Philou Gatien : génération ping
Philou Gatien : génération ping
Dans la foulée du tennisman Guillaume Raoux qui s’est reconverti dans un fonds d’investissement pour la santé après un MBA de finances, c’est au tour aujourd’hui du pongiste Jean-Philippe Gatien dit « Philou », vice champion olympique à Barcelone, qui a repris ses études et passé un Master à l’ESSEC, la prestigieuse école de commerce, afin de mieux rebondir dans sa vie d’homme et réussir sa reconversion après l’arrêt de sa carrière sportive en mai 2004, à 35 ans.
Pour la troisième édition de son bébé pongiste événementiel, le Grand Prix de Levallois, en ce dimanche 29 novembre, Philou Gatien est omniprésent et se multiplie, dès potron minet, au Palais des Sports Marcel Cerdan en habits de lumière et de fête sportive qui a fait le plein (2000 spectateurs). Après « génération ping » ,slogan publicitaire des années 1990, le champion pongiste joue désormais la partition du « patrimoine ping » en ce début de XXIe siècle.
« La route qui m’a mené au plus haut niveau a été très riche en enseignements et en expériences humaines, pas seulement jalonnée d’exploits et d’échecs qui forgent un palmarès et un mental de champion tout en faisant la une des journaux. La dimension éducative du sport, la mixité sociale et la connaissance de soi sont essentielles pour moi, et c’est ce que je cherche aujourd’hui à transmettre, après avoir mis fin à ma carrière en 2004, à cause de problèmes récurrents de dos. »
Tout en préparant un Master à l’ESSEC, Philou passe aux actes en novembre 2006 en créant et en lançant son association « Ping Attitude , avec le soutien de la fondation Jean-Luc Lagardère et de la Fédération Française de Tennis de Table (FFTT). Avec cette nouvelle structure au nom porteur et moderne, Gatien souhaite initier à la pratique pongiste les jeunes issus des quartiers défavorisés ou vivant des situations difficiles, comme les jeunes malades dans les hôpitaux. Il veut leur faire découvrir toute la richesse et la subtilité de ce sport populaire et familial qui a la capacité de réunir autour de la table et d’une petite balle en celluloïd des mondes qui s’ignorent et de renforcer les liens entre les générations. Comme la lecture de Tintin, on peut en effet pratiquer le tennis de table, sauf contre indication médicale, de 7 à 77 ans, voire même plus si le corps suit.
Dessine moi un Grand Prix
Chemise blanche et complet veston chic, Philou porte bien avec sa crinière désormais argentée à la quarantaine. Le Vice président du club de Levallois dont il a été le champion vedette depuis juin 1986, a l’œil à tout ce dimanche à Cerdan, aidé par Caroline Chila qui veille au grain du 3e Grand Prix, un bon cru avec du spectacle et du suspense jusqu’à la belle de la finale (11-9 au 5e set gagné par le champion chinois de service qui n’a pas fait le déplacement pour rien). Notre diplômé de l’ESSEC et président fondateur de Ping Attitude passe sans transition de l’ombre à la lumière, des caméras de Sport +, partenaire fidèle incarné ici par le journaliste ex-pongiste Sébastien Dupuis et le consultant et ex entraîneur de l’équipe de France Christian Martin, aux coulisses des salons VIP et du club des partenaires.
Véritable homme orchestre et pilier du Grand Prix de Levallois. Avant de mouiller une dernière fois le maillot raquette en main et reprendre un peu de service ping vers 18h30 face à son « meilleur ennemi », le Belge Jean-Michel Saive, pour un remake de la fameuse finale des championnats du monde en mai 1993 qu’il a remporté de haute lutte à la belle (21-18). Séquence nostalgie avec quelques images rétro sur grand écran de cette fameuse finale des Mondes en Suède et clin d’œil humoristique avec la complicité de l’adversaire belge de toujours qui donne la réplique et joue volontiers le jeu. A l’image de Christian Martin descendu de la tribune de presse et de nouveau sur le banc de touche…
Anecdote savoureuse que le député maire de Levallois, Patrick Balkany, aime à raconter à qui veut l’entendre. Il faisait partie en mai 1993, de la délégation des Hauts de Seine en Chine comprenant des élus et des hommes d’affaires emmené par Charles Pasqua pour rencontrer des responsables politiques et économiques chinois. Lorsque l’interprète chinois leur annonça avec déférence et respect qu’un jeune pongiste français de 24 ans était le nouveau champion du monde de tennis de table, il s’écria : « C’est Philou, c’est notre champion levalloisien et il fait partie du club de Levallois, champion de France et vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions. Sachez tous que je suis le maire comblé de la ville du ping en France ».
Courbettes et sourires de la délégation chinoise qui apprécie l’exploit pongiste de Gatien à sa juste valeur, d’autant qu’aucun joueur chinois n’est sur le podium des « Mondes 1993 » . Exception qui confirme la règle pongiste, à savoir la domination désormais sans partage de l’Empire du Milieu sur la planète ping depuis des décennies. Dès lors, les relations et les négociations du 92 « département le plus riche de France » avec la Chine devinrent comme par enchantement plus faciles… Un marché aux règles du jeu bien particulières et si singulières qui s’accélèrent au rythme du top spin frappé du coup droit du gaucher Philou qui n’ouvrit pas seulement des brèches dans la défense adverse mais aussi de consolider la présence de la France dans l’Empire au Milieu au potentiel fantastique. Un ambassadeur sportif globe trotter qui savait aussi dans les avions se plonger dans les cours de la Bourse en lisant « Les Echos » et « La Tribune », après la lecture incontournable de « L’Equipe ». Une manière pragmatique et efficace de surveiller de près ses placements et ses investissements. Tel père, tel fils ! Avec un bon retour sur investissement, médailles comprises.
Le souci du détail et du must qui fait la différence
Certes, tout sportif de haut niveau, malgré son palmarès impressionnant et son rayonnement, ne peut prétendre atteindre la notoriété d’un David Douillet, judoka poids lourd et double champion olympique élu récemment député ; ou se reconvertir au niveau mondial comme le skieur Jean-Claude Killy, triple champion olympique aux JO de Grenoble en 1968, pilier du CIO et véritable icône internationale tous sports confondus. Philou, qui vient de fêter ses 41 ans en octobre dernier et peut se vanter d’avoir réalisé les rêves les plus fous de son assureur de père René, n’était d’ailleurs pas encore né à l’hiver 1968, tout juste conçu dans le ventre de sa mère, lorsque le skieur mythique accomplit son triple exploit sous les yeux du général De Gaulle.
Et Gatien sait bien que son sport, le tennis de table n’est pas encore très médiatique (sauf en Asie) bien que tout le monde puisse le pratiquer à son niveau, selon son envie et y ait joué au moins en loisirs à un moment ou à un autre à la plage ou dans son garage, voire dans un club de vacances ou dans un club tout court. A l’été 1992, bien que surclassé (3 sets à 0) en finale simple messieurs des JO de Barcelone pour le golden boy suédois et véritable Mozart du ping, Jan Ove Waldner, Jean-Philippe Gatien a bénéficié dans la foulée d’or de Marie Josée Pérec, la reine athlétique de ces Jeux 1992 d’une exposition médiatique inattendue en prime time Canal +, capital inestimable qu’il a su faire fructifier…
Quel est donc son secret pour le succès du Grand Prix ? Méthodique, discret et déterminé, Jean-Philippe Gatien a su, au fil des éditions, peaufiner et développer cet événement original au concept simple dans son fief levalloisien A savoir : seize joueurs s’affrontent pour décrocher le graal et le pactole (14 000 euros au vainqueur sur une bourse de 70 000 euros au total, alors qu’au même moment le tennisman russe Davydenko raflait un million d‘euros en gagnant les Masters de Tennis à Londres) ) après quatre matchs dont les demi-finales sont retransmis en direct et la finale en léger différé. Certains joueurs du top mondial ont modifié leur programme de la fin d’année 2009, avec en ligne de mire la qualification pour la Grande Finale du Pro-Tour à Saint Pétersbourg (Russie) qui se déroule deux jours après le Grand Prix de Levallois.
Ces circonstances ont conduit Philou a multiplié les échanges (c’est le cas de le dire !), notamment avec la Chine, patrie du tennis de table, pour bâtir un plateau attractif et spectaculaire de haut niveau : « L’entraîneur en chef de l’équipe de Chine, Liu Guoliang a dû revoir ses plans mais finalement, six semaines avant l’événement, précise Gatien, il a confirmé la participation de Hao Shuai, 26 ans, N°7 mondial, l’un des pongistes en forme de cette fin de saison, avec les européens Schlager et Samsonov aussi présents pour notre 3e édition ».
Pour mener à bien son projet de Grand Prix, fort de l’appui indéfectible des collectivités locales et territoriales et de sponsors fidèles (notamment Cornilleau dont il est le conseiller en développement matériel depuis presque deux décennies et Butterfly, sponsor japonais du club de Levallois), il a su utiliser son réseau et ses bonnes relations avec les autres joueurs en activité, dont certains comme Waldner Persson Karlsson, Saive, Schlager, Chila, Legout, Eloi, etc, l’ont connu à la table au temps de sa splendeur pongiste. Les ingrédients du succès sont connus, à l’image de son jeu à la table : rigueur, précision, souci du détail et du petit plus, recette qu’il a appliquée déjà au cours de sa carrière bien remplie. Avec un goût calculé pour le risque et l’adrénaline de l’enjeu.
Le Biélorusse Vladimir Samsonov, victorieux de la 2eme édition du Grand Prix de Levallois et récent vainqueur de la Coupe du Monde individuelle, montre que le rayonnement et le relationnel de l’ancien champion du monde et vice champion olympique sont essentiels pour la réussite d’un tel événement qui doit réunir un plateau exceptionnel pour séduire public et média. Il déclare pour sa troisième participation à un tournoi sur invitation qu’il n’a jamais manqué malgré un calendrier international démentiel : « Je connais Philou depuis très longtemps. J’ai joué contre lui lors de mon premier champion du monde à Göteborg en 1993, lorsqu’il a gagné le titre. Philou a toujours été quelqu’un de charmant, de très intelligent. C’est un type bien. Dès que nous avons l’occasion de nous rencontrer, c’est toujours agréable de discuter un moment avec lui. Ce qu’il réalise sur le Grand Prix est super. Il maîtrise parfaitement bien tous les aspects de l’organisation et fait tout ce qu’il est possible pour que nous, les joueurs, soyons dans les meilleures conditions. Ca compte autant à nos yeux que la dotation du tournoi. »
Mais J.Ph. Gatien possède aussi d’autres atouts dans son jeu, notamment quelques ingrédients originaux qui font la différence pour drainer le public qui n’est pas seulement parisien. Comme lors des précédentes éditions, les spectateurs du Grand Prix ont suivi les échanges à plus de 200 km/h sur écran géant. Avec les ralentis et l’innovation des « kits-oreillettes Spot Média apportée lors de l’édition 2007. Chaque spectateur équipé d’une oreillette, peut suivre dans la salle toute la compétition avec l’avis d’experts, Patrick Birocheau et Jean-Claude Decret, tous deux ex-entraîneurs de l’Equipe de France. Avec commentaires techniques et interviews traduites des champions dont certains ont accepté d’être lesté de capteurs cardiaques pour qu’on enregistre et affiche leurs pulsations en plein effort (autour de 150 par minute, sauf l’Autrichien Schlager, le finaliste du Grand Prix dont le cœur bat un peu plus vite, 165 pul/mn en plein effort).
A l’entracte, des jeunes dont deux Handisport/sport adapté et deux jeunes de l’UNSS ont échangé dans la magnifique arène de Cerdan quelques balles avec des champions comme le vétéran Persson, 43 ans et les jeunes Ovtcharov, Lebesson, Robinot.
En les regardant faire la queue pour jouer dans l’arène de lumière, en attendant de défier quelques instants plus tard Jean-Michel Saive une ultime fois, Philou revoit défiler en raccourci saisissant sa propre histoire. Avec son frère aîné et un père dirigeant de club, il a démarré à 5 ans sur une table installée dans le garage familial puis s’est inscrit à 7 ans, en 1975 au club gardois de l’AS Salindres, avant d’intégrer à 12 ans l’INSEP, la fabrique française à champions nichée en plein Bois de Vincennes. Après une réunion sudiste de famille à l’instigation de Michel Gadal qui allait accompagner la carrière de Philou jusqu’à la finale olympique de Barcelone en 1992. Dur, dur pour la mère de Philou de se séparer de son jeune garçon, mais le père assureur a de l’ambition pour deux, rêve d’un fils champion et tranche dans le vif. Passionné et dynamique, papa Gatien joue avec son fils cadet la carte du patrimoine ping, s’investit et investit tout sur lui : envers et contre tout, il sera toujours son premier et indéfectible supporter. Au point d’être connu jusqu’aux fins fonds de la Chine et de se voir confisquer sa trompette aux JO de Barcelone. Pour le pire (une non sélection aux championnats d’Europe jeunes en Tchécoslovaquie et le camouflet sportif aux JO d’Atlanta en 1996) mais aussi et surtout le meilleur : notamment la médaille d’argent en simple JO 1992 à Barcelone face à son grand rival surdoué Waldner et bien sûr la médaille d’or aux championnats du monde de 1993.
Hélas, victime d’une crise cardiaque qui le terrassa peu de temps avant l’événement sportif planétaire auquel il s’apprêtait à aller à l’autre bout de la terre, René Gatien ne verra pas en direct et surtout ne fêtera pas comme il savait si bien le faire (nous parlons en connaissance de cause !) la médaille de bronze en double de son fils Philou en deuil avec Patrick Chila aux JO de Sydney en 2000. Mais il n’a pas pu ne pas voir et admirer en connaisseur, là où il était, l’échange extraordinaire aux trajectoires improbables et ahurissantes de la petite balle du double français face au double coréen qui passera sans cesse en boucle sur les écrans TV du monde entier…. Au point d’hanter nos rêves pongistes les plus fous.
Mais trêve de nostalgie ping, revenons vers notre jeune et smart organisateur d’événement qui évoque sans langue de bois son bilan actuel à Levallois et la manière dont il a placé et fait évoluer son capital ping :
« Dans le contexte général, rien n’est aisé mais c’est encourageant car le public et les sponsors nous suivent au fil des Grands Prix. Depuis quatre ans, nous avons développé des réseaux qui s’avèrent constructifs car, à terme, l’objectif est d’être moins dépendant du soutien des collectivités territoriales. J’ai passé vingt ans sur le circuit international et je participais à des tournois sur invitation, notamment au Japon. Je revenais là où je me sentais particulièrement bien et je peux dire que l’accueil et notre organisation professionnelle n’ont rien à envier à d’autres événements. Si j’avais un souhait à émettre, ce serait l’intégration du Grand Prix au calendrier international pour gagner en sérénité et en faire un événement incontournable pour les champions, par ailleurs fort sollicités en ce début de saison. Car notre but est commun avec les instances qui dirigent le tennis de table : montrer le ping, le mettre en valeur et le faire aimer au plus grand nombre pour le développer et le rendre encore plus populaire », conclut Philou, chef d’orchestre pongiste comblé du Grand Prix de Levallois.
Un essai concluant, avec preuve par trois à Levallois et à Ping Attitude (encadré), pour une reconversion réussie.
Who’s Who Jean-Philippe Gatien Né à Alès le 16 octobre 1968 Marié, deux enfants BAC D, Master de l’ESSEC Licencié dans 3 clubs au cours de sa carrière, à savoir : AS Salindres en 1975, 4S Tours en 1984, Levallois Sporting Club depuis juin 1986 |
Le plus beau palmarès des pongistes français
Meilleur classement : N°1 mondial (juillet 1992)
Sélectionné de 1988 à 2000 aux Jeux olympiques de Séoul, Barcelone, Atlanta et Sydney
Champion du monde simple Messieurs en mai 1992 à Göteborg
Vice champion olympique simple Messieurs JO 1992 à Barcelone
Médaille de bronze (avec Patrick Chila) en double messieurs aux JO 2000 de Sydney
Vainqueur de la Coupe du monde individuelle à Tapei (Chine)
Vainqueur du Top 12 européen en 1997 à Eindhoven
2 fois champion d’Europe par équipe en 1994 (Birmingham) et 2000 (Eindhoven)
Vainqueur par équipe en 1990 de la Ligue Européenne Super Division
Vainqueur de la Coupe d’Europe des Nations en 1996 à Bayreuth
Champion d’Europe double messieurs (avec Patrick Chila) en 2000 à Brême
Champion d’Europe Double mixte (avec Xaio Ming Wang) en 1990
2 fois médaille d’or simple messieurs aux Jeux Méditerranéens en 1991 (Athènes) et en 1993 à Mèze (France)
Treize fois champion de France individuel en simple messieurs entre 1988 et 2002
14 fois consécutivement champion de France par équipe avec son club de Levallois de 1988 à 2001
2 fois champion d’Europe en 1990 et 1995 de la Champion’s League avec Levallois
2 fois champion d’Europe en 1988 et en 2004 de la Coupe Nancy Evans avec Levallois.
LA PING ATTITUDE EN 3 POINTS GAGNANTS
1/Au club de Saint-Denis dans le 93 Des créneaux hebdomadaires sont réservés aux familles défavorisées.L’association Ping Attitude organise des tournois, propose des séances de découvertes, de perfectionnement mais aussi une ouverture vers les métiers du tennis de table et du sport en général, en collaboration avec la Fédération Française de Tennis de Table.
2/ A la Maison de Solenn, établissement à Paris, qui accueille des adolescents et s’efforce de répondre à leur mal être, Jean Philippe Gatien et les animateurs de Ping Attitude interviennent chaque semaine. Ces actions s’inscrivent dans le cadre des « soins culturels » développés par le professeur Marcel Rufo.
3/Dans le cadre du projet éducatif expérimental initié par Sciences-Po en Seine-Saint-Denis. A l’intention des classes de seconde des lycées de Clichy sous Bois et Saint-Ouen, Jean-Philippe Gatien et Michel Gadal, Directeur Technique National de la Fédération Française de Tennis de Table, animent un atelier qui mêle sport et éducation. Au programme : initiation à la compétition et découverte de l’histoire de l’Olympisme.