Une nana pas ordinaire : Isabelle Moulis, à plein temps sur tous les fronts (Sportive, agricultrice et maman)
Quelle est donc la définition d’une nana ordinaire ? Prenons l’exemple d’Isabelle Moulis.
Elle est née en 1973, au sein d’une famille d’agriculteurs dans un petit village gersois, Noilhan. Un pays vallonné que d’aucun appelle « petite Toscane » (mais une Toscane sans cette âme charnelle que décrit si bien Louise Gaggini *). Retenons les vallons. Et quand on doit pédaler en pays vallonné, il faut des jambes. Celles d’Isabelle sont sans fin. On dirait qu’elle est née pour cela : pédaler. A 22 ans, sa passion pour le vélo évolue : il ne s’agit plus de ballades bucoliques dans la douce campagne gersoise aux traitres parcours ! Non, ce qu’Isabelle recherche, c’est la poussée d’adrénaline. Son compagnon l’entraîne vers la compétition, à son exemple. C’est une découverte : les sensations fortes vont primer sur tout le reste. Désormais, seule la compétition répond à son attente. Avec, à la clé, les titres de championne qu’elle décroche, par-ci, par-là, car très vite elle fait partie des sélections. Et elle rejoint un club, celui d’US Fronton en Haute Garonne.
Mais une nana, sacrée championne lors de ses compètes à vélo, est-ce là ce qui la qualifie d’ordinaire ?
Cultivatrice, la 2e corde à son arc.
Pour être ordinaire, une nana doit cumuler les emplois, les batailles, sur plusieurs fronts. Car c’est à cela qu’on la reconnait. Patience, on y arrive : en 1997, Isabelle succède à ses parents sur la propriété. Elle s’installe à plein temps à son compte et se dédie à la culture céréalière. Elle a 24 ans et de l’ambition. L’adrénaline, toujours l’adrénaline ! En des temps difficiles pour les paysans, - « ces travailleurs de la terre » comme disait un paysan de mon entourage, qui avait fait de la résistance, n’ensilait pas, désherbait à la main, battait à l’ancienne, etc. - à l’heure où très peu s’installent, découragés par les obstacles, la jeune nana prend son rôle d’agricultrice à bras le corps. Elle vient même tout récemment, d’ajouter une nouvelle branche à sa charge de travail : l’élevage de poulets à chair bio.
Une agricultrice ne compte ni ses heures, ni ses week-ends, ni ses congés pas payés, particulièrement quand il y a de l’élevage.
Mais une nana qui fait des compètes à vélo, qui dirige une exploitation agricole, est-ce là ce qui la qualifie d’ordinaire ?
Et puis maman, bien sûr !
Voici qu’elle juxtapose un nouveau rôle et non des moindres aux précédents, celui de maman à plein temps. Il y a seize mois naît Anaïs. Et vous pensez bien qu’Isabelle a continué de pédaler, de labourer, de semer et moissonner…
Enfin, en tout cas les six premiers mois de la grossesse… « Fallait éviter les risques, quand même ! » dit-elle très sérieuse.
Cela ne vous étonnera pas d’apprendre que deux mois à peine, après l’arrivée de Bébé, Isabelle est revenue au travail de la terre, qu’elle a retrouvé la selle de son vélo de course, les vallons gersois et les pistes de compétition régionales. Tout en jonglant avec les siestes d’Anaïs, les horaires surchargés sur l’exploitation, la volaille et ses exigences. Le tout avec le lot de nuits brèves quand il y a un nourrisson au foyer…
Mais un impératif, ne pas perdre la forme, surtout !
Quand je vous dis qu’Isabelle est une nana ordinaire !
Petit coup d’œil à son palmarès sportif :
Depuis quinze ans, Isabelle Moulis se bat sur tous les fronts : marathon, duathlon, scratch, contre la montre… Elle fait trois tours de France féminin en 2002, 2006 et 2008 et va jusqu’au bout.
En 2008, elle participe à une course sur route et monte sur le podium en 2e position.
Le 27 Août, elle décroche le titre de championne, catégorie 2 (45 mn 40sec 4), lors du premier championnat de France du contre la montre, catégorie Masters, à Lanuéjols (Gard), sur le haut plateau des Causses Noires. Un parcours de 26 km, vallonné à souhait et un fort vent du nord contraire pour compliquer le défi.
Le 2 octobre dernier, Isabelle participe aux championnats régionaux du contre la montre à Fronton (20,300 km) et remporte la 2e place, battant la championne de France junior « très en forme », dira-t-elle puisqu’elle vient de faire 4e aux championnats du monde juniors : « Même si il n'y avait pas trop de filles, encore une fois, avec toute modestie face a la "jeunesse", c'est peut-être avant tout l'expérience qui ressort, bien que j'ai gagné ce chrono avec 35 secondes d'avance », (son temps: 31mn et 21 s).
Elle le dit :
« Les filles sont peu présentes en compétition car nous ne sommes que très peu aidées… Des conseils, et c’est tout juste. Nous restons livrées à nous-mêmes. On doit concilier entraînement, travail, maternité. C’est lourd. »
« Quand j’avais les capacités pour aller chercher la victoire, j’avais des retenues dans la tête, manque de confiance en moi. »
« Quand la tête n’a plus envie, une certaine lassitude intervient. Il faut savoir s’octroyer du repos pour retrouver l’envie. »
« Je ne veux plus courir pour courir. J’arrive à prendre du recul, alors qu’avant le stress me dévorait. Aujourd’hui, j’ai compris que le vélo n’est plus toute ma vie, il avait pris trop d’importance. Le travail, la petite, ça passe avant. Le vélo arrive en 3e position ! »
« Je n’ai plus rien à perdre ni à prouver. »
©Mahia Alonso