De la chefferie à l’urne électoral
Par Gil Jouanard
Inutile de redire avec insistance que l’être humain est un animal ; chacun sait cela, s’il n’est pas un adepte farouche et obstiné de l’une de ces religions qui affirment sans preuve que le modèle originel, dont nous serions les clones reconnaissants, aurait été créé à partir de rien (ou, plus drôle encore, de la glaise, laquelle, en vérité, servit tout au plus de « support argile » à l’écriture cunéiforme et de matière première aux briques cuites ayant servi à maçonner les ziggourats, ce qui n’est déjà pas rien, reconnaissons-le).
Il faut être un authentique, et rarement amène, fou de ce Dieu trilingue (puisqu’il s’exprima en des temps anciens tantôt en hébreux, tantôt en latin mâtiné de grec et tantôt en arabe) pour faire comme si, depuis le Très Saint Unicellulaire issu de la diversification lente d’un noyau originel, nous n’avions pas subi le sort de toute chose au royaume de la Chimie et de sa colistière, la Physique : ce processus de changement progressif que de délurés savants s’accordèrent à appeler « l’évolution ».
En tant qu’animal, notre Primate, converti non sans difficultés aux charmes de la bipédie et de son corollaire, la bimanie (concept que mon correcteur orthographique réfute par simple ignorance), s’instaura Habilis, puis aux avantages dévolus à l’ Erectus (désignation qu’il ne convient nullement de prendre en son sens égrillard, mais désignant la station debout qu’il adopta non sans mal), ensuite à ceux promis au Sapiens (et notamment à notre vieux complice européen et vaguement proche-oriental, baptisé Néandertalien) et enfin à son concurrent victorieux, le doublement Sapiens (qui ne recula devant aucune dépense d’imagination et de roublardise), notre Primate donc fit comme font la quasi-totalité des autres ressortissants de la classe des vertébrés, appelés mammifères (désignation qui fait référence à une particularité morphologique et fonctionnelle décisive, la mamelle, dont seule la femelle de la famille est dotée, ce qui par parenthèse devrait suffire à ce que l’on octroyât à celle-ci la prééminence en terme de respect et même, finalement, de légitimité, voire d’autorité). Il adopta le mode de vie sécurisant de la horde, de la meute, du groupe, du clan, de la tribu.
Mais dans ce choix probablement instinctif nous aurions tort de supposer qu’ait pu intervenir le principe, formulé sous forme d’adage, selon lequel « plus on est de fou, plus on rit ».
D’abord, nous nous permettrons de douter que le rire ait été, en ses prémices anthropomorphiques, le propre de notre petit Grand Singe. Autour du noyau familial, in fine étendu aux proches et alliés naturels ou cooptés, nos grands amateurs de feux et de silex taillés s’avisèrent de peaufiner les contours et l’aspect général du clan rupestre et cavernicole. On désigna un mâle dominant, dont la puissance musculaire fut de plus en plus fréquemment relayée par la malignité et la ruse : ce fut le chef, du bas-latin Capus, terme désignant la tête. Ne cherchons pas la raison de cette appellation : elle indique bien que, après de nombreux ajustements, le plus retors, le plus futé, le mieux doté en puissance cérébrale, fut finalement choisi de préférence au costaud un peu concon.
Puis cette poussière d’humanité, encore allergique aux lois naturelles de la démographie, se mit à proliférer, à cause de ces Sumériens , akkadiens et consort qui, avec leur histoire d’agriculture et d’élevage firent monter dangereusement la teneur en humanité du corpus animalier terrestre. Mamma mia ! Désormais, alles kaput ! Le bel ordre du monde partit en quenouille. Je vous passe le détail.
Pour simplifier, rappelons qu’un anthropologue des années 1960, du nom de Yoni Friedmann (nom prédestiné puisqu’en yiddish péri- et para-germanique cela signifie « Homme pacifique » ou « Homme de paix ») stipula que l’Homo Sapiens-Sapiens, animal de meute ou de horde (plus encore que de couple), avait en ses commencements respecté la règle d’or de la sous-espèce des hominiens et hominidés : « Tu vivras en groupes restreints, d’une petite douzaine d’individus, seule jauge capables de garantir le qualité et la justesse de la communication et son corollaire, le consensus ».
Or ne voilà-t-il pas que le souci de la moisson, que René Char opposait (à l’avantage de celui-ci) à l’Histoire (vis-à-vis de laquelle le Deus-ex-Aqua Sorgensis préconisa l’indifférence) se mit lentement mais sûrement à battre de l’aile ? C’est que le struggle for life avait commencé de montrer non pas son nez mais ses crocs et ses griffes. Plus on était nombreux, plus il était facile de mettre en fuite, quitte à les étriper si nécessaires, les concurrents dans cette course à l’échalote qui se généralisait au fur et à mesure qu’il y avait plus de populo et moins d’espace vital, moins de terre arable disponible et moins de gibier (Gotverdamt !). Tout compte fait, le bipède-bimane opta pour l’Histoire et, dans la foulée, pour la politique (soin apporté aux affaires de la cité, saint devoir dont une minorité agissante a toujours su faire un avantage ou, a minima, une source de revenus modérément mais gentiment lucratifs, ainsi que d’honneurs souvent immérités et de gloire rarement justifiée).
Après les chefs de tribus, puis ceux de hordes dépenaillées, puis ceux de fiefs, dits « nobles » (terme plutôt flatteur pour désigner les fiers à bras qu’on appela leudes en gallo-roman germanisé), puis ceux de taille XL, les rois (de l’indo-européen commun décliné en rex, rix, côté centum, rajan versant satem, ainsi que nous l’apprit le polyglotte Georges Dumézil), et enfin ceux de taille XXL (Imperator, Empereur, Kayser).
Quand enfin, à la fois poussé par le ras-le-bol et par le hasard des soulèvements populaires incontrôlés, on régla son compte à la chefferie, on ne trouva rien de mieux que de désigner, au suffrage universel s’il vous plait, des élus. Le terme est si largement banalisé que l’on oublie son sens originel de « choisi par Dieu ». Diable, vertudieu, palsambleu, ben vrai, y manquait pu qu’ça ! Nos candidats, toutes tendances idéo-publicitaires confondues, se croient probablement choisis, pour ne pas dire cooptés, par une divine providence démocratique, encore plus irréfutable que ne l’était l’autorité invisible, et donc douteuse, dont se réclamèrent successivement Moïse, Jésus puis Mohammed.
L’imagerie biblique sous-entendue dans la terminologie électorale culmina même à une époque puisque l’on s’avisa de dire que le général De Gaulle (avec D majuscule s’il vous plait, car il s’agit de l’équivalent flamand du «der » germanique, ce qui correspond au « Le » constitutif du nom de Le Bris ou de Leblond), venait enfin de mettre un terme à sa « traversée du désert ». On ne saurait être plus explicite : le général de brigade Moïse, alias De Gaulle, venait de voir les flots se fendre sous ses pieds chaussant probablement la pointure 47.
Funéraires pour neuf sur dix des candidats en présence (dont certains bénéficieront sans doute de compensations en étant chargé de tâches étymologiquement supposées mineures, c’est-à-dire intronisés ministres), les urnes, où les espoirs de maints électeurs viendront se déverser sous la forme de cendre crématoires, auront ainsi « délivré leur verdict », ainsi qu’on dit, sans trop savoir de quelle délivrance il peut bien s’agir.
Au royaume des Cromagnoïdes de quinze ou vingt-millième génération, les savants illusionnistes et les candides illusionnés sont rois.
Un poète patoisant beauceron, du nom de Gaston Couté, a écrit et déclamé autrefois, au cabaret « Le Chat Noir » je crois, un texte fort instructif et extrêmement drôle sur ce sujet. Il l’intitula : « Les électeurs ». En substance, il disait que « lorsque le Peuple souverain n’en peut plus de tout ce qui l’indigne, l’opprime, l’oppresse, le brime, le révolte,…il vote ! »
G.J.