Bleu
Le fil est brisé, le volet s'est décroché et pend misérablement. Il y a longtemps que plus aucune âme qui vive n'a plus franchi le seuil de la petite maison au bout du rivage. Les amants de lumière ont sombré quelque part derrière l'horizon.
Un vent triste et sombre s'engouffre par la plaie de la fenêtre. Le lit est resté défait et les draps ont moisi. Je suis entrée par la porte entrebâillée, au bleu écaillé, et me suis accroupie dans un coin. Sur le sol court une araignée toute noire, les pattes écartées, un peu affolée. Je la suis distraitement dans ses errements.
Il y a longtemps que je voulais venir. Depuis que j'avais trouvé ce carnet jaune à petits cœurs verts ayant appartenu à ma grand-mère, je savais qu'il fallait que je me décide.
J'ai lu les poèmes de ce carnet écrits à deux mains, j'ai entendu le chant de ces amants clandestins qui n'avaient pour tout espace que celui du rêve. Et la couleur bleu. Leurs rendez-vous oniriques me laissaient envieuse et surprise. Pouvais-je envier un destin aussi douloureux et contrarié ?
La force de leur lien m'impressionna. Peut-on s'aimer aussi intensément et absolument, sans jamais pouvoir se retrouver charnellement ?
Le jour de leur rencontre a été la seule occasion pour eux de se regarder dans les yeux. Elle était déjà mariée à mon grand-père.
Elle a écrit :
« Il est entré et j'ai su. Il était l'âme sœur que l'on ne rencontre jamais. Ou en tous cas toujours trop tard... Parce qu'on a peur de vivre dans le feu de l'absolu. »
Il lui écrira :
« Je suis entré et je vous ai vue, si douce et délicate auprès de lui... Et j'ai su que vous seriez l'unique de toute ma vie. »
Un seul regard ! Mon dieu ! Comment peut-on avec un seul regard engager toute son âme à jamais ? Ils l'ont fait, eux qui se nommeront eux-mêmes les Amants de Lumière...
©Mahia Alonso
Peinture ci-dessus: "Lorsque le bleu revint" Louise Gaggini