israël et le pacifisme européen, réponse à chevalier et horowitz
Cher Chevalier, Cher M.Horowitz, j'ai lu avec attention votre échange sur l'article sur G. Grass.
Il me semble être exemplaire de l'incompréhension qui existe entre les israéliens et les européens.
Je suis assez d’accord avec vous, Chevalier, quand vous dîtes que les demi mesures ne sont pas audibles et que une «riposte définitive n’a pas le même sens qu’une attaque préventive».
Mais un des problèmes vient que l’État d’Israël doit s’adresser à plusieurs audiences qui ne régissent pas de la même manière.
La première est L’Iran; or l’Iran est une culture moyenne orientale. Ou plus précisément non européenne. Pour vivre avec un pied en Europe et un dans le reste du monde j’ai pu me rendre compte à quel point nous européens sommes devenus pacifistes et non violents. Ce n’est pas une tare en soi, c’est juste très éloigné du mode de vie et du mode de pensée de quasiment le reste de la planète.
Le fait qu’Israël fasse parti à la fois du monde occidental et d’un monde non européen le met en porte à faux car c’est un État qui ne pratique pas le double discours. Le choix d’Israël est de s’adresser au monde en général et à l’Iran en particulier de manière réaliste. Or cette réalité est qu’il est un pays «à une bombe» au sens où une seule bombe nucléaire est suffisante pour le détruire (et la riposte depuis des sous-marins devient un peu futile dans ce cas là), et que ses opposants ne sont pas de gentils européens post 1945.
A cela s’ajoute une spécificité israélienne qui est le traumatisme de la Shoah. Quand un israélien dit «plus jamais ça» il le pense vraiment, et sans cette part de culpabilité et de compassion plus ou moins grande qui existe dans le «plus jamais ça» de ceux qui n’ont pas été spécifiquement ciblés par les nazis.
Ce n’est pas se mettre au même plan que l’Iran: Israël reste une démocratie. Mais pas une démocratie européenne post 45. Elle ne le pourrait d’ailleurs pas, elle n’y survivrait pas.
Et c’est là que les intellectuels «dits de gauche» rentrent en jeu. G.Grass, tout comme Céline d’ailleurs, sont des "antisémites par pacifisme"; les juifs à l’époque de Céline, Israël pour Grass, sont des menaces pour la paix dans le monde, donc mieux vaut les sacrifier pour la survie du plus grand nombre. En tant que vrais intellectuels ils peuvent aller au bout de leur pensée. Mais la plupart des «intellectuels» n’ont pas cette capacité (de compréhension? de lucidité?), ils se contentent d’exiger d’Israël qu‘il se conforme à des normes qui ne peuvent marcher que dans le cadre d’un pacifisme enfoncé dans la chair par le biais de la construction européenne et de l’Europe sociale et démocratique d’après guerre. Mais cette Europe sociale, l’État providence mis en place, n’a pu être mis en place que parce que nous avons abandonné les dépenses liées à la défense. En quelque sorte nous avons fait un partenariat avec les États-Unis qui prenait en charge le militaire et «la violence» et à qui nous cédions la domination mondiale. En retour nous avions la paix.
Je ne crois pas que la dénonciation de M. Horowitz soit «tordue»; En Europe on ne comprend pas que ce qui est perçue comme une critique légitime de certaines politiques israéliennes soit immédiatement taxée d’antisémitisme par les israéliens. Même si pour certains cette critique est clairement de l’antisémitisme déguisé, pour la plupart c’est au contraire une critique qu’on adresse à une démocratie, un pays «ami» en quelque sorte. Mais de la même façon que ces critiques sont faites à l’aune d’une réalité européenne, les israéliens les perçoivent comme des exigences qui sont sans rapport avec la réalité dans laquelle ils vivent et qui, s’ils les mettaient en pratique ne pourrait les conduire qu’à la destruction de leur pays. D’où leur impression que ces gauchistes ne rêvent que de les voir disparaître.
Je ne peux vraiment pas leur donner tort, je ne peux que regretter que le monde n’ait pas appris la difficile leçon que nous avons appris en Europe.
Lucie.