Vous avez dit GROS ?
Vous avez dit Gros ?
Injustice de la nature — une de plus direz-vous —, les kilos superflus n’affectent pas les hommes de la même façon qu’ils affectent les femmes. En bref, les grosses n’ont pas la même image que les gros. Preuves à l’appui.
Prenez deux enfants de même âge, fortement portés sur les sucreries et les boissons gazeuses, dont la silhouette accuse l’abus par de vilains bourrelets aux hanches et au menton, et demandez-leur de vous passer le sel. Premier cas : le garçon. Votre “passe-moi le sel, mon gros” ne devrait rien avoir de choquant. En revanche, lorsque vous vous adressez à la fille, votre “ma grosse” risque, d’une part de vous faire manger vos pâtes sans sel, mais en plus de voir la pauvre petite s’enfuir en courant dans sa chambre. Avec, en prime, un regard courroucé des parents qui vous coupera définitivement l’appétit. Pourquoi cette ségrégation inique et cruelle ? Eh bien, si les jeunes garçons affichant de l’embonpoint ont au moins pour se consoler la fierté d’être “sacrément costauds”, les filles, elles, n’ont que leurs nattes auxquelles se raccrocher.
Deux poids, deux mesures
Une triste différence qui s’aggrave bien évidemment à l’adolescence, au temps des premiers amours et des premiers flirts. Notre bouboule garçon qui ne s’intéresse qu’aux jeux vidéo et aux films d’action, se soucie encore peu des regards qu’on porte sur lui. La fille, elle, qui admire en silence la beauté des formes naissantes de ses meilleures copines parfaitement découplées sur leurs corps sveltes, a bien du mal à observer les siennes sous ses bourrelets de graisse. En boum, même combat. Autant Bouboule est entouré d’amis admiratifs parce qu’il est le seul à pouvoir engloutir quinze cocas de suite, autant la fille reste seule dans son coin à faire tapisserie, dédaignée par ses camarades parce qu’elle fait fuir les garçons boutonneux qui osent s’aventurer à demander leur premier slow. Par un mystère obscur, les gros ont plutôt tendance à attirer la sympathie, alors que les grosses sont victimes d’un ostracisme à côté duquel l’emprisonnement du Masque de Fer fait figure de bain de foule. C’est que, dès les premières années de la puberté — bien plus tôt encore aux États-Unis —, une fille se doit d’être une femme. Et qu’une femme — mode, ciné, télé obligent — se doit d’être belle. Gare à vous si vos mensurations ne sont pas les mêmes que celles de Kate Moss ou de Claudia Schiffer : vous tombez immanquablement dans la catégorie des boudins. Le comble étant bien sûr — toujours dans le langage enfantin — le gros boudin, qui pourrait se traduire plus “adultement” par “pauvre-femme qui-ne-trouvera-jamais-de-mari” et restera condamnée, faute de minceur, au célibat éternel et forcé.
Il n’est qu’à observer les locutions courantes du langage de tous les jours pour se convaincre de l’inégalité des sexes en matière de poids.
Les mots des gros... et les gros mots...
Le “gros-plein-de-soupe” n’est pas véritablement négatif. Il a presque quelque chose d’envieux : au moins, il est bien nourri.
De nombreuses sociétés, plus ou moins primitives, ont d’ailleurs longtemps considéré l’embonpoint comme une marque de richesse. La “grosse vache”, en revanche, malgré tous les litres de lait qu’elle pourrait fournir à des générations d’enfants affamés, jouit déjà moins de la sympathie qu’inspire son homologue. Il en va de même pour “mon gros cochon” qui, malgré la laideur innommable de l’animal auquel on fait référence, possède un je-ne-sais-quoi de gentiment gaillard. “La grosse truie” en revanche ne se dit qu’aux dames dont on souhaite être rayé du carnet d’adresses. Immédiatement, dès que le gros passe au féminin, il frise avec l’insulte. Il n’est peut-être que “gros lard” à échapper à la règle. Bien que, se faire traiter de “grosse tranche ” n’est guère plus plaisant.
Régimes à plein régime
Dites-voir, vous avez déjà vu beaucoup de femmes qui ne font pas attention à leur ligne, fussent-elles si maigres qu’elles pourraient passer derrière une affiche sans la décoller ou voyager par fax ? “Comment vaincre vos kilos superflus”, “Comment retrouver une taille de guêpe en dix jours”, “Ressemblez enfin à Jane Birkin en mangeant autant que vous voulez”... la presse féminine ne se prive pas de vous rappeler que, si vous voulez appartenir au happy-few des “esthétiquement correctes”, mieux vaut surveiller ce qu’il y a dans vos assiettes. Un fonds de commerce qui lui permet d’ailleurs de faire ses choux... gras. Côté hommes en revanche, à part quelques revues vendues sous plastique pour ne pas effrayer les enfants audacieux, rares sont les revues à leur causer d’anatomie. Nul “Apprenez à perdre ce ventre qui vous fait ressembler à un bouddha” ou “Découvrez comment remuscler vos fesses si lourdes qu’elles vous empêchent de lever votre derrière du fauteuil pendant que votre femme fait la cuisine”. Certains vont même jusqu’à prétendre que la bedaine d’un homme a quelque chose de rassurant et, qu’à la plage, elle constitue un excellent oreiller d’appoint qu’on n’a même pas à transporter soi-même. Il faudrait bien pourtant leur dire un jour que la bière les rend à peu près aussi sexuellement attirants qu’une poêle à frire. Mais non. Seules les femmes ont à subir le décompte des calories de chacun de leur menu et l’inscription à un club de fitness.
Dodo la libido !
Et si encore l’injustice qui frappe les gros ne se manifestait que dans leur poids… mais non. Il y a aussi le caractère qui est en cause. Le bon gros, pas de problème, est dans tous les cas ce joyeux vivant confortable qui sait profiter de la vie et savourer avec émerveillement tous les petits plats et les grands vins qui passent à sa portée. Mais la malheureuse affligée de kilos en trop voit, au surplus, son caractère virer au vinaigre. Amère, elle en veut au monde entier. Son régime lui porte sur les nerfs, et ipso facto sur ceux de son entourage qui demande grâce, partagé entre les poireaux à l’eau et la soupe à la grimace. Tout le monde en a assez. Son mari et ses enfants la supplient d’abandonner… quand ils la voient (parce que le temps qu’elle ne passe pas au marché à acheter des victuailles pauvres en calories, en graisses et en sucres, elle le passe au club de fitness où elle ahane sur des instruments de torture habilement conçus pour la culpabiliser un peu plus). L’homme, lui, s’en fait beaucoup moins. Il prend sa voiture pour aller travailler et n’use ses muscles que pour passer la main sur la croupe de sa femme en lui disant qu’elle est très bien comme ça. Bref, le fossé se creuse. Il la trouve appétissante, elle se trouve immonde. Alors, en prime, elle devient frigide. Ou du moins culpabilisée par ces disgrâces sur lesquelles elle met l’accent quand par hasard il ne les a pas remarquées. Du reste, si elle maigrit, elle devient frigide aussi, parce que ses hormones n’étaient pas d’accord pour les kilos en moins. Les hommes, eux, quelles que soient leurs variations sur la balance, ont toujours le même appétit pour toutes les chairs et les chères.
Décidément, question kilos, en quelque domaine que ce soit, il n’y a pas de justice.
Kaktus