La douce dictature des fesses
Christian Duteil
Après « la guerre des boutons », « la guerre des fesses » ! Et ce n’est pas du cinéma, c’est du sérieux bien que tout en formes et en rondeurs. C’est signé Jean Claude Kaufmann, sociologue éclairé de nos comportements au quotidien. Ca part d’un constat autant clinique que jouissif de notre chercheur qui s’enflamme : « On veut une fesse qui danse ». Et pas seulement du côté de Rio ou de Kinshasa !
Objet de tous les tabous hier, les fesses sont aujourd’hui à l’honneur et l’objet de tous les fantasmes. Au point que nous sommes tous des pygophiles (fans/fous de fesses) plus ou moins avoués et fiers de l’être. Qu’on se le dise donc : le fessier est de retour alors qu’on continue à dégraisser dans les usines et les entreprises ! La crise bat sa coulpe mais n’atteint pas la croupe.
On n’en est plus à un paradoxe près entre dictature des régimes et diktat économique des marchés à une époque de faux culs et de jean fesses qui prônent la rigueur et l’austérité. Tout se passe comme si le retour en force du galbe fessier représentait une alternative ludique au modèle dominant de la performance et de la minceur. Mieux, le développement de la fesse serait le propre de l’homme bipède au même titre que celui de son cerveau. Et la croupe rebondie serait l’objet de toutes nos attentions et de nos regards tous sexes confondus. Adieu les seins menus et les fesses plates des androgynes des Seventies !
Pour les fesse-maille et les fesse-mathieu de service, précisons avec la Sofres que les fesses des hommes sont, après le visage et le torse, la 3e partie du corps masculin plébiscitée par les femmes. Les hommes ne sont pas en reste dans ce tiercé du territoire intime au féminin et ne regrettent pas les garçonnes des années 1920 qui avaient coupé leurs cheveux et raboté leurs formes. Ils aiment la fesse avantageuse mais pas trop musculeuse. Ils ont tous fantasmé sur les formes épanouies d’Emmanuelle Bart dans « La belle noiseuse » (1983) comme leurs pères l’avaient fait déjà sur celles de Brigitte Bardot dans Le mépris (1962) de J.L. Godard et murmurant à Michel Piccoli : « Tu aimes mes fesses ? »
Résultat de cette course aux courbes : le goût des rondeurs n’est pas naturel mais cul-turel dans notre société du spectacle pleine de voyeurs lubriques : « Le regard glisse sur une silhouette en I mais s’attarde sur les rondeurs, précise Kaufmann qui connaît bien son sujet. La femme est illico transformée en séductrice, aliénée dans ce rôle, piégée. Cela peut conditionner toute une existence ». Bigre, la Vénus de Milo n’a qu’à bien se tenir !
Ch.D.