Visages de femmes
Christian Duteil
«La femme est l’avenir de l’homme» chante le poète, mais l’homme est-il l’avenir de la femme? … La question est d’actualité alors que de nombreuses femmes sont à l'honneur dans le monde.
Elles sont nées à la fin des années 1960 ou au début des années 1970 quand leurs mères à l’heure de la pilule revendiquaient l’égalité des sexes . Qu’en est-il quarante ans plus tard? Les femmes ont-elles réussi à prendre toute leur place dans la société alors qu’ «elles font tourner le monde[1]»?
Aujourd’hui, les filles sont plus diplômées que les garçons et représentent presque la moitié de la population active. Mais derrière ce constat qui montre les progrès accomplis que de disparités à travers le monde et qui ne portent pas seulement sur le salaire.
Mieux que de longs discours idéologiques, nous vous livrons ici en pâture au gré de nos pérégrinations (« La vérité est nomade » disait Blanchot) télévisuelles quelques exemples parmi beaucoup d’autres qui vont éclairer notre propos et mieux faire ressortir l’universalité du modèle patriarcal.
Dans un petit village de 800 âmes, à 45 kilomètres de Niamey, la capitale du Niger, la vie s’écoule paisiblement et la division des tâches n’a guère changé entre les deux sexes. Dès le lever du soleil, Kadi, villageoise et mère de six enfants, vaque à ses occupations. Des occupations qui s’apparentent à une succession de corvées. Préparer le petit déjeuner, aller chercher de l’eau, s’occuper du champ, faire le ménage. Ses journées se suivent et se ressemblent. Si elle ne se dit pas malheureuse, elle est néanmoins lucide sur la dureté de sa condition : « Ce sont les hommes qui commandent, qui dirigent. Et les femmes subissent ». C’est pour ces femmes que Roubanatu, médecin à Niamey, se bat. Mariages précoces, excision, analphabétisme ; autant de fléaux qui contribuent à maintenir le « deuxième sexe » sous domination masculine.
Au Japon, Maïko est consultante en informatique dans une grande banque. La jeune femme a toujours travaillé mais, depuis la naissance de ses deux enfants, sa carrière est bloquée. Son mari rentrant tard, elle doit s’occuper de sa fille et de son fils et ne peut donc effectuer les mêmes heures supplémentaires que ses collègues masculins. Pour évoluer, elle décide donc de quitter son emploi pour se lancer dans une autre aventure professionnelle et tenter de rebondir…
Nessa vit à Kermandshah, une ville kurde de l’ouest de l’Iran. Jusque là, ses parents l’ont laissée faire du théâtre et du cinéma. Avec ses cachets, elle finance ses études en comptabilité. Le père de cette belle jeune femme admet sa fierté devant les deux prix d’interprétation reçus par sa fille. Cependant, il souhaite qu’elle abandonne cette voie. Là-bas, les femmes exerçant une activité artistique sont mal vues, et le qu’en-dira-t-on prime sur les désirs de réalisation personnelle. Son frère Nahim refuse que sa sœur soit actrice et l’agresse. Il ne supporte pas de la voir repousser moult prétendants. Il dit que les rôles –pourtant bien chastes- qu’elle interprète mettent à mal sa fierté et cela d’autant plus que ses copains se moquent de lui. Le stress quotidien que vit Nessa chez elle retentit sur son travail.
Que gagne-t-on à perdre ses illusions ? Dans sa chambre de jeune fille, elle et son amie Sarah se confient leurs désillusions. Sarah aussi était actrice. Après son mariage, son époux lui a demandé de choisir entre lui et son métier. « Tu as abandonné, lui lance Nessa en pleurant ! Moi, je ne veux pas faire ! »
Nasrin, la mère, toujours prête à consoler une fille si difficile à comprendre, explique, sans vraiment le croire possible, que celle-ci devrait partir poursuivre sa carrière à Téhéran. Mais que cela coûte cher. Nessa a beau répéter qu’elle veut vivre pour elle, on sent que la pression de son entourage devient trop forte… Et qu’elle n’est pas loin de rentrer dans le rang.
Certes, en France, les combats ne sont pas les mêmes, mais les trois quarts des tâches domestiques incombent encore aux femmes et l’accès à certains postes de responsabilités leur est souvent interdit. La parité reste toujours un voeu pieux et le sexisme plus ou moins larvé se porte bien. Nicole est éleveuse de brebis dans le Sud. Elle a dû faire ses preuves dans ce milieu presque exclusivement masculin. Pour la majorité des éleveurs, quand une femme s’installe dans la région, on la voit souvent comme une marginale qui arrive avec sa guitare et ses pétards ». Il aura fallu cinq ans pour que Nicole soit prise au sérieux et que les railleries cessent. Un processus sûrement accéléré par la renommée de la jeune femme, nièce d’un éleveur bien connu dans la région.
Mais les mentalités changent chez les nouvelles générations plus ouvertes vers le changement et l’égalité entre les sexes. Pour Caroline de Haas, membre fondatrice de l’association Osez le Féminisme! la domination masculine a vocation à disparaître. Et si l’on connaît les outils pour y arriver, «ce qui manque, c’est une réelle volonté des décideurs, économiques ou politiques». Malgré quelques effets d’annonce et certaines déclarations démagogiques sans lendemain. Ici et ailleurs, contre la permanence de structures mentales héritées du passé, de nombreux combats restent encore à mener pour que l’homme soit l’avenir de la femme. Enfin !
CD
1- Documentaire d’Agnès Poirier et Ryoko Tsunoda, France 5.