Les supporteurs tricolores, de l'espoir à la résignation
Le Monde | 04.07.2014 à 23h22 • Mis à jour le 05.07.2014 à 03h18 | Par Luc Leroux (à Marseille) et Geoffroy Deffrennes (à Boulogne-sur-Mer)
- A Paris, on se projette déjà vers l'Euro 2016
A tous ceux qui ne croient pas que le foot est un sport universel, il fallait être devant l'Hôtel de Ville de Paris ce soir. De 7 à 77 ans, homme ou femme, les supporters français ont répondu présents. Pour la première fois depuis longtemps, ce peuple plus coloré que son drapeau regardait dans la même direction. Retenant son souffle ensemble. Acceptant la défaite ensemble.
L'écran géant installé sur la façade de l'Hôtel de ville a offert un spectacle animé aux supporters. Pourtant, à 18 heures, la place n'était pas pleine. Qu'à cela ne tienne, ceux qui sont là crieront pour deux. L'équipe entre sur le terrain, saluée par la foule qui attend d'entamer l'hymne national. Et tout à coup la voilà, la Marseillaise. La foule en liesse se laisse emporter par cet air solennel et combatif. L'image de cette foule embrumée par des fumigènes bleus et rouges lui donne des airs de révolution. Cent ans après la première Guerre mondiale, c'est dans la paix que la France affronte ce soir l'Allemagne.
Le match commence. Des « allez les bleus » fusent à grand coup de klaxon et de drapeaux qui s'agitent. L'équipe de France manque une première occasion, mais la foule applaudit la tentative. « C'est pas grave, c'est le bon chemin, vous aurez la suivante les gars », crie un supporter. Cette phrase, les spectateurs vont se la répéter plusieurs fois pendant la rencontre. Car sur la voie les Bleus y étaient, mais cela n'a pas suffi à faire la différence. Les supporters s'enflamment à chaque action et finissent par se prendre la tête entre les mains : « Comment as-tu pu rater ça ? », s'effondre un supporter pendant la dernière minute du match.
Il faut dire que l'Allemagne a réussi à donner le ton dès la vingtième minute avec un premier but. Sur les visages c'est l'incrédulité qui se lit. « On va remonter, ils sont juste un peu stressés c'est normal, mais ça va venir », assure Elliot, 29 ans. L'ambiance est bien plombée pour d'autres : « Si on gagne tu nous emmènes manger au Fouquet's », lance un spectateur à son ami. A la mi-temps, les fans s'assoient, dépités. « Je suis triste, je sens qu'on va perdre », anticipe Emmanuelle, 14 ans. « Ne nous porte pas la poisse », rétorque son amie.
« ON GAGNERA LE CHAMPIONNAT D'EUROPE »
Le match reprend, la motivation aussi. Si les drapeaux sont un peu en berne, chaque action est saluée, encouragée, applaudie. Peu importe que chacune d'elle rate, tour à tour, que l'on ait l'air ridicule d'y croire à chaque fois, il faut soutenir les Bleus. Les Allemands enchaînent les fautes, taclent frontalement les Français et se font tellement huer que les oreilles de l'arbitre à Rio doivent siffler. La France manque une nouvelle occasion dans les dernières minutes et un joueur allemand s'énerve de voir le ballon si près de ses buts. « Il a raison de s'inquiéter », sourit narquoisement un supporter français.
Plus loin, un couple regarde aussi le match. Leur particularité ? Il porte un maillot aux couleurs de la France et elle une couronne de fleurs avec celles de l'Allemagne. « Je n'ai pas peur de venir supporter mon équipe ici, c'est du sport on est fair-play. Comme dans mon couple », plaisante-t-elle. Suspendus à des barreaux de fenêtres, les supporters se sont répandus jusque dans l'avenue Victoria – qui ce soir porte mal son nom-. On leur demande à la combientième minute en est le match, s'ils peuvent prendre des photos depuis là où ils sont. L'ambiance est bon enfant. Sakho rentre sur le terrain, acclamé par la foule. Lloris arrête plusieurs frappes allemandes et, lui qui n'avait pas particulièrement été applaudi au début du match, voit son nom scandé par les supporters. « On a un bon goal heureusement. Mais le goal allemand est encore meilleur », résume Victor, 19 ans.
Suspendus au chronomètre et aux quatre minutes de temps additionnel, les supporters espèrent jusqu'au bout. En vain. Le sifflet résonne, la fin du match est là. « Il ne faut pas être déçu, c'était un grand parcours pour la France et pour les Bleus. On gagnera le championnat d'Europe », philosophe Sidi, 38 ans. La foule se disperse rapidement, comme si tout cela devait rester très loin. Les fêtards claquent leurs derniers pétards, quelques fumigènes se répandent sur la place déjà bien vide. Les déchets s'amassent sur les trottoirs et flottent dans les caniveaux. La France est éliminée de la Coupe du monde. (Julia Mariton)
- A Marseille, la cuvée 2014 ne restera pas dans les mémoires
Une demi-heure après le coup de sifflet final, le Vieux-Port de Marseille a repris son visage habituel d'un vendredi soir d'été : apéro sur les terrasses du Cours d'Estienne d'Orves, noir de monde. Vite oublié, ce quart de finale contre l'Allemagne vit encore dans quelques discussions ou sur de rares visages sur lesquels est peint un petit drapeau tricolore.
Un groupe de policiers des brigades anti-criminalité devise près de l'ombrière et deux cars de CRS sont garés à proximité, partie visible d'un dispositif de sécurité léger mis en place pour cette soirée : 73 policiers, 60 CRS et trente fonctionnaires « mobilisables en cas de nécessité », selon la préfecture de police. Mais cela n'a pas été nécessaire. Bon nombre de Marseillais ont fait le choix de suivre le match à la terrasse d'un bar. D'autant qu'il se jouait à l'heure de l'apéritif. Les écrans de télé géant ont changé de quartiers. Lorsque l'Algérie jouait, la foule s'agglutinait dans les établissements autour de la Canebière. Pour les Bleus, c'est la place Notre-Dame du Mont (6e arrondissement) qui fait office de Mecque des supporteurs. Mais ils abandonnent vite toute ferveur.
« L'AMBIANCE N'A RIEN À VOIR AVEC LA FINALE FRANCE-ITALIE » DE L'EURO 2000
Pas moins de cinq écrans ont été installés au PMU de l'angle de la rue d'Aubagne noyé dans la fumée des merguez. A la Brasserie Le Marseillais surplombé des drapeaux français, italien et allemand - pas de jaloux - la foule déborde sur la chaussée. En face, l'ambiance est bon enfant : « La télé tombe en panne tous les cinq minutes mais tout le monde se marre », sourit Nathalie, une avocate venue suivre ce quart de finale attablée avec des amis.
Partout la bière et le pastis coulent à flots. On identifie les bars qui ont pris l'abonnement Bein au décalage des cris d'encouragement ou de déception qui explosent quelques secondes avant ceux des spectateurs de TF1. Mille cinq cents personnes au moins se sont réunies sur cette place bordée de très nombreux établissements. Mais, note Philippe, 50 ans, « l'ambiance n'a rien à voir avec la finale France-Italie du Championnat d'Europe des Nations en 2000. Ici, il y avait deux fois plus de monde et la tension était montée. C'était un truc de fous, il y avait le feu ».
La cuvée 2014 ne restera pas dans les mémoires des supporteurs de la place Notre-Dame du Mont. Un kilomètre plus loin, Boulevard Dugommier, là où les supporteurs de l'Algérie avaient vécu, lundi, la défaite tête haute de leur équipe contre l'Allemagne, il n'y a pas grand monde. Patron du bar-tabacs des Allées, Rabah Chabouni a installé le même dispositif que le soirs de match de l'Algérie. « Mais là c'est trop tôt, avec le ramadan, les gens sont chez eux. S'ils avaient joué à 22 heures, les gens seraient venus mangés et ceux qui, lundi, soutenaient l'Algérie auraient soutenu la France ». Il avoue une déception: « J'espérais que les Français allaient nous venger ».
- A Boulogne-sur-Mer, pas de Ribéry, pas d'écran géant
Il n'y avait pas d'écran géant à Boulogne-sur-Mer, contrairement à Calais, Saint-Omer ou Lille, dans le Nord-Pas-de-Calais. « On attendait les demi-finales, explique le responsable de l'animation de la ville, Jérôme Duhautoy. En fait, on y a renoncé quand Ribéry, l'enfant du pays, a déclaré forfait… En 2006, on avait suivi son parcours, avec un écran dans son quartier du Chemin Vert, pour le premier match, puis un écran géant au centre de la Mer Nausicaa – jusqu'à rassembler 13 000 spectateurs en demi-finale… Pour tout avouer, on n'attendait pas un tel parcours des Français cette année… »
Faute d'écrans, d'ailleurs très difficiles à dénicher (« toutes les villes françaises se sont précipitées chez les loueurs, il n'en reste plus que trois dans la région… »), Jerôme a mis en place des animations. Une fanfare chauffait ainsi, ce vendredi soir, la place Dalton, au pied de la vieille église Saint-Nicolas. Des « sculpteurs sur ballon gonflable » confectionnaient des chapeaux bleu blanc rouge… Des animations présentes aussi devant la mairie dans la vieille ville, où un cracheur de feu occupait la mi-temps… »
Du feu, l'équipe de France n'en crachait pas beaucoup. En conséquence, le public des bars semblait éteint durant la première période. Il y avait d'ailleurs autant de monde sur les terrasses extérieures encore ensoleillées, sans télévision, où, les mini-shorts étaient de sortie aux jambes des filles, joues peinturlurées de drapeaux, quand même… A la pause, place Dalton, Frédéric Cuvillier, maire, député, et actuellement secrétaire d'état aux Transports, gardait confiance pour une fête finale. « Nous n'avons pas d'écran, mais nous accompagnons les initiatives des commerçants… On a prévu un spectacle de fumées froides en cas de victoire française. »
UN HYMNE À LA GLOIRE DES SANG ET OR LENSOIS
Au Bullitt, alias le Café de la Place, décoré d'objets sportifs anciens, le patron Frank Buys n'avait pas eu besoin d'installer un écran plat supplémentaire : « Nous en avons cinq en permanence, et diffusons toute l'année du sport jusqu'au base-ball… » Cinq télés alimentées par une box, ce qui donnait de curieux effets d'échos, les sons se révélant légèrement décalés. De quoi enfoncer le clou de commentaires télévisés pas vraiment favorables aux Tricolores improductifs, répétés en boucle dans la salle.
Attablés au fond, Angelo Soravito et Jason Carou, deux juniors du club de foot de Wimereux, semblaient sonnés depuis le but allemand précoce. Angelo râlait contre les simulations de faute de Müller, puis jugeait Benzema trop perso. Bières avalées, et stress augmentant, le Bullitt chauffait son moteur en deuxième période. Des olés sur une série de dribbles de Griezmann (finalement fauché par Khadira), des applaudissements nourris pour une tête de Varane ou pour un arrêt du pied de Lloris.
Cela sentait le roussi à la 80e , mais un groupe entamait dans le bar une étonnante Marseillaise, s'avérant en fait le début d'un hymne à la gloire des Sang et Or lensois… Faute de France conquérante, restait donc le Pas-de-Calais. Mais Franck Buys ne pouvait masquer sa déception. « Il y avait une telle ferveur qui montait dans le port cette semaine… Et puis à Boulogne, dans la situation économique que l'on connaît, on a tellement besoin de rêver en ce moment… »