Retraite, allocations, santé… cette fois, il va falloir faire des sacrifices
On croyait notre système de protection sociale à l’abri ? Pressé de trouver 10 milliards d’économies cette année et 60 milliards d’ici 2017, le gouvernement n’aura pas d’autre solution que de tailler dans nos prestations.
Reste à savoir qui paiera la note.
Dans les beaux quartiers, on s’inquiète. Le gouvernement va-t-il continuer d’offrir tous les ans des réductions d’impôts aux familles aisées dont les enfants poursuivent des études supérieures ? Et permettre en même temps à ces derniers de toucher jusqu’à 250 euros par mois d’allocation logement ? Il y a deux ans et demi, le gouvernement de François Fillon avait osé poser tout haut la question, avant de faire machine arrière face au tollé des associations étudiantes. Il y a quelques semaines, Geneviève Fioraso, la ministre de l’Enseignement supérieur, a remis les pieds dans le plat. Il faut "revoir le cumul de l’allocation logement (étudiante) et de la demi-part fiscale", s’est-elle exclamée, avant d’être démentie par son collègue du Budget, Jérôme Cahuzac. On n’en est pas encore aux actes.
Voir tableau en fin d'article.
Mais l’ombre des grands ciseaux se précise…
Les Français pensaient-ils pouvoir conserver éternellement leur système de protection sociale, probablement le plus généreux du monde ? Ils se trompaient lourdement. Certes, contrairement à tous ses voisins, notre pays a réussi pour le moment à le préserver tant bien que mal. Entre les prestations familiales, les pensions de retraite, les remboursements maladie, les aides au logement et autres minima sociaux, l’État, les collectivités locales et les organismes sociaux vont encore distribuer cette année quelque 600 milliards d’euros, près du tiers de notre richesse nationale. Mais, il faut se rendre à l’évidence, on ne pourra pas continuer longtemps comme ça. Pour ramener le déficit public à zéro à la fin de son quinquennat comme il s’y est engagé, François Hollande va en effet devoir réduire les dépenses publiques de 60 milliards d’euros à l’horizon 2017. C’est l’équivalent de la moitié de la masse salariale de la fonction publique à effacer d’un coup de gomme ! Autant dire que même en taillant à mort dans les effectifs de l’Etat – ce n’est d’ailleurs pas au programme – même en mettant les administrations, les régions et les communes au régime sec, même en rognant jusqu’à l’os les programmes d’investissement nationaux, on ne pourra jamais dégager une telle somme.
La plupart des économistes le reconnaissent donc sans ambages : si l’on veut tenir le cap, et l’on n’a guère le choix face aux marchés financiers, il faudra forcément sacrifier une partie de nos prestations sociales. "On ne pourra pas faire autrement que de les réformer", confirme un proche de Hollande. Au reste, notre système de protection sociale croule lui-même depuis des années sous les déficits. Faut-il le rappeler ? La Sécu a affiché 20 milliards de trou l’an dernier, la dette sociale atteint désormais 10,5% du PIB, dix fois plus qu’en 2001. Et si rien n’est fait, le seul régime des retraites devra trouver 25 milliards en 2020 pour assurer son équilibre. "Pendant des années, on n’a pas osé dire la vérité aux gens, tonne Yves Bur, ancien rapporteur UMP du budget de la Sécu à l’Assemblée nationale. On ne peut pas continuer à reporter nos dépenses sociales sur les générations futures."
Désormais, donc, les langues se délient. Désindexation des retraites, rabotage des indemnités chômage des cadres, mise sous condition de ressources des allocations familiales, recalibrage des aides au logement… Ces dernières semaines, les pouvoirs publics et la Cour des comptes ont lâché toute une série de ballons d’essai dans l’atmosphère, pour voir comment réagissait l’opinion. Et Matignon a commandé une flopée de rapports à des experts afin de déminer le terrain. Il ne restera plus bientôt qu’à passer à l’action.
Reste à savoir comment. Donner un coup de rabot uniforme sur l’ensemble des prestations, comme ont choisi de le faire bon nombre de nos voisins ? Inconcevable que François Hollande s’y risque. Un tel écrêtement serait en effet une catastrophe pour les familles modestes : selon l’Insee, les prestations sociales représentent en moyenne près de 40% des revenus des 10% les plus pauvres, contre environ 1% pour les 20% les plus aisés. C’est évidemment sur ces derniers que le gouvernement entend concentrer ses coupes.
La première solution consisterait à fiscaliser toutes les prestations versées, en particulier les allocations familiales. Une telle mesure ne frapperait par définition que les ménages imposables (les plus aisés) et permettrait de récupérer près de 1,3 milliard chaque année. L’ennui, c’est qu’elle contribuerait à augmenter les prélèvements obligatoires, ce que l’Élysée souhaite à tout prix éviter. Le gouvernement pourrait donc se tourner vers la seconde solution : réduire – ou tout bonnement supprimer – certaines prestations versées aux ménages les plus riches. Entre les allocations familiales, les aides aux familles monoparentales, les compléments de libre choix d’activité ou les majorations de pension pour les parents ayant élevé trois enfants (10% sur l’ensemble des régimes de base et complémentaires, 15% pour la fonction publique et les régimes spéciaux), il n’aurait que l’embarras du choix.
Toucher à ces avantages ne sera pourtant pas simple. D’abord, où placer le curseur ? Si le gouvernement tape uniquement sur le haut du panier, il ne récupérera que des miettes. S’il veut vraiment glaner des milliards, il lui faudra faire porter l’effort sur tout le haut de la classe moyenne. Or cette catégorie a déjà subi un net alourdissement de son fardeau fiscal depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir. Non seulement elle n’acceptera que difficilement de se voir administrer une dose supplémentaire de potion amère, mais cette nouvelle ponction plombera à coup sûr la consommation et par conséquent la croissance.
Il y a plus grave. Si le gouvernement se décidait à tailler dans les prestations accordées aux ménages aisés, il remettrait en cause les principes sacrés de notre protection sociale. Le système, en effet, n’a nullement été créé pour assurer une redistribution des richesses entre riches et pauvres, mais pour organiser une quadruple solidarité horizontale entre jeunes et vieux, travailleurs et chômeurs, malades et bien portants, ménages avec et sans enfants. Tous les syndicats et associations familiales le hurlent : détricoter cette philosophie reviendrait à ouvrir une véritable boîte de Pandore. Car, après les prestations familiales, pourquoi ne pas s’attaquer à la santé, en introduisant des remboursements différenciés selon les revenus, comme l’ont décidé récemment les Allemands? C’est ce que Martin Hirsch avait proposé en 2007 avec son fameux "bouclier sanitaire". "C’est un tabou absolu en France!", prévient Yves Bur. Mais sait-on jamais…
Sandrine Trouvelot pour capital.fr
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