Lisa Leclerc, La Fabrique à gâteaux
Lisa Leclerc,
« La Fabrique à gâteaux »
©Mahia Alonso
Lisa Leclerc est un jeune talent dans le secteur de la pâtisserie de luxe à découvrir sans modération. Son parcours semé d’embûches laisse entrevoir la situation souvent pénible des apprentis pâtissiers, victimes de brimades de la part des autres employés.
Cette année, Lisa Leclerc a décidé de faire le grand saut et de créer son entreprise. Devenir son propre patron donne des ailes. Dans cette belle aventure, elle a entrainé son amie Alice Le Baron qu’elle a connue chez leur ancien boss Gérard Mulot (une référence parisienne en pâtisserie, notamment pour ses macarons). Alice aussi a fait l’école Férandi, le «Must» des écoles en pâtisserie. Elle a de l'expérience. Elle a travaillé à Londres dans un restaurant du Mayfair, chez Pierre Gagnaire, une étoile au Michelin Grande Bretagne (pour Alice, une belle carte de visite). Complémentaires et talentueuses, elles s’apprécient mutuellement. Avec leurs acquis, le courage et la ténacité pour carburant, tous les espoirs sont permis aux deux jeunes femmes.
Une vraie princesse africaine.
Avec son teint clair, ses yeux noirs en amande et ses cheveux tout aussi noirs, on devine bien un métissage chez Lisa… mais qui imaginerait que son grand-père était Sénégalais ? Et pas n’importe lequel : lui, il est considéré là-bas comme le Père de L’indépendance du Sénégal. C’était Valdiodio N'Diaye (voir notre chronique du 6 octobre 2011)*. L’imaginaire de Lisa a été nourri des aventures passionnantes du héros racontées par sa mère et sa grand-mère**. Lisa est une vraie princesse africaine. Si elle n’en parle à personne, son port altier, sa parole franche, son caractère décidé laissent deviner son origine aristocrate.
« Lisa, c’est une carapace abrupte qu’il faut découvrir. Il n’est pas aisé de gagner sa confiance car un coup d’œil lui suffit pour percer à jour les gens de façon tout à fait intuitive. C’est une meneuse. Ses réponses, ses questions, rapides et percutantes, fusent avec ironie et finesse mais lorsqu’elle vous accepte dans son cercle, c’est à la vie, à la mort, » nous confie Amina, sa maman. Fougueuse et entière, Lisa demande beaucoup, mais elle-même donne tout dès qu’on a conquis son cœur ; elle écoute et manifeste alors sans frein sa compassion si vous êtes dans la peine : « C’est si naturel de se mettre en quatre pour un ami ! »
Des gâteaux pas trop sucrés, beaux et légers.
A deux pas du canal St Martin, Lisa et Alice ont finalement déniché « le » local idéal. Pendant quelques mois, elles ont troqué leur toque pour la truelle et le pinceau. La boutique s'est peu à peu transformée en une jolie bonbonnière toute de rose et de gris : « La Fabrique à Gâteaux ».
Dans leur laboratoire, Lisa et Alice confectionnent avec art et amour des recettes originales, à la fois régal des papilles et des pupilles ; des pâtisseries fines à base de produits frais et donc toujours de saison. Ces deux jeunes nanas qui n’ont peur de rien, armées de leur talent et de leur opiniâtreté, projettent à présent de partager leurs secrets en donnant des cours de pâtisserie à des particuliers aussi passionnés qu’elles :
« Ce ne sera pas pour tout de suite, mais on y pense. Là, nous avons trop de travail au laboratoire. »
Frissons gustatifs garantis.
Le succès de la boutique est palpable. Les gourmands se passent l’adresse, la presse parisienne s’y intéresse et prend le relai du bouche à oreille déjà très efficace.
« La carte évolue selon les saisons, on veut faire de nos petits gâteaux de véritables bijoux, à croquer sans modération. »
Et on ne les contredira pas après avoir goûté le cheese-cake à la griotte, ou la tarte au citron, onctueuse à la pâte bien craquante. Sans parler du fondant chocolat/noisette qui croustille et fond tout à la fois, sous la dent… Pas étonnant qu’en fin de soirée, La Fabrique à Gâteaux se retrouve dévalisée !
Cependant, pour se hisser tout en haut de l’échelle, il faut en passer par des brimades, des coups bas, dans l’indifférence feinte ou réelle, des chefs… ! Et avant d’en arriver à la création de La Fabrique à gâteaux, elle a travaillé pendant quatre ans chez Gérard Mulot.
Chez Gérard Mulot.
L’entreprise du grand pâtissier Gérard Mulot est située rue de Seine, juste derrière le marché St Germain. Prestigieuse adresse. Clientèle de choix. Artistes, politiques, gens de la télévision y ont leurs habitudes. Il y a peu encore, Lisa Leclerc était son employée.
Pour s’y rendre, Lisa qui habite du côté des boulevards extérieurs de la capitale, traverse Paris en scooter ; parfois il est 4 heures du matin,d’autres fois 6 heures. Elle y fait aussi des nuits ou des week-ends. Devenir pâtissière, elle en rêvait depuis toujours. Mais elle espère que les lourdes heures de travail, les horaires décalés, les week-ends et parfois les nuits sacrifiés ne vont pas lui voler sa vie :
« Je veux avoir une vie à moi en dehors du boulot, tant de collègues se limitent à métro, boulot, dodo. »
La tarte aux fraises du Figaro.
Et il y a eu le jour de la tarte aux fraises du Figaro… Elle se souvient.
Ce jour là est un grand jour. Au vestiaire, elle enfile sa blouse blanche, pose sa coiffe sur ses cheveux bruns bouclés.
« Rien ne doit dépasser, les conditions d’hygiène sont drastiques au laboratoire. »
Une contrainte pourtant : renoncer aux piercings ; mais elle a trouvé une solution. Elle porte de minuscules perles transparentes, de façon à ce que les orifices ne se rebouchent pas. Et, dès qu’elle sort du «taf» comme elle dit, elle positionne ses piercings, un sur l’aile du nez qui met en valeur son visage aux pommettes saillantes, l’autre à l’oreille droite.
Puis elle s’installe au laboratoire de la pâtisserie et commence à rassembler les ingrédients : farine, sucre, parfums divers, fraises. Gérard Mulot, comme tous les matins après avoir fait ses courses à Rungis, s’empresse d’examiner sa vitrine. Il fronce les sourcils et se dirige rapidement vers l’escalier qui va le conduire au 2ème sous-sol. Lisa lève les yeux et le salue respectueusement. Elle aussi a vu la vitrine et la tarte aux fraises, elle comprend tout de suite la mauvaise humeur de son patron.
« Il a pensé que c’était moi qui l’avait faite ! » Alors, elle lance :
« Je viens d’arriver, cette semaine, je commence à 8h. »
Le visage du boss se rassérène quelque peu. Ses yeux, d’un bleu acier scrutent d’abord sa montre et ensuite Lisa qui, elle, reste sereine. Il martèle :
« Je compte sur toi, tu as encore le temps, le journaliste et le photographe seront là à 11h. Tu feras deux tartes aux fraises et je choisirai la plus belle pour la photo. »
Le patron ne plaisante pas avec la discipline. Lisa pour se rassurer cherche des yeux sa collègue Alice. Ses deux tartes aux fraises prêtes, elle les présente au boss dont le visage s’illumine : « On va photographier les deux, bravo ! »
Le Figaro Magazine, a dressé une liste des meilleures adresses de Paris. La boutique de Gérard Mulot emporte le trophée de la meilleure tarte aux fraises de Paris. La tarte de Lisa ! Une photo de sa création culinaire figurera dans le magazine. C’est une publicité extraordinaire pour la boutique mais Lisa savoure discrètement ce succès.
Gérard Mulot lui a beaucoup appris, c’est lui-même qui l’a formée, avec attention, devinant tout de suite de rares talents et comme il aime à le dire en privé: « Elle comprend tout de suite, pas besoin de répéter deux fois.» Jamais elle ne lui a parlé de ses difficultés avec ceux qu’elle appelle les «Machos ». Les métiers qui touchent à la restauration sont des métiers difficiles pour les femmes. C’est un monde calfeutré où les ouvriers règlent leurs comptes en dehors des responsables qui préfèrent fermer les yeux sur les querelles. Le patron a ses propres soucis, on ne l’ennuie pas pour des incompatibilités de caractère. C’est la règle. On serre les dents, on se défend soi-même :
« Ils sont nombreux à penser qu’une femme ne peut les surpasser. »
Maltraitance et brimades, le lot quotidien des apprentis.
« Quand j’ai dû soutenir mon dossier pour m’inscrire à l’école Ferrandi après mon bac scientifique, on m’a demandé quelle était, à mes yeux, ma principale qualité. J’ai précisé que j’étais d’une grande ténacité. Ensuite on m’a demandé de parler de mon principal défaut. Et j’ai avoué mon mauvais caractère… A ma grande surprise, le responsable de l’entretien, le directeur de l’école en l'occurrence, m’a répondu : « Si tu m’avais dit l’inverse, que tu avais bon caractère, que tu étais douce et gentille, je t’aurais découragée de faire ce métier. C’est une voie difficile où il faut se battre en permanence, surtout les femmes ». Il ajouta : «As-tu déjà entendu parler d’un grand chef qui avait bon caractère? C’est la clé de la réussite. »
Lisa en sait quelque chose. Il lui a fallu se battre car on lui a souvent mis des bâtons dans les roues. À force de travail, rendant coup pour coup, elle a mérité son bâton de pèlerin ! Elle ne craint pas le conflit. Au contraire, on dirait que ça la dynamise et défendre une cause juste est un moteur pour elle. Douée pour la parole, elle trouve toujours l’argument qui déstabiliser son adversaire. Elle a tenu plusieurs mois chez un célèbre pâtissier connu dans le monde entier. Pourtant on lui avait dit que chez lui personne ne pouvait rester plus d’un mois. Elle a fini par craquer au bout de 6 mois mais elle a eu le temps d’apprendre et d’élargir ses compétences.
Elle ne supporte pas de voir un apprenti maltraité et ils le sont souvent et cela par d’autres ouvriers. Ceux-ci considèrent qu’ayant eux même subi des violences verbales, c’est normal « de se comporter en sadique envers les jeunes apprentis et de les harceler gratuitement ».
Elle se souvient qu’un jour les machos pour lui faire perdre le challenge lui ont fait transporter un récipient rempli de fruits, en haut du magasin, pour l’obliger à porter 25 kg inutilement. Un autre jour, l’un d’eux a enfermé le mixer en état de marche dans un placard fermé à clé, alors qu’elle travaillait de nuit et qu’elle ne pouvait pas s’en procurer un autre. Pour assurer quoiqu’il en coûte son travail elle a bricolé un mixeur défectueux qui lui a rendu quelques services certes aux prix de plusieurs heures supplémentaires, non comptabilisées bien entendu. Dans ce métier, on demande souvent aux employés de ne pas déclarer toutes les heures supplémentaires. Même chez les plus grands noms. Surtout chez les plus grands noms. Certains estiment que leurs employés doivent être fiers de travailler chez eux, et que cela leur fait un beau CV, donc pourquoi les rémunérer correctement?
La Fabrique à gâteaux référencée.
Présentes sur Facebook, suivons de près ces deux jeunes talents qui iront très loin dans la maîtrise de leur art culinaire. Et d’ores et déjà, pour les douceurs de Noël, c’est une bonne adresse à retenir !
En collaboration avec Lola Jones
De 10h à 20h30 tous les jours sauf le lundi.
Téléphone 09 83 26 68 02
La Fabrique à Gâteaux
34 rue des Vinaigriers
75010 Paris
Métro Jacques Bonsergent
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