V. Péronnet, être «nègre», une vocation
Valérie Péronnet
Etre «nègre», une vocation
« Je suis une femme de la pénombre »
Valérie Péronnet est une romancière française née en 1964 à Dakar. Elle a été journaliste à Télérama, travaille régulièrement à Psychologies magazine et a été le nègre d’une trentaine d’auteurs de récits, essais et témoignages (notamment pour le psychanalyste Serge Héfez). Jeanne et Marguerite est son premier roman, aux éditions Calmann-Lévy (septembre 2011).
Un nègre est l’auteur anonyme d’un texte signé par une autre personne, souvent célèbre. L’emploi du mot « nègre » qui date du milieu du XVIIIe siècle, fait référence à l’exploitation des populations noires d’Afrique. Aujourd’hui, on dira plutôt « nègre littéraire » ou prête-plume, collaborateur... Si la signature du « nègre » littéraire n’apparaît pas toujours, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’authentiques écrivains qui mettent leur plume très discrètement au service de celui qui signera officiellement l’ouvrage.
Certains écrivains se retrouvent parfois dans la peau du « nègre » littéraire pour gagner leur vie et en ressentent une cruelle frustration. Ce n’est pas du tout le cas de Valérie Péronnet qui exerce son métier avec passion. Après douze ans de journalisme, c’est par un choix délibéré qu’elle s’est spécialisée dans l’écriture d’autobiographies et de témoignages.
« Je fais ce travail car j’aime. C’est ma plume. Je restitue, j’accouche. Je fais de grosses interviews de 20 à 25 heures. Il y a une première interview pour l’ensemble et le sommaire. Puis j’écris le premier jet, le fais lire à l’auteur qui le corrige. Cela procède toujours d’une commande d’un éditeur. »
Le journalisme.-
En fait tout commence très tôt. Valérie est une très jeune bachelière. Elle rentre « par hasard… » au centre universitaire de journalisme de Strasbourg. A 28 ans, elle devient critique de radio à Télérama. Une opportunité qui lui apprend le métier. Et puis survient une longue crise d’angoisse. Alors elle démissionne et se sent beaucoup mieux :
« Je suis allée à Lyon et j’ai acheté un appartement. J’ai cherché le job qui me conviendrait. J’aimais rencontrer des gens et les écouter. Je suis allée voir les éditeurs pour être nègre. C’est un système précaire et une vie pas facile. Mais je suis une femme de la pénombre, un être de périphérie. Passer à la télé, voir mon nom sur des livres… ça ne me motive pas. La reconnaissance, je la trouve auprès de l’auteur, lorsqu’il est content du résultat et de notre rencontre. Ma place n’est ni devant, ni derrière, mais à côté de celui dont je reçois l’histoire. Cela me permet d’être dans une grande intimité avec “mon auteur”. C’est une relation d’une intensité unique. J’entre dans la peau de celui dont j’écoute et relate la vie. Les nègres frustrés sont ceux qui n’ont pas choisi ce métier : des artistes qui ont quelque chose à dire, mais auxquels on ne donne pas la possibilité de s’exprimer.
Cela m’a pris longtemps pour accepter ma propre création. J’ai porté mon roman pendant trois ans avant de l’écrire. »
Naissance de Jeanne et Marguerite.-
« J’avais 20 ans quand ma grand-mère est morte. Je n’ai pas pu aller à son enterrement et ma mère m’a rapporté les lettres et le journal de mon arrière-grand-mère, Marguerite. Il y avait 700 lettres ! Je me suis dit : je suis venue de là… J’ai toujours gardé ces lettres.
Il y a eu d’abord Apollinaire et puis le livre Un long dimanche de fiançailles et le film. La bande annonce portait mon cri : je veux comprendre !
J’ai alors rencontré, à la demande d’un éditeur, une vieille dame qui a travaillé sur la mémoire cellulaire. La veille, pour la première fois j’avais rêvé de Marguerite. J’étais très troublée car cela faisait écho avec moi. Je n’avais pas encore relu les lettres. A ce moment-là j’ai voulu leur donner une sépulture soit par le feu soit les enterrer. J’en ai parlé à ma psy qui a mis à ma disposition un placard dans lequel j’ai déposé ces lettres. Un an plus tard, une amie, Françoise Cadol, (la voix qui double Angelina Joly), m’a demandé ce texte pour l’interpréter sur scène. J’ai loué une maison sur l’île de Saint-Cadou pour quinze jours et j’ai écrit mon texte. Je l’ai envoyé à quatre éditeurs. Et puis je suis allée à Toubab Dialaw (au Sénégal), pour y suivre un stage de danse africaine pour les aînés. C’était le 5 janvier 2010. A mon retour, j’ai été mise en relation avec l’éditrice de Calmann-Lévy que j’avais connue quand je travaillais chez Michel Laffont. Elle recherchait un premier roman… »
Valérie Péronnet retourne alors à St-Cadou pour relire les lettres de Marguerite mais elle s’est trompée et a pris celles d’Eugène. En attendant de récupérer celles de Marguerite, Valérie relit les lettres à James écrites par Jeanne tandis qu’elle l’attendait…
« En écrivant mon livre, j’ai pris des libertés d’écrivain et eu envie de continuer. Les choses se font en moi. J’ai senti le moment d’y retourner, de travailler avec le conscient et l’inconscient. J’ai beaucoup travaillé avec les psys pour mon boulot… L’écriture est un espace ou l’inconscient intervient quand il est organisé. Je découvre mon propre processus de création ; j’ai juste accepté de laisser sortir… »
En écrivant Jeanne et Marguerite, Valérie Péronnet qui avait déjà lu tout Apollinaire à 14 ans, émet une constatation terrible :
« Le XXe siècle s’est construit sur la douleur des femmes et elles n’ont pas eu le droit de l’exprimer. Nous sommes les enfants de cette douleur. »
4e de couverture : « Depuis toujours Jeanne prête sa plume à d’autres. Mais cette fois, elle raconte sa propre histoire. Une histoire d’amour étrange et fantasque, drôle et forte, avec un certain « James », qu’elle rencontre dans la pénombre, parfois, et qu’elle attend en écrivant. Elle raconte aussi, en parallèle, l’histoire de Marguerite. Celle d’un amour innocent et éperdu avec le bel Eugène, croisé sur la plage de Nice en 1906, qu’elle retrouve en vacances et qu’elle attend en écrivant.
La Première Guerre mondiale bouleversera l’amour de Marguerite ; l’Afghanistan, Gaza ou la Tchétchénie, celui de Jeanne.
Jeanne et Marguerite est un texte doux et intime, où la violence des sentiments se dit sans emphase, mais avec des mots nus, vifs, et facétieux parfois, dont on s’aperçoit qu’ils ont mis longtemps à remonter à la surface. Un siècle, peut-être… »
Ces deux destins de femmes s’entrecroisent, avec parfois des mots identiques pour exprimer leur passion. La guerre va porter un coup fatal à chacune de ces deux histoires à un siècle d’intervalle.
J’ai dévoré ce livre en « deux siestes », ayant ce rare privilège de séjourner au même endroit que l’auteur. Aux premières loges, donc, pour ensuite en parler, découvrir les coulisses de sa création.
Les phrases sont courtes, effilées, disent tant en mots rares. Des chapitres brefs, parfois une ou deux phrases seulement. Pas de fioriture, ni de descriptions détaillées et pourtant le lecteur est dans le bain jusqu’au cou, j’allais écrire « jusqu’au cœur ». Parce que la force des mots, leur maîtrise. Un livre qui se donne tout en fougue et en pudeur. L’amour passion qui transporte mais qui broie en même temps ; qui laisse tantôt exsangue et hagard, tantôt au sommet du monde. Des sentiments connus, éprouvés par le commun des mortels. Cela explique pourquoi Jeanne et Marguerite laissent cette empreinte émotionnelle et nostalgique une fois la lecture achevée.
Le talent de Valérie Péronnet nous promène d’un siècle à l’autre, avec les styles appropriés sans provoquer de choc d’époque (comme on parle de choc thermique). L’alternance crée une petite musique ravageuse. Et si Marguerite m’a attendrie, émue, Jeanne, elle, m’a profondément bouleversée.
Jeanne et Marguerite, Valérie Péronnet
Edition Calmann-lévy
ISBN / EAN 9782702142455
Format 140x215x11 mm
Prix TTC 14,50 €
©Mahia Alonso
Quelques citations :
Quand tu t’en vas, il me reste au milieu du ventre un sourire explosé.
Et la litanie des « j’aime » :
J’aime savoir que tu reviens sans savoir quand…
J’aime qu’il y a si longtemps et que ça semble nouveau.
Et t’écouter prendre ta douche jusqu’à sentir l’eau sur ma peau…
J’aime ces vagues de toi qui me submergent sans jamais me noyer…
J’aime qu’il n’y ait pas de mots pour dire. Et que, parfois, même les gestes soient trop courts pour contenir tout cet amour. …
Je me dis que tu es au-dessus de mes moyens et que je t’aime plus haut que mon cœur comme d’autres pètent plus haut que leur cul.