Mon plus joli conte de Noël
Mon plus joli conte de Noël
(une histoire vraie)
Il y a bien, bien longtemps de cela, je venais d’arriver à Paris depuis quelques mois et j’avais trouvé à me loger en sous location dans le 18e arrondissement. Et tout allait bien… jusqu’au jour où la locataire m’apprend que le propriétaire qui jusque-là fermait les yeux, ayant besoin de récupérer l’appartement, usait de l’illégalité de la situation pour la virer dans la semaine et … moi avec!
Une semaine donc pour me retourner, sans argent devant moi. Si de nos jours se loger est devenu une sinécure, il y a …quarante ans, il en était de même quand on n’avait pas de sous !!
Nous étions donc en mars 1971. Chaque fin de journée après mon travail, je courais les agences de logements. Je visitais ce que j’appelle des taudis, des studios absolument insalubres, de quoi me donner envie de fuir très loin. Seulement voilà je ne voulais pas quitter Paris. J’étais coincée, comment avancer trois mois de loyer avec une paye misérable ? À cette époque, sans aucune formation professionnelle, sortant d’une école de théâtre fréquentée à Londres, j’avais pu trouver un emploi dans une entreprise de développement de photographies, au service des réclamations et pour 850 F par mois je me faisais engueuler à longueur de journée.
Bref j’étais fauchée comme Job, et la semaine se terminait. Est arrivé le dernier soir.
Le lendemain je serais à la rue. Bien sûr j’avais le recours d’aller dans un hôtel, quelques nuits, et ensuite ??
Complètement déprimée, c’était huit heures du soir, je suis descendue dans la petite alimentation en bas de mon immeuble pour acheter une bouteille de lait. Quand je vais mal, aujourd’hui encore, j’éprouve l’impérieux besoin de boire du lait chaud.
Et là, dans l’épicerie, où il y avait quelques clients et alors que j’étais à cette époque-là très timide, je me suis exclamée : « est-ce que quelqu’un connaîtrait un endroit à louer pas cher parce que demain je suis à la rue. »
Ce souvenir me fait encore monter les larmes aux yeux.
L’employée, une jeune femme, est venue vers moi et à voix basse m’a dit: « je connais quelqu’un qui cherche à vendre un studio mais peut-être qu’il accepterait de vous le louer en attendant de le vendre, peut-être qu’il pourra vous arranger.»
Et elle me donne l’adresse : 16 rue du faubourg Saint-Denis, le restaurant Julien.
J’étais à Barbès Rochechouart. J’ai pris le métro. Je suis arrivée dans ce restaurant qui était un endroit absolument extraordinaire : une salle immense, aux murs recouverts de superbes fresques des années 20. Les clients étaient installés à de longues tables, et les conversations naissaient entre gens qui ne se connaissaient pas. Des menus, à des prix exceptionnellement bas, aussi sa clientèle était-elle composée de tous les sans le sou… C’était une sorte de cour des Miracles tenue par un couple hors du commun.
C’est à ce couple qu’aujourd’hui je veux rendre hommage. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus : lui s’appelait Maurice Barbarin et elle, Marie-Madeleine, née Burker. Ils avaient 56 et 50 ans.
Mme Barbarin m’a invitée à la suivre et nous avons remonté la rue du faubourg Saint-Denis jusqu’au numéro 42, le passage de l’industrie. Nous avons monté six étages et elle m’a introduite dans le petit studio qui avait appartenu à son fils, ainsi qu’elle me l’expliquait avec un fort accent allemand tandis que nous montions les escaliers. Ce fils venait de se marier, et j’ai appris que l’épouse était l’employée de l’épicerie qui m’avait envoyée.
Les Barbarin avaient mis le studio en vente pour se renflouer après avoir acheté un appartement aux jeunes mariés.
Le choc, en pénétrant dans ce petit studio sous les toits ! J’ai immédiatement senti que c’était là et pas ailleurs que je voulais vivre. La dame me dit que quelqu’un était très intéressé pour acheter et qu’il devait donner une réponse le lendemain et qu’en fait le studio n’était pas du tout à louer.
Je devais avoir une petite mine bien misérable ! Mais une folle impulsion, soudain, me fit dire : « moi je vais l’acheter. Je n’ai pas d’argent mais je vais trouver ! Cet endroit me plaît tellement ! Si vous aviez vu tous ceux que j’ai visités, l’horreur, la saleté, pas de lumière…»
Mme Barbarin continuait de me regarder et j’avais l’impression qu’elle me sondait jusqu’au plus profond de moi.
Elle a dit : « donc demain vous êtes à la rue? Eh bien non, vous ne serez pas à la rue. Vous allez venir vous installer ici jusqu’à ce que le studio soit vendu, à vous ou à quelqu’un d’autre. Et si c’est à vous, tant mieux. Alors à demain?»
Je n’ai rien inventé.
Le lendemain de ce jour de mars je suis arrivée avec mes bagages (je n’avais aucun meuble étant alors en sous-location dans un meublé) et j’y suis restée jusqu’au 5 juillet, jour où, devant le notaire, tous trois nous signions l’acte de vente du studio.
J’avais réussi à emprunter 80 % du prix à la banque, une de mes collègues, la délicieuse Mrs Jack n’ayant servi d’aval. Je n’avais pas trouvé les 20 % manquants. Mon père à l’époque, petit agriculteur dans le Gers, m’avait signé une traite que le notaire refusa, ce papier ne représentant absolument rien.
M. et Mme Barbarin ont tout de même voulu signer l’acte malgré la mise en garde du notaire disant qu’ils n’auraient aucun recours contre moi si je ne réglais pas le reste. Il s’agissait d’un contrat moral entre les vendeurs et l’acheteuse. Quand les papiers seraient signés, je serais légalement propriétaire à part entière du studio.
Et nous avons signé ! Je suis devenu propriétaire, avec 0 centime en poche!
Ils avaient gagné ma reconnaissance éternelle. J’ai mis un an à rembourser ma dette. Chaque fois que je suis venue déjeuner chez Julien, amenant toujours des amis, mon repas était offert, où c’était une bouteille de vin qu’on nous servait de la part des patrons.
Je leur ai demandé pourquoi ils avaient agi ainsi – et j’ai oublié de vous dire que par la période où je suis restée en « location » chez eux, de mars à juillet, ils n’ont pas voulu un seul centime de ma part, pas même pour payer les charges ! Je vais vous dire leur réponse :
« Quand j’ai connu ma femme Marie-Madeleine, j’étais prisonnier en Allemagne, c’était pendant la guerre. Nous sommes tombés amoureux et je l’ai ramenée avec moi en France. Je ne vous dis pas l’accueil. Nous avons connu bien des misères. Nous avons beaucoup souffert. Beaucoup. Ça nous a fait réfléchir. Nous nous sommes promis que si un jour nous pouvions aider quelqu’un qui en avait besoin, nous le ferions de bon cœur.»
Ce quelqu’un c’était moi.
Vingt ans plus tard j’ai revendu mon studio à un ami israélien, Schmulik. Son prix a été le mien. Il faut dire qu’il était mon locataire depuis que je m’étais marié et partie vivre en banlieue. Régulièrement, au fil des ans, Schmulik me disait : « tu dois m’augmenter le loyer, les prix ont changé ».
Vous imaginez cela ? N’ai-je pas eu toujours sur ma route des anges gardiens ?!! Ils ont toujours pris soin de moi et ils continuent.
Aujourd’hui je vis dans le Gers. Il y a 25 ans, j’ai pu acheter un terrain avec la vente du studio et j’y ai fait construire ma maison. Pourtant j’étais au chômage après avoir quitté Paris, mais du fait que j’apportais le terrain, le prêt m’a été accordé pour la construction.
En ce temps de Noël, je demande à mes anges gardiens de verser des bénédictions sur Monsieur et Madame Barbara, s’ils sont toujours de ce monde, et sur leur descendance.
Si jamais l’un d’entre vous qui par hasard lirez ce texte connaît ces personnes, transmettez leur ma gratitude éternelle.
Je vous ai partagé cette belle histoire vraie pour que vous cultiviez au moins un seul mot dans voter cœur : CONFIANCE !
Joyeux Noël à chacune, chacun. Croyez aux anges, ils existent. Et gardez CONFIANCE !
©Mahia Alonso