Vrai-faux / faux-vrai
Par Christian Duteil
«Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux» (Guy Debord)
La vérité n’est pas de ce monde, mais tout de même nous vivons une drôle d’époque de communication tous azimuts qui dit tout et son contraire. A tel point que nous y perdons notre latin (enfin ce qu’il nous en reste !) à l’heure où le pape Benoît XVI qui n’est plus infaillible démissionne et où tous les médicaments sans ordonnance pourront être désormais commercialisés sur Internet.
Vrai/faux, faux/vrai. «Il n’y a pas de mauvais cholestérol», déclare le professeur Philippe Even, patron de l’institut Necker et auteur de «la Vérité sur le cholestérol». La prescription massive de statines n’aurait d’autre explication que la «confiance quasi-religieuse dans le dogme établi». Et les manœuvres du lobby pharmaceutique qui campe sur un tas d’or: deux milliards d’euros, soit trois fois plus que ne leur rapportent tous les antibiotiques.
Non, il n’est pas le seul coupable. Mais il y aurait bien un « lien de causalité direct entre le cholestérol et l’athérosclérose », affirme pour sa part le professeur Claude Le Feuvre, président de la Fédération française de cardiologie.
Prudent et pragmatique, il concède toutefois à à son collègue Philippe Even que ce n’est pas une raison suffisante pour prescrire des statines «à la grande majorité des patients qui dépassent les seuils officiels de cholestérol sanguin: mieux vaudrait leur prescrire un régime pauvre en graisses saturées, riches en fruits et légumes – et sans tabac bien sûr !».
Dans ce monde de communication de crise, la presse n’a pas bonne presse, surtout lorsqu’elle «porte la plume dans la plaie» où ça fait mal. «Informer n’est pas communiquer» avertit Dominique Wolton du CNRS. Il ne suffit pas de multiplier les techniques de communication et les colloques sur le sujet pour bien communiquer et ne saisir toutes ses facettes. Il est primordial de réguler l’utopie d’Internet à la fois espace de liberté et espace de cécité. Toute bonne photo est une photo volée. La communication manipule l’opinion qui ne sait plus à quel saint se vouer. «Cette folie de communiquer qui dit bien ce qu’elle veut dire, autrement dit «niquer» le «commun» des mortels, de l’espace pour la parole, et par conséquent pour le désir » avertit le psychanalyste Jean-Pierre Winter.
Même son de cloche dans l’affaire Cahuzac/Médiapart. Info ou intox? Information, surinformation, désinformation. Alors que les uns répètent que le ministre a été blanchi par les autorités suisses, d’autres laissent entendre que le document transmis à la justice est beaucoup moins clair qu’il n’y paraît. Edwy Plenel et Mediapart jurent que tout cela n’est que rideau de fumée de la part de Bercy, opération de communication pour blanchir un ministre et n’en démodent pas de leurs accusations. Ils persistent et signent… alors qu’on leur réclame la preuve irréfutable.
Officiellement, le parquet refuse de commenter la teneur du document suisse qui de source judiciaire «reste sujet à interprétation». Il se contente de faire savoir qu’il «continuera à enquêter à charge et à décharge».
Vrai/faux. Dans l’enregistrement remis aux enquêteurs et mis en ligne par Mediapart, une voix qui serait celle du ministre évoque un compte en Suisse. Mais est-ce vraiment la sienne?
Pouvoir/Savoir. «Le pouvoir du journalisme ne se fonde pas sur le droit de poser une question, mais sur le droit d’exiger une réponse», note l’écrivain Milan Kundera. L’évidence du fait n’exclut pas qu’on le néglige. L’histoire des sciences nous enseigne que la vérité d’aujourd’hui sera sans doute erreur demain. Le journaliste fait entrer la réalité dans le monde de la représentation. Il doit plonger assez profondément dans l’emballement du monde pour saisir ses ressorts, tout en restant assez dehors pour ne pas être emporté par les remous. A la différence du philosophe, il ne part pas à la quête de la vérité et revendique sa part de subjectivité dans la collecte de l’information. A ses risques et périls!