La déferlante regressive et tyranique
(ou encore le retour du bâton)
Gil Jouanard
Ces jeunes gens, issus des « cités d’urgence » qui cernent la commune de Paris de leur sourde menace, ne sont pas assis entre deux cultures, contrairement à ce que l’on prétend. Certes, leurs parents ou leurs grands-parents sont nés dans le Sous ou en Kabylie, au Mali ou au Sénégal. Mais, venus déjà dépossédés de la culture arabo-berbère ou négro-africaine de leurs ancêtres, ils n’auront su leur ouvrir l’accès à cette mémoire et à cette langue qui, durant des siècles, avaient structuré les pensées, les rêves et les sentiments des aïeux fondateurs d’un mode de vie longtemps resté traditionnel avant de subir le choc des grandes invasions « colonisatrices » et supposées « civilisatrices ».
Ayant cru au mythe de l’Eldorado européen, les voilà coincés dans une encoignure de réalité, où rien ne tient debout et rien ne s’offre à leurs mains de fétus en perdition.
Alors leurs enfants, nés sans culture et refusant pour la plupart, par bravade ou par désespoir et incrédulité, d’en acquérir une toute constituée de ces artifices que leur instinct rejette violemment, s’en inventent une de substitution, sans autres racines que celles, éphémères, de modes de passage, porteuses de rejets haineux et de misérables aspirations.
Comment s’y prendre pour « intégrer » à une vie compatible avec les mœurs, que notre collectivité a mis des siècles à peaufiner et à rendre grosso modo conviviales, ces bêtes sauvages apprivoisées par cela même qui les fait se dégrader et s’humilier (la drogue, la délinquance, l’ignorance crasse et l’incuriosité militante, voire des schémas aussi passéistes que le machisme et la misogynie) ?
On ne voit pas ; personne ne voit. Ce que l’on voit, c’est l’accumulation d’indices annonciateurs de grands désastres collectifs, dont personne ne sortira indemne, et dont l’intégralité de la société issue de la Révolution française et de l’effort accompli en vue de l’instauration d’une démocratie enfin effective (pour les humains en général et pour les femmes en particulier) sera affectée.
Quoi qu’il en soit, ce déferlement de l’ignorance brutale et de la haine envieuse ne ressemble ni à ce qui provoqua la disparition par absorption de la civilisation grecque ou de la romaine (lentement digérées par les peuples barbares soumis, « civilisés », puis émancipés). Là, s’il s’agit bien d’une désagrégation d’un mode de vie et d’une culture (disons-la « européenne »), ce n’est pas par appropriation de ses bienfaits ou de ses principes, mais par éradication de sa morale, de ses acquis intellectuels, de sa convivialité policée, de ses convictions. Ce n’est pas une avancée vers « autre chose », mais un recul vers de sinistres conceptions machistes, misogynes, où la loi du plus fort l’emporte sur celle du plus sage ou du plus équitable, où la régression morale et mentale sont promues au rang d’identité plénière et obscurantiste. L’intolérance qui accompagne ce mouvement fait frémir car c’est près de trois cents ans de luttes pied à pied contre l’emprise monstrueuse des absolutismes religieux et politiques qui se trouvent remis en question et à deux doigts de perdre pied.
Notre conception éclairée et généreuse de la démocratie nous interdisant de sévir (par l’emprisonnement systématique des plus virulents de ces trublions cancérigènes ; ou par leur renvoi dans les pays d’origine de leurs parents, où s’exerce cette loi sauvage du plus fort, qui est toujours celle du malfrat, du profiteur exploiteur et du macho), on ne voit pas ce qui pourrait nous faire sortir de ce piège (la surnatalité de ces couches de population infectées par l’idéologie de la haine et de l’intolérance ; le refus de la majorité de ses rejetons d’acquérir le savoir qui leur permettrait de « s’en sortir » ; notre mauvaise conscience de descendants d’anciens « colonisateurs » --sans tenir compte du fait que ces « pauvres ex colonisés » sont, pour certains d’entre eux, eux-mêmes descendants d’anciens colonisateurs peu amènes !).
Bref, si l’on ose user de ce terme, l’avenir menaçant qui nous est promis incite peu à l’optimisme. Et l’on se dit que cela n’aura pas servi très longtemps d’avoir mis en jeu l’intelligence et le courage de quelques esprits précurseurs du XVIIIe siècle et de leurs descendants spirituels. Juste punition pour l’ignominie de ceux d’entre nous qui cédèrent à la tentation de soumettre et asservir de plus faibles qu’eux ? Sans doute ; mais ces imbéciles qui crurent bâtir des Empires (Britanniques, Espagnols, Français, Portugais, Allemands même, voire Italiens, sans parler des Belges et des Néerlandais !), nous ne cessons de les fustiger, depuis au moins deux générations. Pourquoi faut-il que ce soit nous, qui vomissons cette stupide monstruosité que fut la colonisation, qui payions pour ces insensés et détestables missionnaires, adjudants chefs et administrateurs qui auront été la honte de notre Nation ?
G.J