraiment la pire place de l’avion.
Et puis en dehors des médias qui vous rongent le cerveau petit à petit, il y a la robotisation des humains. Bah oui parce que après la télévision, je suis allée dans les magasins acheter des choses.
Par exemple le vendeur du Duty Free , désert à l’heure fraîche où je fais mes premiers pas dans l’aéroport et décide d’acheter mon éternel Touche-éclat d’YSL. A 6h du matin donc, je suis seule dans la queue du duty free (ah oui parce que même s’il n’y a personne il y a un emplacement pour faire la queue) et il y a une dame en train d’acheter de ces choses qu’on achète. Elle paie et le type lance d’une voix monocorde mais néanmoins de stentor, mais c’est peut-être parce que je suis à un mètre de lui, « Nextinlineplease !!».
La dame est en train d’essayer d’attraper d’un doigt son paquet, ranger sa carte d’embarquement et son passeport, trier sa monnaie tout en remontant son sac de voyage qui lui glisse de son épaule sans shooter dans sa petite valise à roulette. J’attends qu’elle ait fini de s’organiser parce que sinon je vais devoir la bousculer, elle basculera sûrement en arrière ainsi que sa petite valise à roulette et alors l’opération passeport, carte d’embarquement, monnaie sera à recommencer.
« Nextinlineplease ! » sur un ton un peu plus énervé répète comme un drone le monsieur de la caisse. Je me retourne pour voir si soudainement une horde de consommateurs piaffants ne se serait pas massée derrière moi, mais non je suis toujours bien toute seule dans le duty free, la next in line c’est moi, je suis à un mètre du type, entre lui et moi il y a cette pauvre dame et ses valises et ce crétin fini ne peut même pas comprendre que j’attende pour ne pas la déranger….
Je développe alors une tactique de guerre silencieuse que j’ai intitulé l’extrême lenteur. Il n’y a rien de pire pour réduire un américain en une petite boule de nerfs gémissante de frustration. Cela passe par un grand regard blanc et un sourire quand on vous dit un truc, puis la très lente mise en mouvement des épaules, des bras et puis des mains pour aller chercher l’argent dans son porte-monnaie, la recherche minutieuse du compte exact en sortant toutes ses petites pièces et en les examinant une par une pour être sure que c’est bien la bonne « ah tiens un quarter d’Alaska, je l’ai pas celui là, alors non je le garde, on disait donc ? ah oui il manque 25 cents, ah tiens je me demande si j’ai pas un penny en plus pour faire le compte exact… ».
Premier drone neutralisé, je me rends ensuite à la librairie, tenue par deux jeunes filles à l’air sympa malgré leurs ongles acryliques de 4 centimètres de long, taillés en pointe rose nacré, parsemé de petits brillants et avec motifs de jardins fleuris dans le fonds duquel on distingue un volcan devant un soleil couchant… mais je m’égare. Je rentre donc, regarde les rayons situés près d’elles. Elles sont adossées au mur et papotent. Je leur lance un « Good morning », qui reste sans réponse, soit je continue de regarder, je me rapproche un peu plus, un peu plus, et là j’arrive apparemment dans le périmètre du bonjour parce qu’elle me lance d’un grand cri « GOODMORNING!HOWCANIHELPYOUTODAY ? ».
Ah c’est donc ça, c’est comme avec les lumières automatiques, il faut franchir un certain seuil pour qu’elles s’allument parce que avant on n’est pas potentiellement un client, on pourrait être juste quelqu'un qui cherche le Starbuck et s’est trompé d’entrée.D’ailleurs en parlant du Starbuck, il y en a un juste à côté et là je vois une dame gironde sanglée dans son tablier vert qui arrive un petit plateau à la main et me propose d’échantillonner une petite tasse de « caramel.double.cream.single.shot.sugar.foamed.machiatto ».
Aucune idée de ce que c’est, mais comme la dame d’à côte vient de s’en enfiler un et qu’elle a pas l’air plus mal en point que ça, je tente l’expérience. C’est délicieux (on revient vers les bons petits moments gratifiants du territoire américain), même si mon esprit de parisienne, tout en recevant les bons petits stimulus de goût, la texture croquante des grains de sucre caramélisés flottant dans la mousse de lait, est en train de calculer le nombre de calories qu’il peut bien y avoir dans ces deux gorgées et d’envoyer des signaux de calme à mes neurones qui s’affolent pour leur dire que c’est pas grave, c’est qu’un petit échantillon.
Enfin, moi je critique pas la gentillesse universelle et sans discrimination des américains. Je veux bien être civile et c’est vrai que les Français qui coupent dans la queue au ski ou le garçon de café parisien dont on ne sait pas s’il va vous apporter un croissant ou vous bouffer un bout du nez pour le petit déjeuner, c’est pas toujours sans défaut non plus.Mais au moins il est authentique le Français, bougon, râleur et désagréable, mais il ne te traite pas comme un maillon dans la chaîne. Non parce que pour envoyer péter quelqu’un il faut l’avoir d’abord bien regardé pour être certain que sa tête ne nous revient pas, et c’est ça, c’est ce regard, qui rend la vie intéressante. Arracher un sourire à la caissière du Franprix devient un accomplissement dont on peut se glorifier secrètement toute la journée, quelque chose à répondre même à ses amis français quand ils sont en train de critiquer le mauvais esprit des français, de leur dire, « non mais vous savez ça dépend, par exemple moi l’autre jour au Franprix… »
Le garçon de café maussade accoudé au comptoir, le pauvre, en a marre d’être chosifié surtout depuis que Sartre l’a mis noir sur blanc, et donc il veut s’exprimer, se démarquer de sa condition par son refus délibéré de faire son boulot de garçon de café, il nous dit en fait qu’il est plus que ça ; un homme, et ça c’est beau non ?
Enfin bon je retourne sous mon écran de télé pour mes dernières minutes d’attente. L’avantage d’être aussi près de l’écran c’est qu’on peut lire, écrit en tout petit au bas de l’écran, défilant à toute vitesse, de peur d’être vues, les informations qui ne doivent pas être assez importantes pour être relayées par le présentateur du journal, comme le fait qu’on vote en Iraq, qu’il y eu une attaque dans la bande de Gaza ou que Boeing va supprimer des milliers d’emplois, mais chuuuuutttt … on interview le grand-père de la fillette démembrée.