Carrière: le changement de vie, c’est maintenant !
La routine vous pèse. Vous vous sentez prisonnier de procédures rigides. Vous estimez que votre créativité ne peut pas s’exprimer. Vous vous ennuyez au bureau. Vous avez soif de nouvelles expériences, de nouvelles responsabilités et de nouveaux défis. Ces symptômes ne trompent pas: le moment est probablement venu de changer de poste, de métier ou d’entreprise, voire même de créer votre propre boîte. D’autres l’ont fait, et s’en félicitent, car ils ont retrouvé le feu sacré.
Ces dernières années, il a beaucoup été question du stress professionnel et des ravages qu’il provoque dans les entreprises. Toutefois, un autre mal, plus sournois encore, fait également des dégâts considérables dans le monde du travail : la routine et l’ennui.
Un mal insidieux : l’ennui professionnel
Voici quelques mois, une enquête réalisée par l'Ifop pour l’Atelier BNP-Paribas avait ainsi révélé qu’un nombre substantiel de cadres souffrait avant tout du manque d’opportunités de s’engager. Quelque 64 % d’entre eux déclaraient souhaiter se voir confier de nouvelles tâches et 60 % avoir la possibilité de rencontrer de nouvelles personnes. Plus significativement encore, 39 % affirmaient que, loin de fuir les responsabilités, ils s’investiraient davantage s’ils se voyaient confier « plus de projets ou de missions en même temps » (1).
Hélas, dans de nombreuses firmes, cette situation délétère, source de désengagement forcé, risque perdurer. Car contrairement à un cliché répandu, la crise actuelle n’est pas toujours synonyme de surcharge de travail. Si certains salariés se voient en effet sommés de faire plus avec moins, d’autres sont plutôt contraints de faire moins avec moins. Parce que les restrictions budgétaires sont passées par là enterrant les projets, réduisant les possibilités d’expatriation et restreignant les possibilités d’évolution…
Le bonheur est dans l’action et le défi
Une situation d’autant plus difficile à supporter que, comme l’ont démontré les recherches les plus récentes en psychologie, le bonheur humain résulte précisément de la possibilité de relever des défis, de s’engager et d’agir. Comme le souligne à raison Daniel Gilbert, professeur de psychologie à Harvard, «le bonheur ce n’est pas de rester assis à regarder le mur. Cela, c’est ce que les gens font quand ils s’ennuient. Or les gens détestent s’ennuyer. Les êtres humains sont plus heureux quand ils sont challengés avec intelligence, quand ils poursuivent des objectifs difficiles mais pas impossibles à atteindre» (2).
Dès lors, que faire? Pour les experts en ressources humaines et en développement personnel, la meilleure posture consiste à y voir une occasion de s’interroger sur ses véritables aspirations professionnelles. Rares sont en effet, les personnes qui disposent d’emblée d’un travail correspondant à leurs désirs profonds. « La plupart des individus font des choix de carrière “raisonnables”, inspirés par leurs proches, des DRH ou des cabinets d’évaluation. Pourtant, une fois le confort matériel assuré, l’insatisfaction commence son travail de sape », observe Eléna Fourès, fondatrice du cabinet de coaching Idem per Idem (3).
Pour une carrière «projet de vie»
Et si le moment était alors venu d’envisager un vrai changement de cap et de réinventer sa carrière pour en faire un véritable projet de vie? Un choix certes difficile parce qu’il comporte une part de risque mais qui se révèle généralement fructueux au plan personnel et professionnel parce que l’on est toujours plus efficace lorsque l’on fait ce que l’on aime.
Alain Cayzac, co-fondateur de l’agence de communication RSCG et ancien dirigeant du PSG, écrit ainsi : «Je ne pense pas que l’on puisse séparer implications personnelles et professionnelles. On ne joue pas bien Schumann si les romantiques ne nous émeuvent pas; on est mauvais menuisier si l’on n’aime pas travailler le bois. Et on vend peu de vélos quand on ne roule qu’en voiture (4).» Une posture qu’il a lui même mis en pratique en décidant, à 28 ans, de quitter Procter&Gamble où il avait débuté comme simple commercial pour se lancer dans la publicité avec le succès que l’on sait. Son conseil : «Autant que possible, épousez votre profession !»
Le plaisir pour boussole professionnelle
Dans ce registre, Bertile Burel et James Blouzard ont fait mieux encore. En 2003, en l’espace de quelques mois seulement, ils ont fait deux choix de vie. D’abord celui de s’épouser, puis celui de changer de carrière en créant ensemble leur société : Wonderbox, désormais leader sur le marché français du coffret-cadeau (5). « Dans les deux cas, nous avons suivi nos envies et poursuivi nos rêves. Et nous nous en félicitons », confient ces jeunes patrons avant de révéler que leur projet entrepreneurial est né durant leur voyage de noces de 6 mois autour du monde…
«Depuis toujours, nous avons le goût du voyage, du sport et des escapades de toutes sortes. Même durant nos années d’étude nous avons toujours ressenti le besoin de faire des breaks, de nous extraire du quotidien pour vivre des moments différents, des moments d’exception. Il nous paraissait alors naturel de faire bénéficier les autres de notre expérience. C’est le fondement de notre entreprise: partager nos découvertes et continuer à en faire», explique James Blouzard. Et de poursuivre : «Le plaisir est la boussole de notre plan de carrière et désormais notre premier principe managérial.» Une posture à l’évidence efficace: malgré la crise, Wonderbox poursuit son ascension, avec plus de 1,5 million de coffrets vendus en 2012 !
Une seconde vie pour les seniors
Ce principe de plaisir explique d’ailleurs pourquoi de nombreux seniors décident de créer leur boîte afin d’échapper à l’absurde couperet de l’âge de la retraite. Dans un livre consacré à l’entrepreneuriat comme seconde vie, Yvan Gattaz le soulignait avec sa verve habituelle: «Des observateurs se demandent pourquoi certains seniors, qui pourraient vivre tranquilles devant leur écran de télévision ou d’ordinateur, s’agitent dans des fonctions difficiles. C’est tout simplement parce qu’ils sont passionnés parce qu’ils entreprennent et qu’ils veulent à tout prix atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Une vie de fou? Pas du tout, une vie simplement passionnante.» (6)
Or, ils sont plus nombreux qu’on ne le croit à sauter le pas. Armand Hatchuel, professeur à Mines ParisTech remarque ainsi que si l’âge moyen des créateurs d’entreprise s’établit à 37 ans, 20 % d’entre eux se lancent à 50 ans passés voire à l’âge de la retraite. « De plus en plus de seniors refusent leur effacement prématuré de la vie active », écrit-il (7). Un élan qui ne s’explique pas seulement par les difficultés qu’ils rencontrent sur le marché du travail. En effet, de nombreux seniors « mettent fin délibérément à une activité salariée devenue insatisfaisante ». Loin d’être motivés par l’appât du gain, « ils pensent d’abord un “projet d’existence” et recherchent une activité qui procure un certain accomplissement. […] Ils recherchent un “travail-projet” qui vaille pour lui-même.»
Choisir la passion maintenant ?
De la sorte, les «seniors-entrepreneurs» sont porteurs d’une bonne nouvelle: comme le proclamait la romancière britannique, George Eliot «il n’est jamais trop tard pour devenir ce que nous aurions dû être». Mais ce n’est pas une raison pour reporter sans cesse son changement de vie au lendemain. Car s’il n’y pas d’âge pour entreprendre, il n’y en a pas non plus pour mourir d’ennui…
(1) “Les nouvelles formes d’implication des salariés”, enquête réalisée par l’Ifop pour l’Atelier BNP Paribas, septembre 2011.
(2) “The Science Behind The Smile”, entretien avec le Professeur Daniel Gilbert, Harvard Business Review, janvier-février 2012.
(3) Management, décembre 2012.
(4) “Tout ce qu’on ne m’a pas appris à l’école,” par Alain Cayzac, Editions du Moment, mars 2010, 230 p.
(5) Journal des Grandes Ecoles, 29 avril 2013
(6) “La seconde vie – Faire de sa retraite un succès”, par Yvon Gattaz, Bourin éditeur, avril 2010, 208 p.
(7) Le Monde Economie, 5 février 2013.
Carine Morlez