Eniko Szilagyi, Je chante d’abord avec mon âme
Eniko Szilagyi
Côté cour, côté jardin…
“Je chante d’abord avec mon âme, après avec ma voix”.
«Je suis une comédienne convaincue, interprète et non chanteuse ». C’est ainsi qu’Enikö Szilagyi, artiste dramatique internationale naviguant entre New-York, Prague, Londres ou Paris, se présente, avec son adorable accent slave. Mi-Hongroise, mi-Roumaine, de nationalité Belge, Enikö Szilagyi (on prononce Silagy) est née à Klausenbourg, nom allemand pour Cluj-Napoca en Roumanie. Elle a suivi le cursus académique de l'Université de Théâtre et Cinéma de Bucarest, dont elle est diplômée. Bien avant ses études, elle était déjà devant les micros des radios, sur les plateaux de télévision, devant les caméras de cinéma, et sur les planches de théâtre. Très vite elle sera une star du grand et du petit écran en Europe centrale. « Une parmi les plus spectaculaires actrices des années 80» (selon le journaliste hongrois M. Mihailescu). Depuis 1989, elle vit entre Ostende et Paris.
Une riche carrière de comédienne.
Enikö Szilagyi a travaillé sa voix à l'université de théâtre de Bucarest, pour en adapter le registre selon ses rôles, puisés dans le grand répertoire. Elle a fait partie de la troupe du Théâtre National de Tîrgu Mures puis de Cluj-Napoca, deux grandes villes universitaires et hauts lieux culturels de Roumanie. Elle a résidé quatre années en Belgique, acquis la nationalité belge, puis s'est installée en Hongrie, à Budapest. Elle se produit une dizaine d'années avec la troupe du Théâtre de Debrecen, Théâtre de Kecskemét, Budapesti Kamaraszinhaz. Pendant toute sa carrière, elle interprète premiers rôles et rôles importants dans un beau répertoire classique populaire, proche de ce que développe le Berliner Ensemble, ou à Paris, un peu plus tard, le Théâtre National Populaire de Jean Vilar : Marguerite Duras, Beckett, Heiner, Müller, Pirandello, Euripide, Ibsen, Schiller, Dostoïevski, Garcia Lorca, Goldoni, Arthur Miller, Shakespeare, Sophocle, Brecht (avec l'Opéra de quat’sous dans le rôle de Polly), Georges Bernard Shaw, Machiavel. Une soixantaine de rôles au théâtre, une vingtaine au cinéma. A son palmarès, 17 films dont le rôle féminin principal de "Guillaume le conquérant" de Gilles Grangier (film et série télévisée).
Elle a reçu de nombreuses distinctions (6 prix d'interprétation féminine au théâtre en Hongrie) et la Croix de la Légion d'honneur de la République Hongroise.
Dans le rôle de Médée
Entre rébellion et caresse, la voix d'Enikö Szilagyi est un cadeau.
Quand elle découvre, bouleversée, la chanteuse Barbara, Eniko Szilágyi n’hésite pas : c’est cela qu’elle veut faire désormais. Et elle tourne le dos à sa carrière cinématographique pour travailler la chanson française d’arrache pied avec son pianiste. Elle introduit dans son répertoire également des textes de Boris Vian, Léo Ferré, Brel, et met en scène une série de spectacles théâtralisés dont le pivot est la chanson française. Elle traîne dans sa voix de mezzo-soprano, une charge émotionnelle communicative et parfois déchirante qui séduit très vite tous les publics devant lesquels elle se produit. Elle devient une habituée de salles prestigieuses parisiennes comme la salle Gaveau, le Théâtre Dejazet, le Théâtre Lucernaire.
Elle est aujourd’hui une artiste engagée dans la francophonie dont elle est nommée l’ambassadrice officielle en 2004 pour la chanson francophone. Outre le français, le hongrois, le roumain, la comédienne parle flamand, anglais et vante les mérites du multilinguisme car « on se sent partout chez soi.»
Mais c’est de la langue française qu’elle est amoureuse jusqu’à « la folie ». Etablie à Paris depuis 2006, elle travaille aux cotés d’artistes comme Georges Moustaki, le compositeur Jean Musy qui a mis en musique les textes et les poèmes d'Eniko et les écrivains René de Ceccatty et le prix Goncourt Jean Rouaud. Après un succès immédiat, elle parcourt l’Europe : 300 spectacles à travers les pays de l’Est, l’Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis, et bien sûr, la France. Elle travaille actuellement avec le pianiste et compositeur, Alceo Passeo, un virtuose, fils spirituel d’Aldo Ciccolini qui a également participé à la musique de nombreux films dont Shine ou La Môme :
«Je suis née à l'ombre rafraîchissante des platanes de Klausenbourg à l'Ouest de la Roumanie, en Transylvanie. J'ai été bercée dans deux langues, le roumain et le hongrois. Cette dualité de la culture m'a fait découvrir la notion "d’horizon".
Mon père, Francis, a étudié la Théologie, ensuite, il a suivi les cours du Conservatoire de musique. Il a été premier-ténor lyrique à l'Opéra. Ma mère, Hélène, a travaillé dans le domaine économique, dans une imprimerie. Elle représente le côté pratique de la famille. J'ai une soeur, Catherine.
Élevée et dirigée vers les arts par ma grand-mère paternelle, Marie, c’est elle aussi qui me laisse en héritage "la folie d’aimer". Mes grands-parents maternels, architectes, me lèguent la passion et la persévérance dans le travail et dans la création.
Mon premier contact avec le monde magique des arts, c’est à l’âge de trois ans, quand je vois Traviata.
Je grandis entre la ville et la campagne, entre la pauvreté du présent et le souvenir des années d'aisance bourgeoise ; j'apprends le respect du talent et de la valeur.
Avec les années de la consolidation du communisme, la famille de ma mère est expropriée et envoyée aux travaux forcés par le régime au pouvoir. Mon père, étudiant au Conservatoire, est fait prisonnier. Il passe sept ans en Sibérie, à Briansk.
La terreur de la dictature communiste, la peur et le mensonge, l'injustice, la prison de l'esprit et de l'âme, donnent une dimension exacerbée à l’existence et à la pensée libre...»
Auprès de cette femme superbe, illuminée par sa générosité, le temps est suspendu. Son accent slave, presqu'effacé quand elle chante, ressuscite l'atmosphère douloureuse, émouvante de l'Europe centrale. Entre violence et tendresse, la voix d'Enikö est le cadeau d'une fille des brumes.
Pour l’avoir vue plusieurs fois en récital, je peux dire qu’un ouragan fiévreux envahit tout son être quand elle est sur scène. Enikö puise son énergie dans la force des textes qu'elle choisit:
"J'aime voir et sentir les mots. La musique est une aide sentimentale mais les mots, c'est l'esprit!"
La voir sur scène est un rare bonheur. Elle est d’une lumineuse radiance. L’éclat de son regard d’eau est avivé par l’émotion qui la saisit chaque fois qu’elle monte sur scène. Une scène qu’elle habite, y installe son aura. Et puis sa voix. Une voix ample, grave, qui sculpte pour une redécouverte bouleversante des textes quasi sacrés de Brel, Piaf, Barbara… Elle est là pour servir ses maîtres de son art abouti de s’approprier leurs textes et musique :
«Jacques Brel, le plus grand; Barbara, l’unique», dit-elle.
Enikö Szilagyi sait jouer de sa voix comme d’un instrument. Elle la déploie ou la resserre dans un murmure, elle la module, s’appuie sur les graves, ou devient cascade claire…
On est subjugué par cette femme proche de l’idéal: elle est pétrie de beauté et la rayonne, elle est fine, sensible, spirituelle, intelligente et toutes ces qualités, elle les passe au sas de son interprétation. Et si la comédienne est présente dans sa scénographie, c’est la femme entière qui se donne à la fois au public qui la porte et à la beauté des textes qu’elle sert charnellement de toute son âme, de tout son corps, de ses mains oiseaux qui sculptent devant elle l’indicible beauté…
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Eniko Szilagyi chante "Louise for ever", hommage à Louise de Vilmorin, disparue il y a 40 ans. Elle est accompagnée au piano par Betsy Schlesinger. Texte de Karin Müller, musique de Eniko Szilagyi et Karin Müller Galerie Gimpel & Müller, Paris www.gimpel-muller.com
©Mahia Alonso