Etienne Dinet, regain de la peinture orientaliste, de Naïma Rachdi
« La peinture de Dinet est essentiellement « réaliste » mais à travers ce qu’il peignait, Dinet ne voulait pas seulement reproduire une réalité, il cherchait à saisir l’âme et la pensée d’un peuple… » |
Naïma Rachdi vient de publier aux Editions Chèvre-feuille Etoilée un petit fascicule « Etienne Dinet, regain de la peinture orientaliste » (2011), coll. D’un espace, l’autre, dirigé par Behja Traversac Naïma Rachdi est docteur ès lettres diplômée de l’université Montaigne (Bordeaux III). Elle enseigne depuis 2003 à l’université Hassan II de Casablanca. Elle s’est depuis, consacrée à l’élaboration des programmes universitaires du département de Langue et Communication tout en participant à plusieurs colloques traitant de l’enseignement du français à l’université, de la littérature française comparée et de la littérature maghrébine. Spécialiste de l’Orient dans ses rapports avec l’Occident dans les domaines de l’art et de la littérature, elle prépare actuellement plusieurs articles ainsi qu’un ouvrage sur les rapports entre l’Orient et l’Occident. Avec sa monographie sur le peintre Etienne Dinet (1861-1929), de l’école orientaliste, illustrée de quelques planches significatives, Naïma Rachdi amorce une introduction à son dialogue entre Orient et Occident. Elle apporte un éclairage sur la peinture orientaliste en brossant une brève biographie d’Etienne Dinet et développe le phénomène d’engouement que connaît actuellement l’art orientaliste dans les pays du Golfe. Outre le portrait d’un artiste attachant, l’intérêt de ce livre, réside dans la prise de conscience manifestée par l’intelligentsia Arabe pour un art qui semble avoir été marginalisé en Occident. Quoique… En effet, et la contribution de Naïma Rachdi ne sera certes pas négligeable, les Orientalistes, à contre courant d’une époque qui de l’Impressionnisme entrait de plain-pied dans le modernisme et l’abstraction, apportent à notre actualité cette part de rêve qui nous déserte. Pour en revenir à Etienne-Nasreddine Dinet, élu par l’auteur, il apparait que l’artiste jouisse actuellement des faveurs des amateurs d’art du Moyen-Orient aspirant à constituer « un patrimoine en adéquation avec leur identité socioculturelle » (p18) et cela, du fait de sa conversion à l’Islam qui en quelque sorte « anoblirait » son inspiration, ou la légitimerait, quand les intentions artistiques des autres peintres orientalistes seraient évaluées à l’aune de l’histoire et donc de la colonisation, un choix délibéré de l’auteur qui a le mérite de toute façon d’alimenter le dialogue entre les deux grands pôles : « Ceux-ci (les tableaux orientalistes de Dinet) ayant l’avantage de représenter un aspect de la vie dans le monde arabo-musulman » (p18) qu’il a vécu de l’intérieur. Une expérience authentique reconnue : « Le fait qu’il représente dans un grand nombre de ses tableaux, de façon réaliste, toute une palette de personnages, son classicisme même, sa personnalité, sa maîtrise de la langue arabe, sa conversion à l’islam, son intérêt pour l’histoire et la culture arabo-musulmane, son adoption d’un nom arabe, tout cela fait de lui un personnage conforme à l’idée qu’on peut se faire d’un occidental qui a compris « l’Orient » qu’il peignait et dont il aurait adopté les valeurs. » (P19)
On peut effectivement s’interroger sur cette réduction de l’art – et ici de l’art orientaliste – à un comportement socioculturel et spirituel au lieu d’être considéré dans sa dimension universelle. L’imprégnation du spirituel dans l’art, n’est pas une nouveauté : l’influence de la spiritualité a de tout temps marqué l’art tant en Occident que dans les contrées orthodoxes du Moyen-Orient. En effet, l'art chrétien ou art sacré (paléochrétien) dès l’an 70 jusqu’au 2e siècle, a voulu illustrer les principes de la chrétienté. Le Moyen-âge et la Renaissance jusqu’au XXe siècle ont également puisé leur inspiration dans des scènes de l’Ancien Testament ou la vie de Jésus. Le christianisme a pu faire un usage beaucoup plus large d'images, usage interdit ou découragé par l’islam ou le judaïsme ce qui attire le commentaire suivant de l’auteur : « certains critiques d’art considèrent que la peinture abstraite s’accorde davantage avec une conception arabo-musulmane de l’art qui peut ainsi s’inscrire dans une perspective spirituelle. Beaucoup d’artistes musulmans considèrent aussi que la recherche de l’absolu devrait sous-tendre toute créativité » (p45) « A l’art figuratif, ces détracteurs de l’art occidental préfèrent « l’art abstrait » musulman qu’ils considèrent comme supérieur du point de vue de la créativité parce qu’il ne se limite pas, selon eux, à l’imitation de la réalité telle qu’elle est perçue par l’artiste. Ils cherchent en revanche à « élaborer une esthétique islamique » nourrie de l’art arabe traditionnel, différente et indépendante de l’esthétique occidentale. Face à ce discours militant, véhiculé surtout dans les milieux traditionalistes, il existe une position plus modérée qui prône l’ouverture et qui est d’avantage en phase avec le développement culturel que connaissent actuellement les pays arabo-musulmans. » (p46-47)
Aujourd’hui, et c’est heureux, on ne classifie pas les œuvres d’art qui peuplent nos musées, en fonction de l’inspiration qui a sous-tendu leur exécution. On se souviendra de l’accueil réservé voire hostile des œuvres « modernes », affranchies du religieux. Des œuvres qui parfois ont fait scandale. Ce qui se passe actuellement dans les pays du Golfe et plus largement dans le monde arabe peut donc aisément se concevoir.
Quant à « exclure » les autres peintres orientalistes de la considération patrimoniale, au prétexte qu’ils ont réalisé leurs œuvres pendant la colonisation, et qu’ils sont des occidentaux, me paraît quelque peu outrancier. Nous ne pouvons changer les faits du passé mais notre liberté d’esprit nous permet de déjouer ce qui a pu être condamnable en en extrayant tout le positif.
Pour un regard vierge, qui ne se réfère pas à l’histoire, ces toiles de maîtres orientalistes ne content pas la présence étrangère au Maghreb mais la fascination exercée sur des hommes et des femmes - happés vers les horizons lointains-, fascination que l’on ne peut taxer de superficielle, pour ces contrées, la force des paysages, le mode de vie, les visages empreints d’éternité… Un peintre ne peut produire des œuvres qui nous touchent s’il n’a pas été le premier à aimer ce qu’il peint ! Dans ces œuvres orientalistes, on peut y voir plutôt un hommage rendu à ces pays, à leurs habitants et à leurs coutumes riches d’enseignement.
Et si la culture enrichit le regard, de façon générale, en nous fournissant des clés nous permettant de déchiffrer les codes, n’est-ce pas au détriment de l’émotion pure ? Car bien heureusement, une toile (comme toute expression artistique) peut être regardé (écouté…) par n’importe qui, cultivée ou non. L’émotion : c’est le message primordial de toute œuvre d’art.
Et Naïma d’avancer : « Finalement, ne faut-il pas, pour goûter la peinture de Dinet, la considérer indépendamment des aspects politiques et idéologiques et en dehors des préoccupations artistiques modernes qu’on y accole systématiquement ? » - Principe qui pourrait s’étendre à tous les peintres de cette école ! C’est donc à une réflexion très élargie que nous invite le livre de Naïma Rachid et dans lequel elle déploie un véritable plaidoyer pour que l’intérêt de l’œuvre de Dinet devienne actualité en France ! Sa dernière phrase est une promesse qu’on a envie d’épingler sur les frontons de nos esprits parfois embrumés, que l’on soit occidental ou oriental. Naïma Rachid vient d’évoquer le rêve de Dinet, celui d’une union humaine entre l’Occident et l’Orient : « Ce rêve s’est en partie concrétisé, non pas en Algérie comme il le souhaitait, mais plutôt dans les pays du Golfe où ses tableaux sont à l’honneur et où les nombreuses réalisations artistiques, architecturales et économiques sont la preuve que d’immenses possibilités s’offrent à l’Occident et à l’Orient quand ils oublient leurs divergences et mettent en commun leurs ressources et leur créativité » (p 109)
©Mahia Alonso pour Nananews
« Etienne Dinet, regain de la peinture orientaliste » de Naïma Rachid (Editions Chèvre-Feuille Etoilée)
« [Je ne suis] ni un savant ni un amateur, mais simplement un artiste, et qui ne peut s’empêcher de considérer les arts comme l’expression la plus haute et la plus éloquente de la vie et de l’idéal des peuples, et qui craint qu’on ne fasse de l’art enchanteur de cet Orient merveilleux ce qu’on a fait pour nous de sa littérature : une chose morte entre les mains des grammairiens et des philosophes, gens très érudits et fort estimables assurément, mais qui oublient trop souvent que, si cet art et cette poésie exercent une fascination aussi intense sur nos imaginations, c’est qu’ils ont puisé leurs éléments aux sources les plus émouvantes de la vie et de la nature et qu’ils sont le véritable reflet du grand soleil d’Orient auquel nul autre ne peut être comparé. » Etienne Dinet
Commentaire d’une lectrice : Nic Sirkis « Ma découverte d’Etienne Dinet » Merci à Naïma Rachdi pour m’avoir fait découvrir par la lecture de son « Etienne Dinet ou le regain de la peinture orientaliste » ce peintre – à cheval sur les 19e et 20e siècles – et son œuvre dont j’avoue que je n’avais jamais entendu parler… avant d’ouvrir ce livre publié aux éditions Chèvre-feuille étoilée. (Son nom n’apparaît même pas dans mon dictionnaire des noms propres !)
Dans cet essai illustré en pages centrales de magnifiques reproductions de l’artiste, l’auteure nous présente le cheminement atypique de cet humaniste à l’esprit aventureux, depuis sa jeunesse parisienne où il se lança, après une formation à l’Ecole Supérieure des Beaux Arts suivie d’une exposition aux Salon des Artistes Français, dans un 1er voyage avec une équipe d’entomologistes vers la région de Bou-Saâda dans le Sud Saharien. Rachdi accompagne son itinéraire artistique et spirituel jusqu’à sa mort en 1929, quelques années avant la parution de « L’œuvre d’Art et la reproductibilité technique » [l’œuvre où Walter Benjamin caractérise la « spécificité » unique de l’œuvre picturale par opposition à la « reproductibilité » de la photographie] date charnière où l’art moderne plonge dans l’aventure de l’abstraction dont les cubistes avaient préparé le terrain. Etienne Dinet est lui le chantre de la peinture figurative. Ses toiles me font penser à Ingres, le peintre néo-classique né à Montauban et décédé en 1867 (6 ans après la naissance de Dinet) à Félix Ziem et aussi à Anders Zorn, son contemporain suédois, par l’exubérance de ses couleurs chaudes, comme sorties de la terre de Méditerranée, ocre, jaune, brune, vermillon, pourpre et grenat. Dinet qui avait exposé en 1888 à Paris avec les Impressionnistes au sein de son « Groupe des trente trois » s’est ensuite immergé complètement dans la culture maghrébine : il participa à Paris à la 1e exposition officielle « orientaliste » au Musée de l’Industrie puis installa son atelier à Biskra, après avoir allongé la durée de ses séjours semestriels en Afrique du Nord où il établit bientôt sa résidence principale. Nic Sirkis
|