Au fil d’une vie en poèmes
Dis-moi, ma vie…
Je suis né par hasard
Un jour de Mardi Gras,
Dans une gare endormie,
Au bruit des grands express
Qui vont vers l’Océan.
J’étais étonné d’être là :
Quelle idée de naître
Un jour de Carnaval,
Au fond des pays sarthois,
Où nul n’était déguisé,
Pas même les vergers de pommiers !
Mais j’étais heureux de vivre
Et, de ce jour, j’ai gardé
Pour toujours l’amour des trains
Et la douce attirance
Pour les pays de Loire
A l’appel de du Bellay et de Ronsard.
Dis-moi, ma vie, te souvient-il
Des lampes à pétrole
Guidant une main de fée
Vers un valet de cœur
Au bel amour secret ?
Dis-moi, ma vie, te souvient-il
Des ballades amoureuses
Vers le pays angevin ?
Dis moi, ma vie, te souvient-il
De mes joies, de mes peines
Et de mes solitudes,
Qui sont venues un jour
Echouer à Luçay-le-Mâle
Où j’ai trouvé, dans ma retraite,
Un peu d’espoir et de soleil,
Même si ce n’était pas le pays de mes rêves.
Soixante ans ce soir…
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ?
C’était, dis-moi, il y a soixante ans.
Dans la forêt de la mémoire
Le vent ce soir souffle sur Le Mans.
Ils sont arrivés, cow-boys de la Liberté,
Comme une double samba courant le long des rues.
C’était, dis-moi, il y a soixante ans.
Un ordre de mission était dans nos pneus
Au nom du préfet de la Libération.
Ce n’était pas celui que j’espérais,
Mais il avait bien fallu assurer la relève.
Les Allemands, du haut des tours,
Tiraient à vue sur leur défaite.
La Préfecture s’est ouverte sous nos pas,
Le Préfet de Vichy nous a remis les clefs.
C’était le matin de la Liberté
Sur le Vieux Mans et les chemins sarthois.
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ?
Clair soleil de mes vingt ans !
Espoir au mois d’août refleuri
Sous les cloches de la Couture !
Il y aura soixante ans ce soir,
Et se sont réveillés dans mon cœur
Les visages de mes compagnons perdus,
Tous ceux qui peuplent ma mémoire,
Visages qui seront à jamais
L’image de ma Résistance éternelle.
9 août 2004
Le bel été
Le bel été de ce mois d’août trente neuf,
Le bel été où la paix bégayait,
Le bel été où les chants se sont tus,
Et la Madeleine retient sa plainte,
Les moulins bientôt ne tourneront plus.
Le bel été où commençait l’automne,
Le bel été où l’hirondelle a fui,
Et les routes se couvrent de camions.
Rien ne sera jamais comme autrefois,
Mais je me souviendrai toujours
Du bel été où languissaient les roses,
Du bel été aux couleurs de l’adieu.
Au rendez-vous de la Victoire
Il y a cinquante cinq ans déjà,
« Les sanglots longs des violons de l’automne »
Portaient chez nous les fruits du printemps,
Effaçaient le sombre mai de Sedan.
Liberté, belle à mourir,
Voici les temps des retrouvailles,
Les drapeaux à croix gammée
Ne défigurent plus ton visage,
Et nos villages ont retrouvé
Les couleurs de l’espérance.
Salut à vous, du fond de nos années 40,
Maquisards, déboulonneurs de rails,
Imprimeurs et porteurs de messages,
Fidèles compagnons de l’ombre,
Qui n’ont pas tous vu la victoire.
Salut à vous, au seuil du nouveau matin,
Camarades de toutes nations,
Présents au rendez-vous des armes,
Sur les bords de la Tamise,
Dans le vieux Londres et la vieille Bretagne,
Américains de toutes races et de tous drapeaux,
Au-delà des espaces atlantiques,
Hommes d’Alger, Dakar, Koufra,
Africains de l’avant-garde française ;
Des confins de l’Oural au Mont-Valérien,
Nous vous saluons comme nos frères,
Dans une langue connue de tous,
Une langue qui n’a qu’un nom,
Liberté.
Bonjour à tous, au rendez-vous de la victoire.
Bonjour, le soleil s’est levé sur Paris,
Et voici revenu le « Temps des cerises ».
Les roses de la Sablière
Morts de Chateaubriant, j’ai revu la clairière
Où vous êtes tombés, par un matin d’octobre,
Face au ciel, comme couchés sur un champ de tir.
Les roses, ce printemps, s’effeuillent sur vos tombes ;
Un chant s’envole et emplit la clairière.
Le vent, où murmure, comme une Marseillaise,
Epelle vos noms, dressés comme des statues,
Guy Mocquet, Timbaud, Lalet, Granet et les autres,
Vingt-sept compagnons des usines, des écoles,
Qui êtes venus, en avance sur les autres,
Avec les armes de la colère et du refus.
Dures mains d’ouvriers, mains de la résistance,
Camarades tombés avant d’avoir connu
L’espoir des sanglots longs des violons de l’automne,
Je vous salue, le poing levé, le grand adieu…
Que chaque matin blême, sur la Sablière
Vingt-sept roses d’Anjou refleurissent pour vous,
Rouges du sang versé par tous les prolétaires.
Les cloches de la Charnie (1)
Dès le matin dans le soleil
S’était levé un arc-en-ciel
De parachutes sur les crêtes
Messagers d’aide et de secours
A ceux des maquis et des bourgs
Nos amis furent de la fête
Du haut de notre souvenir
Ce jour-là on vit l’avenir
Entrer sur les routes de France
Tous les hommes se tenaient droits
Et le vieux clocher de l’endroit
S’était levé avant l’aurore
Les filles en leurs beaux atours
Dont les yeux fleuraient bon l’amour
Vendaient des drapeaux tricolores
Le défilé des partisans
Se rythmait au rythme du vent
Le silence agita ses palmes
Puis la Marseillaise en passant
Haute et grave comme un serment
Dora les bois et les prairies
Sainte-Suzanne Saint-Nicolas
Ecoutez les cloches qui sonnent
Elles disent de l’ennemi le glas
Elles inscrivent dans les cieux
Les noms de nos amis qui dorment
Ecoutez les cloches sonner
Elles disent toutes Ma France
Elles disent toutes l’espérance
Et la Liberté les écoute
Les roses de Paris bientôt refleuriront.
(1) Massif forestier près de Loué, bastion des maquis de la Mayenne et de l’ouest de la Sarthe. Souvenir du parachutage du 14 juillet 1944.