Il se prend pour qui,
le sapiens-sapiens, hein ?
Par Gil Jouanard
Sans chercher spécialement à se démarquer vis-à-vis du consensus anthropocentriste non déclaré mais omnipotent, on ne peut éviter, si le souci d’équité et de curiosité scientifique nous anime, de constater que le statut de l’être humain a pris des proportions à propos desquelles le terme « enflure » ne serait sans doute pas inapproprié, et moins encore excessif.
Quel esprit sain, honnête, lucide, clair ne serait en effet pas stupéfait lorsqu’il lui est donné de voir, d’entendre et de lire le cas qui est fait, de façon unanime et planétaire, de la mort d’un individu isolé ou d’un groupe plus ou moins nombreux relevant, l’un comme les autres, de l’espèce animale des Homo Sapiens-Sapiens ?
En vérité, ce n’est pas tant ce souci, globalement légitime, et de pure solidarité instinctive, qui étonne, et peut même pousser à s’indigner tout honnête biophile, que l’indifférence qui, en regard ou en parallèle, et en quelque sorte a contrario, affecte l’esprit anthropo-, et même ego-, centrique, lorsque l’individu (ou l’être) défunt se trouve être un lapin, un rhinocéros, un lémure, un scarabée, une libellule ou un simple faucheux.
Quoi, la vie, lorsqu’elle dispose de l’avantage de savoir parler, de pouvoir devenir présidente de la république, championne de karaté ou chercheuse nobélisable, aurait plus de prix, et mériterait davantage d’attention et d’égards que celle qui, sans chichi, depuis un ou deux milliards d’années, se fraye non sans difficultés un chemin vers la précarité, sans pour autant se prendre pour ce qu’elle n’est pas plus que quiconque ni se stipuler consciente, responsable, gestionnaire, dominatrice, unique ?
Il faut avoir la fat vanité des sectateurs de l’une ou l’autre des religions patriarcales (et violemment machistes) pour avoir l’audace, le toupet, l’insolence détestable de promulguer que la planète terre a été conçue pour favoriser le bien-être et la survie de cet animal plutôt minable en ses prémices, qui, charognard immonde, parvint à accéder au stade de l’abject et impitoyable champion de la prédation, avant de pratiquer vis-à-vis de ses détestables et pitoyables semblables la politique du « Pousse-toi de là que je m’y mette ».
Cette vilenie serait donc suffisante pour que l’on s’autorisât à justifier tant d’égards accordés à l’enterrement d’un quidam, tandis que la mort d’un lion, d’un éléphant, d’un cygne, d’un paon, d’un cétacé, d’un phalène passeraient inaperçue sans choquer, peiner ou simplement effleurer la conscience d’un de ces ignobles nervis sapiens ?
Allez, allez, vade retro satanas ; du balais, Sapiens-Sapiens ; au large, mouche du coche, raclure de bidet, caporal autrichien, moins que rien, infection galopante !
Ils ne sont pas sans défauts, ces animaux qui ne nous envient en rien ; mais du moins n’ont-ils d’autre prétention que de s’en tirer au mieux et pour aussi longtemps que possible, sans espoir d’au-delà ni même de suprématie universelle. Leurs pragmatiques aspirations, certes aussi cyniques que les nôtres, ne vont pas au-delà de la maîtrise provisoire, éphémère, d’une portion raisonnable de territoire.
Pour accéder à cette fin, que nous jugerons modeste, il leur suffit parfois de pisser aux quatre coins de deux ou trois hectares. Cela fait, ils pourront mourir en paix, en silence, sans apparat particulier, dans la dignité de l’anonymat.
G.J