L'école a des bleus à l'âme
L'école a des bleus à l'âme. En mal d'identité, écartelée entre ses origines et son devenir, assaillie par les pouvoirs politiques et les mouvances de société, entre drogues et violences, entre racisme et fascisme, elle doit plus que jamais, dans ces temps difficiles, demeurer cette sublime utopie républicaine qui voulait inventer un monde plus juste.
MAIS SUR QUELLES PASSIONS, SUR QUELLES RÉVOLTES, SUR QUELS ESPOIRS ?
Dans un Siècle des Lumières où le monde entier est avide de connaissances et où l'engouement pour les lettres Françaises est tel qu'on parle Français dans les cours de Russie et d'Angleterre, la société bouge sur ses assises. Economie, sciences, arts, jusqu'aux principes de la morale, les idéologies libertaires s'expriment. Depuis 1793 les Etats-Unis sont indépendants, Montesquieu a déjà écrit l'Esprit des lois, Voltaire son Dictionnaire Philosophique et Rousseau son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, alors évidemment des idées aux hommes, de l'Amérique des libertés au développement des Etats, de la remise en question des empires jusqu'aux nouveaux impôts qui étranglent le peuple, les courants de pensée vont tous vers une plus grande justice, une plus juste répartition des richesses, de la connaissance et du savoir.
De 1793 à 1881, LES ASSISES DE L'ENSEIGNEMENT SONT POSÉES.
Ce que des milliers de petits écoliers appellent "la Révolution de 1789" est alors en mouvement. Passion, terreur, générosité, solidarité, excès de tout en tout, mais c'est dans cette époque trouble, inquiétante et exaltante à la fois que sont posées les premières bases de l'enseignement pour tous gratuit et obligatoire.
C'est le 19 décembre 1793, sur la proposition d'un député inconnu nommé Bouquier que la Convention adopte le principe de la liberté de l'enseignement qui doit être gratuit et obligatoire pour tous les Français de 8 à 11 ans. Le 25 octobre 1795, d'après le rapport de Daunou, est proposé un projet ambitieux d'éducation. En plus de l'enseignement pour tous, des écoles d'Etats spécialisées sont prévues ainsi que des centres pour aveugles et pour sourds-muets. Le 22 octobre 1795 l'Ecole Polytechnique prend son nom définitif et entre 1793 et 1795 sont créés : l'Ecole des langues Orientales, le Conservatoire de Musique, l'Ecole des mines, le Muséum d'Histoire Naturelle et l'Institut National.
DANS LE FLUX ET LE REFLUX DE SES CASSURES ET RENOUVEAUX POLITIQUES L'ÉCOLE ADAPTE SES RÉFORMES.
Les raisons sociales et culturelles sur lesquelles s'appuie "la révolution" pour installer l'enseignement font que l'école républicaine ne peut qu'être soumise aux fluctuations politiques quelle que soit l'époque, et nous pouvons constater aujourd'hui combien notre école est le reflet parfait de notre société imparfaite. Dans le flux et le reflux de ses cassures et renouveaux politiques, selon que l'Etat est riche ou pauvre, à tendance cléricale ou pas, l'école adapte ses réformes.
L'enseignement secondaire sera réalisé sous Napoléon qui participera à la création de l'Université de France. En 1863, Victor Duruy accèdera au Ministère de l'Instruction Publique. Il se battra pour la laïcité et créera l'Enseignement professionnel. De 1919 à 1994, cinquante-neuf lois, projets de loi, réformes, contre-réformes plus ou moins importantes sont proposées, auxquelles on peut ajouter celles de F.Bayrou en 1996 et celles de presque chacun des Ministres en Charge de ce qui s'appelle maintenant l'Education Nationale.
DE L'ÉCOLE ET SON INSTITUTION.
L'école vraiment a des bleus à l'âme. Peut-être que notre institution est aujourd'hui trop grande et étendue pour une réflexion rapide dans un monde qui lui est rapide ? Que sa hiérarchie entrave la remontée des informations indispensables pour une meilleure compréhension des problèmes ? Peut-être que l'école du savoir, celle qui combat l'analphabétisme et permet des chances égales pour tous n'est plus à l'ordre du
jour ? Qu'il y a des priorités dans les gouvernements qui ne sont plus exactement celles de l'éducation en tant que dynamique humaine ?
L'école s'est construite entre fraternité et modernité, mais surtout elle est née de l'inégalité. Elle s'est nourrie des révoltes des hommes et des injustices qu'ils subissaient. Si vraiment elle est fille du peuple, de celui qui battait les pavés de 1789, alors tous les espoirs sont permis, parce qu'actuellement à l'évidence, les conditions sont là pour réveiller en elle son souffle vital. Il suffit d'écouter le discours des lycéens et des étudiants (et aussi celui des parents). Ils expliquent et revendiquent, ils se mobilisent avec intelligence. Tous savent que c'est le savoir et la connaissance qui leur apporteront la liberté d'être ce qu'ils auront envie d'être. Tous ont l'intime conviction que l'école, leur école doit être défendue contre les autres et contre elle-même parfois, parce qu'unique dans sa conception de l'égalité.
Cette école est leur école, elle est née de la rue et appartient à la rue. Elle leur a été transmise par des hommes qui au travers de l'histoire ont déployé des énergies de titan pour une certaine idée qu'ils avaient de la civilisation, et si parfois ils l'oublient, en période de crise ou d'incertitude sociale, ils s'en souviennent. Comme on se souvient de ses origines et qu'on puise dans ses racines pour y trouver des forces.
Au centre d'un monde mouvant où les hommes ont perdu leurs repères, l'école demeure un phare, solide et immuable, dépositaire pour tous les siècles à venir de valeurs qui ont permis aux hommes de s'élever et de grandir. Celle qu'on nomme "l 'école de la connaissance" porte en elle des mots qu'on a tous récités sur ses bancs et qui prennent en cette période trouble qui est la nôtre, une précision et une qualité particulière.