camisole chimique
7h13 - Plus envie de dormir depuis quelques heures maintenant, c'est comme ça toutes les nuits depuis ton « admission ».
Que fais tu là bas, je ne sais pas si tu dors ou si tes yeux si bleus sont grand ouvert sur l'abîme de tes pensées.
Penser à quoi d'ailleurs.
Je t'imagine douleur contenue pas la camisole chimique.
L'air vaguement las, réfléchir sans réfléchir.
Tu prends peut être le temps d'ordonner tes pensées. Tu les prends et tu les ranges une à une de la plus petite à la plus grande, à moins que ce ne soit le contraire.
Tu penses à l'un, à l'autre. Puis tu reviens sur ton rangement.
Dans le tout petit jour naissant, encore dans le creux chaud de ce lit qui n'est pas le tien tu sais que tout à l'heure il te faudra te lever, te laver, peut être, t'habiller, puis quitter la chambre pour aller, comme tout le monde, prendre le petit déjeuner.
Dis c'est quand l'heure de la chimie ?
Je tourne et retourne dans le chaud de ce lit que nous avons su toi et moi si bien habiter de nos fêtes charnelles et tendres à la fois.
7h20 - Je me rend compte que je ne sais pas grand chose de tes journées, si, ce qu'une infirmière m'a dévoilé l'autre jour, les repas, tes déambulations, les activités, les rendez vous avec le médecin, le vide de soignants le lundi parce que jour de réunion, les heures pour te téléphoner...
Ma douleur à moi, je ne l'ai pas totalement muselée, ça gronde à l'intérieur, tempête et révolte.
Pourquoi toi, et pourquoi cette putain de vermine.
J'en veux à la terre entière ! Elle n'y est pourtant pour rien.
Vais-je m'effondrer ? Non, il ne faut pas, faut pas, pas...
A quoi penses tu en passant tes mains sous l'eau.
Ton cerveau fonctionne à merveille et dis fonctionne tout autant.
Sorte de Yin et de Yang dissocié, tombé, équilibre massacré.
Tourbillon sans fin qui ne laisse pas un instant de répit à ta pauvre tête et à ton corps qui n'en peuvent plus.
Comment gérer cette vermine là et cet enfermement que tu as autant accepté qu'on te l'a imposé ?
Besoin de calme, tu marches, un peu comme ivre, sédaté à mort, dans les couloirs à la lumière un peu trop crue, ici pas de lumière d'ambre, pas d'apaisement des yeux.
Établissement public, propre et réglementaire.
C'est ainsi.
Tu n'avances pas, tu mets un pied puis l'autre.
Encore une journée à passer.
Sais tu seulement ce que tu as et que te fait-on avaler ?
Combien de temps.
Et toi face au médecin, plus tard dans la journée tu vas raconter pour la énième fois les semaines passées.
Ça fait mal et ça fait peut être du bien.
La compréhension arrive t'elle comme ça ?
Dans le couloir on vient de te bousculer, tu ne dis rien, tu regardes, l'œil vide et te sens infiniment triste.
Dans mon lit je m'assois, mon regard se vide des étincelles.
7h33 - Hier au téléphone, super conversation au téléphone de 3 minutes à peine.
Tu avais une voix de petit garçon à l'air résigné, tu étais là et tu ne pouvais plus rien y faire.
La chime, les médocs tu les as accepté pour soulager ton corps, mais qui soulagera ton âme et ton cœur si lourds.
Qui ?
J'ai des pensées diffuses, j'ai eu le temps lors de mes nuits de veille de réfléchir, de repasser le film des mois passés, des crises, des cris et des douleurs.
J'ai eu le temps de me poser un peu, de prendre du recul.
J'ai eu le temps d'avoir mal à en crever.
J'ai eu le temps de me dire que j'allais sans doute, moi aussi, y perdre la raison.
Tu me manques en accord majeur.
J'ai besoin d'être blottie tout contre toi.
Juste blottie, rien de plus.
Entendre les battements de ton cœur, preuve éclatante que tu es bien en vie.
Tu as mal pour deux raisons, cette vermine qui ronge ton cerveau, et le manque, le manque de moi. J'ai la même maladie.
Un thé ou un café, non un thé, le café ils ne doivent pas en servir, ça excite et on ne veut surtout pas que vous soyez excités.
Je relève l'oreiller, la colère souffle de mauvais mots, mais elle ne devrait pas. On s'occupe de toi.
Étincelle de vie .
Tu manges, peut être que tu parles.
J'ai du mal à t'imaginer, les contours sont flous, j'ai beau régler la focale je ne vois pas la pièce où tu te trouves.
Je ne vois rien du tout.
Presque trois semaines sans savoir dans quel univers tu te déplaces.
Comment tu sens tu, disons que tu fais comme tu peux.
Prison avenante, camisole chimique, personnel compétent, secret médical, choc corridor.
Je divague dans la douleur de ce petit matin. Neigera t il demain ? Froid.
Dis mon Ange, il y a quels sons là bas ?
Je t'imagine ne rêvant même pas aux accords de guitare.
Il faut se raccrocher à soi, se ressaisir, se recentrer.
Mais s'il n'y avait pas que la maladie.
Tu l'as dit au médecin ?
Tu lui as présenté celle de tes proches qui œuvre pour ton « bien », trop bien, trop de bien tue le bien.
Bonne éducation, bonnes pensées, bonne attitude, bonne direction, bon courage à l'ouvrage.
Réponds moi mon cœur, as tu là bas oublié le mot légèreté ?
Tes gestes sont lents et lourds.
Tu vis au ralenti, en dehors, en dedans. Enfermement.
7h49 - Si c'est vraiment celle dont tu m'as parlé je la connais cette foutue maladie.
Par cœur, j'ai eu le temps de me documenter tu penses.
A presque 8h00 je sens la peine effleurer l'orée de mes cils en une vague salée et puis cette boule aussi, au creux du ventre, comme un poing fermé que l'on aurait placé là et qui ne bougerait pas.
Et puis la colère aussi, une énorme colère qui, si je n'y prend garde, va me bouffer toute entière.
Ma tête éclate.
J'ai du mal à retenir cette pulsion de vie si nécessaire que l'on appelle l'émotion.
L'émotion, c'est bien cela que la camisole chimique doit gommer, faire taire, tes émotions, parce que ton cerveau s'est mis à déconner.
Acceptation, résignation, je ne peux pas.
J'ai envie de vomir soudain.
Je passe mes journées, c'est tout je les passe. Une petite éternité d'aridité.
J'ai envie que tu ailles mieux.
Je revois nos rires au matin devant le pot de miel et le thé fumant et puis parfois le retour dans le lit pour s'y tenir au chaud.
Je revois la joie de vivre.
Aujourd'hui tout n'est que lourdeur, moi aussi je me traine, alors je partage un petit bout de camisole chimique.
Merveille de l'occident : vivre sans émotions, celles de tous les jours, les plus vraies, les plus petites parce que les émotions ça ne donnent pas des moutons moutonnants, ça aident à réfléchir, à vibrer, à avancer.
En revanche se procurer quelques sensations fortes …
Mais vas y sautes donc à l'élastique, en parachute, glisse sur cette piste noire, faut bien que tu les sentes tes tripes, une fois, une seule fois au moins dans ta vie.
Bon elles sont là mais t'as pas le droit de t'en servir.
Les émotions de tous les jours ça aident à réfléchir, faut pas, pas. Faux pas !
Qu'allons nous devenir toi et moi ?
Promis je te fais confiance, tu me l'as demandé.
Avant hier tu as outrepassé la loi, tu m'as appelé pour entendre le son de ma voix ! Nos jours et nos nuits sont trop longs en ce moment.
Si je m'écoutais je viendrai te chercher, je te prendrai par la main et puis je t'emmènerai loin d'ici, là où il existe d'autres philosophies, là où les rites initiatiques aident à grandir, là où la transmission n'impose pas mais propose, là où l'esprit est libre, là où les dogmes se tirent loin, à toutes jambes, là où il y a des hommes et des femmes comme toi et comme moi.
Je cherche, en vain, dans ma tête à localiser cet endroit, je n'y arrive pas. Je m'enfonce un peu plus dans mon lit.
Si, je le vois, il est là dans le petit matin, entre le clair obscur et les premières lueurs du jours, il est là dans tes yeux et dans les miens, dans nos cœurs, dans l'amour qui se déroule en un flot incessant. Il nous entoure, et c'est notre pays.
Tu as du retourner dans ta chambre, pour ne rien y faire, là bas pas de livres non plus.
Plus tard dans la journée je téléphonerai ou pas. Mais pas trop tôt, je n'aime pas entendre par le son de ta voix le son de la camisole chimique. Je pense à toi. Novembre 2009.
Novembre 2011...
J'ai gardé sur un coin de mon bureau, entre cette fleur en papier et les livres de contes, cette photo de toi.
Je souris, mes larmes ont trouvé des chemins différents.
Je considère le cliché, et je souris encore car à ce que je peux en voir tu t'es simplement envolé...
Et dans le ciel encore, regardant les nuages, je vois les signes que tu m'envoies d'une prairie enfin paisible pour toi...
J'ai retrouvé ce goût de vivre, aux parfums thé miellé.
Mon cœur porte en lui des secrets, profonds et doux et dont tu fais partie mais j'aime à nouveau, je te l'avais promis …
Neigera t 'il demain, peu importe, je te l'ai dis ... Je souris.
© Isabelle Janvier – Novembre 2011 – Tous droits réservés.