Journée de la femme : 3 questions à Gil Jouanard
«Journée de la femme, 3 questions à Gil Jouanard» :
Nnn. Une journée de la femme, pour l’homme «libéré» que vous êtes, a-t-elle encore lieu d’être? Pourquoi?
G.J. D’une façon générale, je ne suis guère «partisan» de l’organisation de «journées» dédiées à un sexe, à une catégorie d’âge ou à un membre de la famille (je viens de découvrir qu’on venait de créer une «fête des grands-mères»! Pourquoi pas une «journée des unijambistes», une «journée des plombiers zingueurs», ceux-ci devenant rares et donc précieux…). Pour ce qui est de la femme, je ne trouve pas très judicieux de lui consacrer une «journée». Tout comme l’homme, elle mérite tous les jours de l’année et toutes les heures du jour notre attention, notre vigilance, les marques de notre solidarité (en tout cas autant que ceux des hommes qui, en grand nombre, sont également humiliés, maltraités ou mésestimés). Se battre pour que celles qui n’ont pas encore obtenu la légitime égalité des droits, et celle des salaires quand le travail est lui aussi égal, ne passe sûrement pas par ce genre d’initiative; je crois davantage à une action continue, passant par le forcing au niveau institutionnel, juridique, et par l’action au jour le jour, chaque fois que l’iniquité se manifeste. Et, donc, par un travail de fond sur les mentalités des «contrevenants» (qui sont toutefois de moins en moins nombreux, dans nos sociétés évoluées).
Nnn. L’argument qui a prévalu pour NanaNews de donner exclusivement la parole aux femmes dans ce n° spécial de ce 8 mars c’est surtout pour rappeler la situation dramatique de trop de femmes: dans les pays sous influence religieuse, mais aussi dans nos sociétés. A votre avis, de quelle autre manière aurions-nous pu «provoquer» nos lecteurs mais aussi nos lectrices pour les amener à y penser au moins à cette occasion?
G.J. Le cas du «statut de la femme» dans les sociétés où elles sont traitées soit de façon humiliante soit de manière brutale exige davantage que des pétitions ou des défilés. C’est par une action beaucoup plus ferme en direction des sociétés pratiquant la ségrégation, sous prétexte religieux ou sous couleur de «tradition» que l’on agira utilement et efficacement. Exiger sur notre sol le respect des règles morales et sociales que notre société a mis des siècles à imposer est la moindre des choses. Notamment, il ne saurait être admissible que soient tolérés, par laxisme, lâcheté ou démagogie, les attitudes et comportements, généralement délibérément provocateurs, qui bafouent notre conception de l’égalité entre femmes et hommes, et traitent celles-ci comme des êtres de seconde catégorie. Quant aux nations qui imposent des usages honteux (on ne va pas en faire l’inventaire, hélas trop connu, et très largement répandu), il ne devrait même pas être question de traiter avec elles comme si de rien n’était et comme si elles constituaient des sociétés respectables. Il ne serait venu à personne, disposant de l’usage de ses facultés de jugement, l’idée de considérer que le régime nazi, par exemple, méritait d’être respecté du fait que ses dirigeants étaient des élus du peuple, ce qui était le cas. Il est de par le monde des pays, des Etats, des régimes, des nations qui bafouent la conception que nous avons de la dignité humaine. La façon dont les femmes y sont traitées et considérées en est l’une des manifestations les plus voyantes et les plus répugnantes. Il a fallu des siècles de combat pied à pied pour que les mœurs archaïques cèdent devant l’impératif de dignité, d’émancipation, d’équité. Accepter que des vestiges, de surcroît agressifs, de mentalités aussi épouvantables que dégoûtantes, soient des interlocuteurs valables ne saurait être que laxisme et lâcheté, sous de fallacieux prétextes (plus «pragmatiques» qu’idéologiques ou moraux).
Donc pas de «traitement séparé» du «cas» de la femme sous forme de «journée» trop éphémère pour porter le moindre fruit. Au lieu de cette naïve et vaine initiative, c’est chaque jour, dans chacune des situations de la vie, qu’il importe d’intervenir, de refuser ici, d’exiger là. Et c’est à chacun, femme ou homme, d’attester en la manifestant par son attitude, par son comportement, l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, entre les vieux et les jeunes, et le respect par tous de chacun.
Nnn. Pensez-vous que la lutte des sexes (en réf. à la lutte des classes) dénonçant la domination masculine n’a pas/plus lieu d’être, qu’elle est ringarde? Pensez-vous que l’opposition Machos/suffragettes soit aujourd’hui réellement dépassée?
G.J. Machos et suffragettes sont, dans notre société, là où elle exerce ses droits et met en pratique ses principes, des survivances d’un temps révolu. Exigeons par exemple que, à travail égal, le salaire le soit aussi, que l’on soit femme ou homme, jeune ou vieux, étranger ou Français. Ce ne sont pas des agitations périphériques, souvent assimilables à des pratiques folkloriques d’un autre temps, qui vont changer quoi que ce soit à quoi que ce soit. Ce qui change les situations, c’est d’abord le changement des mentalités. Et ce qui fait changer les mentalités, c’est, non pas les défilés, les pétitions, les «journées de…», c’est le travail de sape qu’accomplissent les cinéastes, les artistes, les gens qui ont gagné le pouvoir d’être entendus, d’être écoutés. C’est par la réflexion et par l’émotion que l’on touche, sensibilise et convainc les êtres humains.
Si chacun de nous, qui appartenons à une société évoluée, libérée de nombre des a priori qui la lestaient autrefois, fait sur lui l’effort de réflexion et manifeste publiquement sa volonté de chasser les derniers relents de ségrégation, de mépris, d’injustice, les choses changeront plus vite qu’on ne croit. Mais pour cela, plutôt que de «ponctualiser» l’action de sensibilisation, il convient de la répartir sur l’ensemble de l’année, de la semaine, de la journée.
Le travail qu’accomplit chaque semaine nananews est de ce point de vue exemplaire. Sans adopter les méthodes un peu dépassées (car les temps ont changé) des «suffragettes», le magazine sensibilise, et par son ouverture montre que les femmes disposent d’autant de capacités d’initiative que les hommes. Cela on le sait dès lors qu’on dispose d’un esprit libre (ou libéré). C’est en continuant ainsi que, chacun à sa place, avec ses moyens, sa force de conviction, le cas échéant son talent, contribuera à changer ce qu’il convient encore de changer.
Les lois sont là qui garantissent le principe de la parité; s’insurger partout où elle n’est pas respectée doit être l’objectif impérieux de chacun, homme comme femme.
Quant à savoir si les filles subissent la «loi du père» plutôt que celle de la mère, et si ce ne sont pas parfois les dites mères qui pénalisent leurs fils, ou leurs filles, ou les deux, c’est une affaire qui demanderait réflexion, si tant est que ce ne soit pas de plus en plus souvent les pères et les mères qui subissent la loi de leurs enfants!
Et pourquoi ne faudrait-il pas aussi une «journée des parents», pour combattre la vague de renonciation, de défaitisme, de laxisme, de désarroi parfois, qui fait de nombre d’entre eux les grands vaincus de notre société en panne de presque tout(si tant est qu’elle ait jamais fonctionné se façon satisfaisante)?
Nota bene. Oui, bien sûr, au soutien ferme, continu, à ces femmes qui, en marge de notre société, sont traitées par leurs maris ou par leurs frères, voire leurs pères (mais parfois aussi par leurs mères) comme si elles n’étaient pas des citoyennes d’un pays émancipé mais des esclaves d’une tribu archaïque.
Recueilli par Mahia Alonso pour NanaNews