Lettre ouverte à François HOLLANDE
Monsieur le Président,
Le 6 mai, les Français, par leurs suffrages, vous ont porté au plus hautes responsabilités. Au plan politique, souvenez-vous durablement que cette élection ne vous aurait pas consacré sans la présence massive et inquiétante du Front National, qui est devenu le refuge naturel de tous ceux qui souffrent et ne croient plus aux incantations des femmes et des hommes politiques de droite et de gauche, dites "républicaines". Le taux record, non pas de l'abstention, mais des votes "blancs" au deuxième tour de l'élection, devrait vous interpeler tout autant, sachant par ailleurs qu'il a été au cœur de cette victoire politique qui fait la fierté de la gauche aujourd'hui. Ce rappel n'est pas inutile, puisqu'il vous incombe la présidence du peuple de France et que si l'on fait les calculs avec un brin d'objectivité, le cœur de la France n'est pas majoritairement "socialiste".
Vous avez, au soir de votre élection, demandé à être jugé sur deux points uniquement : La "jeunesse" et la "justice" (je suppose qu'il faut entendre par là, la justice sociale et l'esprit de justice qui dicterait l'ensemble des décisions que vous aurez à prendre durant votre mandat). Or, Monsieur le Président, cette précaution que vous avez prise par anticipation n'engage aucune ambition de votre présidence pour ce qui concerne le chômage de masse, le coût de la vie et le pouvoir d'achat de vos concitoyens, la question de la dette abyssale de la France, plus largement le redressement des finances publiques et la réduction des déficits, la performance économique de la France, l'Europe ou tant d'autres sujets encore... Faisant celà je ne puis croire que vous vous êtes exonéré a priori d'un possible échec de la politique que vous entendez mener au titre de ces nombreux sujets.
Que vous soyez animé par un esprit de justice et le souci de l'avenir de notre jeunesse, c'est bien le moins que l'on puisse attendre de l'homme qui est au sommet de l'État pour 5 années. Mais que ferons nous de ce bel esprit si la France échoue et ne parvient pas à se réformer pour renouer avec le succès économique, l'emploi, la compétitivité, le pouvoir d'achat de ses salariés, l'équilibre budgétaire après des années d'incurie de la gauche comme de la droite, l'employabilité de ses jeunes générations et des jeunes séniors, littéralement exclus du marché du travail ?
Pardonnez cette vérité, mais, Monsieur le Président, quel que soit l'esprit qui vous anime et aussi noble soit-il, vous serez jugé sur l'ensemble de ces sujets qui minent la vie des français. A votre niveau de responsabilités, vous ne pouvez ignorer l'état de notre pays et les enjeux qui sont désormais entre vos mains, non pour 5 années de pouvoir, mais pour l'avenir de la France et des français, tant il est vrai qu'en ce temps de grave crise mondiale, toutes les décisions que vous aurez à prendre engageront l'avenir de la France pour longtemps.
J'en viens donc à ce qu'il est convenu d'appeler votre "programme" : Je suis frappé , certains diront avec un esprit partisan, d'autres considérant qu'il s'agit d'une juste analyse, par la contradiction, jusqu'à l'antinomie parfois, que l'on peut suspecter, voire constater, entre les objectifs qu'il vous faudra mettre en perspective et finalement atteindre, et le contenu même de ce programme.
Je n'y vois aucune trace, la plus infime soit elle, d'économies budgétaires et bien sûr, partant, pas la plus petite évocation des moyens qu'il vous faudra mettre en œuvre pour y parvenir. C'est même le contraire que vous annoncez.
Vous parlez d'impôts, mais ici encore, ce que vous avez dévoilé aux Français ne suffit pas à corroborer vos dires pour les concilier avec les chiffres. N'oubliez pas non plus que la France fait partie de ces pays qui ont la fiscalité la plus lourde, la plus injuste souvent et dont la performance est grevée par le poids de l'impôt et sa remarquable inefficacité. Ici encore, vos propositions ne révèlent aucune volonté de réforme profonde, de "changement" de cap radical.
Vous comptez embaucher des fonctionnaires supplémentaires, alors que depuis des années, la France fait quelques efforts, bien insuffisants d'ailleurs, pour alléger le poids de la fonction publique et de l'État dans son budget. Il s'agit surtout de l'Éducation Nationale qui, selon vous, souffrirait d'un déficit de ses effectifs. Mais Monsieur le Président, savez vous que nous sommes le pays au monde qui a la plus forte concentration d'effectifs au sein de son système éducatif ? Savez vous qu'il s'agit du deuxième poste budgétaire de l'État, après... celui du remboursement des seuls intérêts de la dette ? Ignorez vous qu'en dépit de ces dépenses somptuaires, nous pouvons nous "enorgueillir" d'un des rares systèmes éducatifs mondiaux, qui se révèle être incapable de donner un emploi à sa jeunesse ? Doutez vous des chiffres officiels qui nous enseignent qu'un tiers des effectifs d'enseignants du primaire et du secondaire ne sont pas dans les classes en présence des élèves ? Pensez vous réellement qui s'agit d'une question d'effectifs ?
Monsieur le Président, je pourrais poursuivre cette éclairante litanie à l'infini, sans pour autant faire avancer la cause que je défends. Car au fond, Monsieur le Président, la question qui se pose et s'impose à vous désormais est la suivante : Serez-vous le président de la France et de tous les français ?
Saurez vous délaisser les considérations électoralistes et politiciennes ou partisanes, pour incarner le redressement d'un pays qui a souffert depuis 40 années de pouvoir de droite et de gauche de l'incurie de ses représentants, de l'accumulation des déficits et des dettes et de l'absence de réformes ambitieuses de l'ensemble des systèmes structurels ?
Saurez-vous renoncer à un programme incompatible avec les enjeux d'aujourd'hui et d'avenir, ceux que la crise nous impose et ceux, enfin, qui doivent permettre à la France de s'inscrire vertueusement dans le monde de demain ?
Que "l'humain" puisse être au cœur de votre action ne serait pas incompatible avec ces enjeux.
Que la justice soit un principe intangible de votre ambition pour la France, n'est pas antinomique d'un projet économique adapté à notre époque.
Que la jeunesse incarne votre projection d'un avenir pour la France n'exclut en aucune façon le principe de réalité.
Mais, Monsieur le Président, le peuple de France ne vous pardonnera jamais cette satisfaction que vous avez évoquée publiquement d'avoir "redonné espoir", pour précipiter le pays à sa perte, pour n'avoir pas voulu accepter la réalité, aussi crue soit-elle.
Peut-être êtes vous le Président de la dernière chance et le temps va vous manquer. Le choix que vous avez à faire est cornélien. Entre choyer vos électeurs et sauver la France de la faillite, puis la redresser dans un monde hostile, il vous incombe de choisir sans attendre.
Vous pouvez également choisir de marquer le début de votre mandat par le détricotage des réformes essentielles et courageuses, et malheureusement incomplètes, menées par votre prédécesseur. Je pense par exemple à la réforme des retraites, bien en deçà des impérieuses nécessités qu'elle recouvre pour l'avenir. Je fais également allusion à la réduction des effectifs de la fonction publique, ou à d'autres avancées au plan structurel. Ce serait un bien mauvais signal que vous donneriez pour votre pays.
Vous avez souhaité devenir le Président de la France dans une conjoncture particulièrement difficile. Votre responsabilité s'en trouve décuplée. Il se trouve que vous aurez probablement à jouer un rôle historique en France et pour la France, en Europe et dans le monde. Je vous souhaite, Monsieur le Président de trouver toute la hauteur et la stature qu'exige ce moment particulier de notre histoire, pour que la France réussisse, par delà les idéologies, les dogmatismes et les partis pris, et rentre dans l'avenir armée des réformes structurelles dont elle a tant besoin depuis trop longtemps, ses finances assainies et son économie rendue à la performance dans un monde où la compétition fait rage.
Car c'est à ce prix que vous pourrez évoquer "la croissance", l'emploi et la "justice" et donner à la "jeunesse" l'espoir qu'elle attend, mais dont elle ne peut simplement se nourrir.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président à mon indéfectible et respectueuse vigilance...
Olivier ARON