Auto-édition: ce débat a-t-il vraiment un sens?
Le métier d’éditeur va-t-il disparaître, confronté à l’apparition d’outils qui permettent à tout un chacun de créer ses propres livres, et face aux nouveaux modèles de distribution comme Amazon qui inondent la planète ?
Ecrivez et nous ferons le reste
« Exprimez-vous, écrivez, et nous ferons le reste », proclament une quantité de sites dédiés à l’autoédition ; et les conseils ne manquent pas pour aider le quidam à concrétiser son roman, son livre de recettes, son... journal de vacances. Chacun calcule son prix de revient selon le nombre de pages, la qualité de la couverture, et le nombre d’exemplaires. Il ne reste plus qu’à s’acquitter de la facture globale, qui comprend, si on en a les moyens, la mise en page, la relecture, ou la fourniture d’illustrations (entre autres services payants). On peut même faire imprimer son livre au coin de la rue, des réseaux de magasins comme Copy Top autrefois dédiés à la simple photocopie, proposant désormais ce service. L’autoédition a ainsi inventé le livre à monter soit même, manufacturé en quelque jours et qui peut être livré à domicile. Il ne resterait plus ensuite qu’à le diffuser.
Quelles différences entre autoédition et éditeur "traditionnel" ?
Le rôle de l’éditeur est de publier des auteurs dont il apprécie le travail et de faire en sorte que ce plaisir soit partagé par le plus grand nombre. Cet objectif est tout autant culturel que commercial. L’intérêt de l’auteur sera de voir son talent reconnu, celui de l’éditeur de vendre pour pouvoir éditer d’autres talents et faire vivre la maison d’édition. Maurice Nadeau, disparu récemment, qualifié par Le Monde d’ "éditeur génial et désargenté, mort à la tâche à 102 ans" a été un de ces hommes passionnés par leur métier. En France il a fait découvrir les œuvres de Henry Miller, Samuel Beckett, Michel Houellebecq, Jack Kerouac, Malcolm Lowry, Georges Perec, ou encore Raymond Queneau, envers et contre tous, et si quelques-uns de ces auteurs l’ont quitté pour aller faire fortune ailleurs, c’est le flair et l’intuition de Maurice Nadeau qui leur a permis d’exister.
Une approche que partage Antoine Gallimard, PDG des éditions Gallimard, qui dans Télérama parle de son métier : "L’éditeur est d’abord un lecteur. Editer, c’est une affaire de goût. On ne peut bien faire ce métier que si on aime les livres, si on aime les auteurs, et si on a envie de les faire aimer des lecteurs. L’amour des livres est important, très sincèrement". Et au journaliste qui évoque Christian Bourgois disant que le métier d’éditeur consiste à "publier des livres que les gens n’ont pas envie de lire" il répond "C’est très juste. Mon grand-père disait aussi que l’art d’être éditeur consistait à publier des livres que d’autres refuseraient. Au fond, c’est un peu la même chose. Ne pas être victime de la loi du marché, ni de la mode. Savoir se retrancher sur ses goûts, ses intuitions".
Et aujourd’hui ? Quel est le rôle d’un éditeur en 2013 ? Le même que celui qu’il a toujours été : "Nous faisons un métier de découvreur et de passeur" déclare Arnaud Nourry, le PDG d’Hachette Livre. "Notre métier de passeur, de pourvoyeur de repères, de donneur de sens, de créateur d’objets est irremplaçable, particulièrement dans ce monde qui s’enivre de SMS, de tweets et d’instantanés".
Une chaîne de vie et de savoir-faire
Alors, autoédition ou édition traditionnelle ? Tout comme un meuble Ikea ne peut se comparer à la création d’un architecte-décorateur, le livre n’existe en tant que tel que grâce à la synergie de tous les corps de métier qui sont intervenus dans sa création : l’éditeur, le directeur de collection, le maquettiste, le correcteur, l‘imprimeur, le représentant, le diffuseur, et le libraire. Une chaîne de vie et de savoir-faire que le numérique peut raccourcir mais qui met le livre dans un circuit aléatoire de diffusion, comme une goutte d’eau dans un vaste océan de littérature.
En 2011, Alain Beuve-Méry écrivait dans Le Monde : "L’autoédition en ligne donne l’impression que l’on peut enfin s’affranchir des filtres traditionnels du secteur, au premier chef, celui de l’éditeur, mais aussi du libraire, voire du critique littéraire ou de l’émission de télé. La dimension « loto » ou super-cagnotte marque aussi les esprits : d’un livre autoédité qui rencontrerait le succès, le pactole pourrait couler à flots."
Certains succès viennent conforter ce raisonnement mais des auteurs comme Stephen King, qui fut un des premiers en 2001 à tenter avec The Plant de s’autoéditer est revenu dans le giron de l’édition dite traditionnelle. Lors de la parution de son dernier livre Joyland, il a même déclaré au Wall Street journal : « Je n’ai aucune intention de proposer une version numérique. Peut-être plus tard, mais en attendant laissons les gens se bouger et se diriger vers les librairies plutôt que vers le digital ».
L'impression papier toujours d'actualité
L’édition est un univers centenaire mais qui évolue très vite. Grâce aux techniques d’impression numérique, un éditeur peut aujourd’hui éditer à la demande. Finis, les frais de stockage et les ruptures de stocks, le livre est en permanence disponible. Avec par exemple l'Espresso Book Machine inventée par Xerox, machine à imprimer à la demande et aux excellentes performances techniques. Les livres anciens eux-aussi profitent de ces avancées technologiques. Hachette Livre, associé à la librairie numérique de la Bibliothèque Nationale de France peut désormais commercialiser à la demande 40 000 titres du XVe au XIXe siècle. Le choix s’effectue sur un site dédié où les titres sont classés par thématiques - l'art, l'artisanat, l'histoire de France, la littérature, la philosophie, la musique, la généalogie ou la gastronomie - et, en quelques heures, l’ouvrage est réimprimé à l’identique et envoyé chez le libraire le plus proche.
Les éditeurs sur la voie du numérique
Si l’imprimé reste encore prédominant, l’édition numérique gagne du terrain. Doucement. En France la vente d’e-books représente 3,1% du marché selon le dernier rapport du Syndicat National de l’Edition. Aux Etats-Unis ce chiffre est déjà de 20% et au Royaume-Uni, de 12%. Ce mode de lecture est certainement appelé à se développer au fur à mesure de la progression des équipements vendus. L'institut GfK, cité par le SNE, estime que l'équipement des Français en termes de matériel connecté devrait "continuer à progresser en 2013 à hauteur de 25,3 millions de terminaux de lecture. Ceux-ci se ventileraient entre 15,2 millions de smartphones, 5,1 millions de tablettes 1, 4,5 millions d'ordinateurs portables et 500 000 liseuses."
Une perspective que les éditeurs intègrent déjà : selon une étude menée par Livres Hebdo en février 2013, 74% des 50 meilleures ventes Ipsos/Livres Hebdo de 2012 étaient disponibles au format numérique. Toujours selon le SNE, "aujourd’hui, plus d’une centaine de librairies indépendantes sont en situation de vendre un catalogue de livres numériques".
Dans cet environnement, le débat entre édition et autoédition a-t-il encore vraiment un sens? Certes l’édition cherche à réadapter son modèle économique, mais qu’il soit objet réel ou virtuel, le livre, sa conception, sa réalisation et sa distribution restent l’apanage des métiers de l’édition. Ceux-ci garantissent au lecteur la qualité de son contenu éditorial et rendent le livre pérenne.