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Eh oui, la guerre sévit, les colères grondent et les «raisins de la colère» murissent vitesse grand V, mais dans le monde émergent des libertés nouvelles et j’ai envie de vous dire que la beauté et la tendresse toujours peuvent nous bercer, avec la force et la joie, regardez cette vidéo et laissez-vous porter par la douceur d’un monde originel, le nôtre que nous prenons si peu le temps d’aimer…


 

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L'érotisme dans un journal sérieux ?

Certainement, car la sexualité fait autant tourner le monde que l'économie.

Nouvelles, grands classiques de la littérature, mais aussi reportages et web-expos, vous êtes sur le seuil de notre rubrique lubrique.

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Diabète Mag N°17

Le N°17, Vient de paraître
Chez votre Marchand de Journaux

Codif : L13013

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Prévenir, Comprendre, et Mieux vivre avec le Diabète

 

Au sommaire vous trouverez :

- Diabète : la fin d’un mythe

- Cholestérol - Diabète et les margarines

- Le Chrome limite de stockage des sucres

- Les complications du Diabète

- seul face à un infarctus

– comprendre l’anévrisme

- l’utilisation de la «metformine»

- Le matériel de sport au domicile

- Desserts allégés

- Gros dossier: Mincir de plaisir, des menus type.

- Quiches light – sauces allégées – saveurs de la mer 

- le lait végétal – les confipotes à faire

Nutrition :

-       le foie, source de fer – tout sur la moutarde

-       Fruits et légumes d’automne

-       Les vertus des baies de Goji

Un N° 17, Complet, pour une vie pleine de bonnes résolutions.

DIABETE MAGAZINE , chez votre marchand de journaux.

Inclus: Le Diabétique Gourmand, des recettes goûteuses et light.

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Hannah Arendt : penser l’événement


« La pensée voyage à la vitesse du désir »
«Un acte de violence n’a jamais de témoins. Il n’a que des participants» (Jean-Paul Sartre)
«A chaque époque, il faut s’arracher à ce qui fait conformisme de son époque» (Walter Benjamin)


01hannaharendtPour cette « passagère sur le navire du XXe siècle» Hannah Arendt (1906-1975), l’activité théorique ne peut s’affranchir de l’actualité politique. Entre passions et raison. Loin d’être une « professionnelle de la pensée », c’est au croisement de sa biographie et de la configuration du monde dont elle fut un témoin engagé que son œuvre et ses interrogations de « reporter d’idées » se déploient. « Obligée du monde », philosophe, ou plus exactement « political theorist » comme elle se plaisait parfois à rectifier, elle se propose de « penser ce que nous faisons » et en ce sens d’être un implacable journaliste-en-lutte. « Cover-girl » de la « Saturday Revew of Litterature » à 45 ans, consacrée « femme d’exception » pour « les Origines du totalitarisme » par l’université de Princeton- ce qu’elle regrettait, l’expression lui rappelant cruellement celle de « Juif d’exception »- Arendt exprimenta d’abord la difficulté d’être reconnue comme « quelqu’un » par les descendants de Socrate et d’Aristote. Ces messieurs lui chipotèrent si longtemps le titre de philosophe qu’elle-même n’en voulut plus. Quant à Heidegger, son ancien professeur et amant, « je sais qu’il n’a pas supporté que mon nom apparaisse en public, que je publie des livres, etc. », «écrit-elle à Karl Jaspers en 1961. « Toute ma vie j’ai pour ainsi dire triché avec lui, j’ai toujours fait comme si je ne savais pas compter jusqu’à trois. Et puis j’ai perdu le goût de tricher et j’ai aussitôt pris un coup sur le nez.»

Face à l’effondrement du politique, cette maladie de la modernité qui fait naître les régimes totalitaires, la question philosophique centrale pour Hannah consiste davantage à comprendre les conditions d’un « monde commun » inscrites dans un véritable dialogue de la pluralité que d’adhérer à un quelconque mouvement féministe, malgré sa conscience de l’utilité de certaines luttes pour l’émancipation.

« C’est de mon mari[3] que j’ai appris à penser politiquement et à observer les choses sous un jour historique : je n’y serai jamais parvenue toute seule, car auparavant, je n’envisageais la politique que sous l’angle de la question juive ».

Et la presse, en particulier le journalisme politique, paraît alors le moyen idéal de cultiver et de conjuguer ses deux centres d’intérêt tout en gagnant sa vie vaille que vaille avec sa plume. « Le fait de dire la vérité de fait comprend beaucoup plus que l’information quotidienne fournie par les journalistes, bien que, sans eux, nous ne nous y retrouverions jamais dans un monde en changement perpétuel, et au sens le plus littéral, nous ne saurions jamais où nous sommes.»

Dans cette « affaire médiatique » baignée entre dette, ambivalence et dépendance, il est certain qu’une telle activité journalistique n’eut rien de marginal pour celle qui cherchait à échapper à l’expression rassurante de Hegel selon laquelle « rien ne peut se produire que ce qui existait déjà [5]» ; et surtout voyait dans l’événement le centre d’attraction de la pensée : « La courbe que décrit l’activité de pensée doit rester liée à l’événement comme le cercle reste lié à son foyer »

Pratiquant un « journalisme du décentrement » qui n’a rien avoir avec celui d’un Albert Londres par exemple qui joue, lui, la carte du témoin ambassadeur et rassembleur, Arendt vise à déranger ses lecteurs plus qu’à les rassembler et ne cherche donc pas à apprivoiser l’altérité et donc à la dénaturer pour mieux nous la faire voir dans toute sa radicalité. A l’image de sa vie d’errance, elle n’exclut pas une certaine forme de nomadisme dans la pensée qui ne consiste pas seulement à aligner des concepts mais à les confronter et à les reporter dans les événements en fonction de l’actualité. Une idée présente une vérité comme un fait ou encore l’idée veut présenter certains faits comme le sens de l’histoire. Dans cette dialectique complexe et périlleuse de l’exposition de la vérité dans l’ordre de l’histoire, l’idée se situe entre l’événement et le fait, entre le hasard et la nécessité.

 

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Penser pour Hannah Arendt, c’est s’arracher à la confusion commune, singulariser notre rapport aux choses, faire surgir un sens inouï de la trivialité du déjà-vu et du partout-dit. Travail/œuvre/action ; vie/monde/pluralité ; penser/ vouloir/juger ; autorité/pouvoir/violence, autoritaire/dictatorial/totalitaire. En véritable reporter d’idées, elle procède par distinctions conceptuelles qu’elle accouple et conjugue au gré de son inspiration. Celles-ci permettent de mettre en évidence ce qui fait la teneur d’un concept, ce qui donne un sens à l’événement. Car elle tient pour acquis que « la pensée est incapable de sortir, par ses propres moyens, des conditions qu’engendre l’action même de penser. »

Sans aller cependant jusqu’à l’exigence d’un Deleuze qui veut libérer les « singularités » et pour cela chercher la différentielle, le retour du même dans la sélection et la différence.

L’exilée Hannah apprend l’anglais, s’intègre peu à peu à la société new-yorkaise, commence à écrire dans des revues et des journaux, devient lectrice chez Schocken Books, où elle fait éditer Frank Kafka et Gershom Scholem.

« Depuis que je suis arrivé en Amérique, c’est-à-dire depuis l941, je suis devenue une sorte d’écrivain en free lance, à mi chemin entre l’historien et le journalisme politique. »

De retour à New-York, après son séjour dans le Massachusetts, Hannah Arendt contacte en effet l’historien juif Salo Baron à l’université de Columbia. Il lui offre l’occasion de publier son premier article « De l’Affaire Dreyfus à la France d’aujourd’hui », dans le périodique qu’il dirige « Jewish Social Studies ». Et elle trouve du travail en novembre l941 dans le journal « Aufbau », où Hannah est engagée comme éditorialiste. Le premier article qu’elle y publie sous la rubrique « This means you » (C’est votre affaire) s’intitule « L’armée juive, le début d’une politique juive ». Elle y reprend la problématique soulevée par Kurt Blumenfeld lors d’une conférence sur la question de l’opportunité ou non pour les juifs de se doter d’une armée. Les 17 et 31 décembre l943 paraît le seul article d’Arendt en anglais dans « Aufbau », avec pour titre en forme d’interrogation « Can the Jewish Arab Question be solved?» 

Dépasser la banalité du mal

La publication remarquée des « Origines du totalitarisme », puis de « Eichmann à Jérusalem – Essai sur la banalité du mal », qui suscitera mille polémiques, lui donne une autre stature à la fois de penseur engagé et de reporter publiciste. Difficile de trouver plus grinçant, cinq ans seulement après la capitulation allemande, que sa longue analyse inaugurale de l’antisémitisme. Arendt ne s’y contente pas de rompre la chaîne, fictive selon elle, reliant les violences médiévales envers les juifs au génocide nazi, en passant par la mobilisation de la droite antidreyfusarde. Elle ne s’y contente pas de faire de l’antisémitisme moderne un phénomène inédit, purement politique, né pour l’essentiel de la crise de l’Etat-nation européen. Elle y suggère aussi que c’est la croyance en un dessein permanent de persécution qui aura contribué à forger l’idée d’une histoire unique du peuple juif et à moderniser ce « mythe de l’élection » contre lequel elle s’est toujours élevée. Déjà, le malaise surgit dans ce livre, qui fascine autant par l’originalité de ses angles de vue que par sa violence négative et par ce « ton de supériorité hautaine » que relevait déjà Raymond Aron.

Jamais de son vivant, elle ne cessa d’inspirer de la crainte aux patrons de presse et autres mandarins universitaires, dont aucun ne voulut jamais prendre le risque de la salarier. Mais, désormais célèbre bien que marginalisée, Arendt est invitée aux universités de Berkeley, Princeton, Columbia pour enseigner la philosophie et les sciences politiques, avant d’obtenir en 1963 la chaire de professeur de sciences politiques à l’université de Chicago et d’être nommée professeur de philosophie politique à la New School for Social Research de New York. A rebours d’une tradition dans laquelle cultiver l’apathie revient à servir la raison, Arendt refuse d’occuper la position du sage, à l’écart de l’histoire et de l’insensé, surplombant la mêlée des intérêts et des passions. Le primat accordé à la contemplation porte à son avis préjudice à la compréhension du monde : on ne peut guère se rendre indifférent au monde sans rendre le monde inintelligible. En ce sens, le « reporter d’idées » qui analyse, interprète, interroge, écoute, dément ou confirme, échappe à cette fatalité et il lui arrive parfois de lever quelques lièvres et de balayer les tabous. Non sans ironie et une bonne dose d’humour à l’égard des siens qu’elle n’épargne guère.

« Mon grand père, raconte-t-elle dans une interview télévisée accordée à Gunther Gaus le 25 octobre 1964, était président de la communauté libérale juive et conseiller communal à Könisgsberg. Je viens d’une vieille famille juive. Cependant le mot « juif » n’était pas utilisé quand j’étais enfant. Je l’ai rencontré la première fois en entendant les boutades antisémites – qu’il vaut mieux ne pas répéter- des enfants dans les rues. »

De surprenantes révélations émaillent aussi ce parcours retracé scrupuleusement « Dans les pas d’Hannah [9]», comme cette visite à Raoul Hilberg. C’est dans sa maison en forêt du Vermont, au milieu des écureuils, que la biographe est allée retrouver l’auteur de « la Destruction des juifs d’Europe », à l’automne 2003. Le vieil historien se souvient ici avec quelle sèche hostilité Hannah Arendt, alors lectrice dans une maison d’édition américaine, fera obstruction à la parution de cette somme de référence sur la Shoah, arguant du fait que tout a déjà été dit sur la période. Une anecdote d’autant plus dérangeante qu’Arendt n’hésitera pas ultérieurement à s’appuyer sur les pages consacrées par Hilberg à la « collaboration juive », lors de la polémique soulevée par « Eischmann à Jérusalem ».

Dans un scoop en forme de pied de nez à l’histoire, l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel » vient aussi d’annoncer qu’un éditeur d’Hannah Arendt qui, comme chacun sait, a fui l’Allemagne nazie et consacré une partie de sa vie à dénoncer ce régime - a été un haut responsable nazi. Directeur de collection chez l’éditeur allemand Piper Verlag, Hans Roessner avait pris en 1940 la direction d’un service du terrible Office central de la sécurité nationale (RSHA), la structure qui organisa la déportation de millions de juifs, affirme « Der Spiegel », s’appuyant sur les recherches de l’historien hambourgeois Michael Wildt. Il fut aussi membre des services secrets nazis en 1934, où il était chargé « d’observer » les milieux culturels et dénonça « la judaïsation de la vie spirituelle allemande ».

Le patron de la maison d’édition, Klaus Piper, engagea Rossner en 1958. Mais Arendt n’a jamais rien su du passé de son éditeur. Elle-même juive, elle avait dû s’exiler en 1933 en France, puis aux Etats-Unis. Déchue de sa citoyenneté allemande en 1937, Hannah, comme les autres « étrangers ennemis », est retenue une semaine au Vélodrome d’Hiver, avant d’être internée au camp de Gurs dans les Pyrénées orientales, d’où elle parvient à s’évader. Dès la proclamation du statut des juifs en octobre 1940, son époux et elle entament des démarches en vue d’obtenir des visas pour les Etats-Unis. L’attente, à Lisbonne, dure trois mois. Les Blücher arrivent à New York en mai 1941. La vie, sans argent, fut très difficile dans les deux petites chambres du 317 de West 95 Street.

Selon Michael Wildt, Roessner tenta par deux fois au moins de faire modifier les manuscrits de la philosophe, à laquelle il adressait par ailleurs un élogieux courrier sur ses travaux. Il voulut d’abord ne pas faire figurer, dans le sous-titre d’un ouvrage consacré à l’auteure allemande des Lumières, Rahel Varnhagen, son origine juive. Mais aussi supprimer certains passages de l’ouvrage d’Arendt sur le procès à Jérusalem du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann.  

« Beaucoup d’angles morts, décidément, chaque fois que l’on touche au rapport de Hannah Arendt à son peuple. Ce peuple juif qu’elle ne voulut jamais servir, mais seulement accompagner dans son mouvement, quitte à devenir souvent le plus implacable de ses juges.»

Refusant le confortable retrait dans la pure sphère théorique qui n’intéresse souvent que les « pairs » et autres universitaires, Hannah Arendt compose et tisse une oeuvre entrelacée aux événements contemporains afin de mieux les penser et les reporter dans l’opinion. De la résistance au nazisme à la guerre du Vietnam, Hannah Arendt, si lumineuse dans son énonciation et complexe dans sa réflexion, nous offre une pensée de gauche intelligente, qui ne se tient pas quitte du monde une fois qu’elle a annoncé son catéchisme antilibéral. C’est la trajectoire d’une intellectuelle libre, la « penseuse d’un aujourd’hui chaotique » capable de « diagnostiquer les causes du mal qui gangrène nos sociétés, d’allier « la volonté de croire en une loi morale partagée par tous et l’interrogation sur la fragilité des affaires humaines ». C’est l’existence d’une femme loyale et forte, une « femme déchirée » aussi, « contrainte tout au long de sa vie, de chercher sa place, tant intellectuelle que physique, entre la langue allemande et la culture juive, entre son amour adultérin pour Martin Heidegger et sa vie d’épouse avec Henrich Blücher, entre sa passion pour la philosophie et son goût pour la politique, entre la vita contemplativa et la vita activa .» Cette volonté délibéré chez elle d’être en prise avec son époque n’est pas l’indice d’une démission de la pensée, mais bien d’une responsabilité de celle-ci dans le monde, non pas le signe de sa soumission à l’ordre de l’accident, mais celui de l’exigence qui l’anime : penser l’événement.

« Cette prise en compte de l’événement permet à Arendt de lutter sur deux fronts, contre deux modes de pensée dont elle dénonce l’influence ruineuse, note son traducteur coordinateur, Claude Habib : d’une part, les conceptions de l’histoire dérivées de l’hégélianisme, d’autre part la « science » politique américaine où s’illustrent les « spécialistes de la solutions des problèmes ». Que ce soit sous la forme du marxisme ou plus généralement du progressisme, la première catégorie concerne la pensée de « gauche ». La seconde vise tous ces experts modernes, entraînés par leur foi dans les modèles qu’ils construisent, dont les avis conduiront à des politiques irréalistes et monstrueuses dont la guerre du Vietnam forme un exemple frappant ». Calculs et courbes n’intègrent jamais que « des automatismes et des processus du présent », ils parent des prestiges d’une pseudo-science des spéculations décrochées de la réalité. Tout aussi fallacieux et tout aussi risqué lui semble le confort de pensée dont se bercent les progressistes : « Rien ne peut intervenir que les conséquences « nécessaires » de tout ce qui nous est connu. N’est-il pas infiniment rassurant de savoir, selon l’expression de Hegel, que « rien ne peut se produire que ce qui existait déjà[15] ? » Cette moderne réévaluation de l’événement chez notre « reporter d’idées » - qui ne se veut pas sage stoïcien et encore moins indifférente à l’actualité avec laquelle elle ressent comme une dette - est avant tout le fait d’une sensibilité politique qui donne libre accès et fait pleinement droit aux émotions humaines, aux affects pour mieux être en phase avec les bruits du monde et penser l’évènement.

«L’absence d’émotion n’est pas à l’origine de la rationalité et ne peut la renforcer. (...) Ce qui s’oppose à l’« émotionnel », ce n’est en aucune façon le « rationnel » quel que soit le sens du terme, mais bien l’insensibilité qui est fréquemment un phénomène pathologique, ou encore la sentimentalité qui représente une perversion du sentiment. »

Comment peut-on vraiment « reporter » l’idée dans l’espace public… Sans prendre en compte l’ambivalence de l’information qui sert à la fois d’acolyte et d’ennemi à l’événement ? L’information se dévalorise en effet avec le temps, l’événement se valorise avec lui. Par exemple, écrit Hannah Arendt, « ce que nous ne parvenons pas à comprendre, semble-t-il- dans les pays occidentaux en général et aux Etats-Unis en particulier – c’est l’énorme puissance inhérente à la misère une fois que ce malheur apparaît au grand jour et fait entendre sa voix en public. Cela s’est produit pour la première fois avec la Révolution française et n’a cessé de se reproduire depuis. »

La quadrature du cercle de la guerre froide

Si chaque moment philosophique se referme, certes, avec ses limites et ses oublis, dans l’espace (oubliant ce qui se fait ailleurs) et dans le temps, il s’ouvre aussi par ses déplacements et ses reprises. Le « tout est possible » des régimes totalitaires ayant confirmé le « tout est permis » des philosophes nihilistes, Hannah Arendt se félicitait dans un article de l954 du regain d’« intérêt pour la politique dans la pensée philosophique européenne récente », première étape sur la voie du souci, du soin à apporter au monde.

En effet, selon elle, activité théorique et actualité politique vont de pair et fonctionnent en totale synergie. Car, non seulement, la théorie ne déroge pas lorsqu’elle s’y voue, mais elle se fourvoierait à vouloir s’en abstraire pour se développer dans une pleine autonomie. Et la théorie ne peut aspirer à cet idéal illusoire de l’autonomie sans dénier du même coup toute inventivité historique aux sociétés humaines. Or, l’histoire fait surgir des formes inédites, ce fut le cas notamment des révolutions du XVIIIe siècle, ou des totalitarismes au XXe siècles, deux types de phénomènes que les catégories de la pensée politique classique ne permettent pas d’appréhender, mais avec lesquels nous devons vivre.

Dans un texte de 1962 intitulé « Guerre froide et Occident », Arendt évoque la possibilité que le jeu meurtrier des « si » et des « quand » devienne soudain bien réel dans un tel contexte et qu’il ne soit pas inconcevable qu’un jour l’hypothèse d’une victoire et l’hypothèse d’une défaite viennent conclure une guerre qui n’aura jamais réellement éclaté. L’histoire est un maître bégayant qui ne nous enseigne rien et nous laisse démunis face à n’importe quel fait particulier.

« Rien ne ressemble autant à la démonstration de la quadrature du cercle que la recherche d’arguments permettant de trancher entre des propositions comme « plutôt mort que rouge » et « plutôt rouge que mort ». Car ceux qui affirment « plutôt mort que rouge » oublient qu’il y a une différence considérable entre le fait de risquer sa vie pour la sauvegarde et la liberté de son pays ainsi que pour la postérité, et celui de risquer l’existence même de l’espèce humaine pour les mêmes motifs. En outre, la formule comme telle renvoie à l’Antiquité, où elle se fondait sur la croyance que les esclaves ne sont pas des hommes, et que perdre sa liberté revient à changer de nature et, si l’on peut dire, à perdre son humanité. Je pense que nul d’entre nous ne peut adopter ce point de vue, et les libéraux qui essayent aujourd’hui de se servir de cette formule moins que tout autre. Mais cela ne veut pas dire que l’avis contraire soit mieux fondé. Quand une ancienne vérité cesse d’être applicable, elle ne devient pas plus vraie d’être mise la tête en bas. Devant les réalités auxquelles nous sommes confrontés, le slogan « plutôt rouge que mort » ne peut que vouloir dire qu’on accepte de signer sa propre sentence de mort avant même qu’elle ait été prononcée. Tant que le débat sur la guerre se limitera au cercle qu’implique cette alternative absurde, les deux parties ne s’exprimeront presque jamais sans arrière-pensée ».

De manière radicale, l’irruption du nouveau, à quoi l’événement nous confronte, plonge dans l’action humaine, pour autant qu’elle se distingue d’un pur comportement ou du simple effort de conservation : « Du point de vue de la philosophie, l’action constitue la réponse de l’homme au fait d’être né. Nouveaux venus dans le monde et débutants dans le monde du fait de cette naissance, nous sommes porteurs d’un élément de renouveau [21]». Parce que l’actualité est le milieu de l’action des hommes, elle est le lieu d’émergence de nouvelles questions politiques qui déconcertent les repères offerts par la tradition de la pensée politique sans pour autant les frapper de discrédit, et qui appellent à l’effort de penser.

Spectateur/acteur. Lorsqu’elle rédige ses articles, Arendt ne cherche pas seulement à informer mais aussi et surtout à agir. Avec un double écueil : perméables aux temps, ils ne sont pas séparés de l’oeuvre par une cloison étanche. Cette cohabitation entre information et action, theoria et praxis, ne fait pas toujours bon ménage et explique, sans doute, les légères distorsions d’autant plus apparentes, souligne son traducteur Claude Habib, que l’objectif politique visé est précis.

« C’est le cas dans un article, le premier en date, qui appelle à la formation d’une armée juive pour combattre l’Allemagne nazie. Arendt se fait écho d’une rumeur en écrivant que « l’évêque de Paris se promène avec l’étoile juive ». Cette erreur est sans doute imputable aux lacunes de l’information pendant la guerre – l’article est paru en 1942 -, mais elle sert très directement le propos que défend Arendt. Dans un autre article publié avant la fin du conflit, « Approches du « problème allemand » », Arendt tranche sans doute un peu rapidement lorsqu’elle affirme que les nationalismes n’ont joué aucun rôle dans les mouvements de résistance européens. Là encore, on peut arguer des carences de l’information ; mais là encore l’affirmation contestable joue un rôle important au service des options pratiques qu’elle défend, puisque », s’opposant aux tenants d’une politique revancharde à l’égard de l’Allemagne, elle plaide, dès l945, pour la formation d’une fédération européenne.»

Non sans emportement, parfois, Hannah Arendt écrit toujours animée d’un effort d’authenticité personnelle et d’exigence de la vérité, malgré ces quelques dérives dans le feu de l’argumentation où Hannah fait flèche de tout bois. Par exemple, en 1954, lorsqu’elle polémique dans un article « Little Rock » à propos du scandale de ce lycée « blanc » de Little Rock, dans l’Arkansas, qui refusait d’accueillir des élèves noirs, alors que la loi américaine venait de rendre obligatoire la mixité dans les lieux publics. On sait que Hannah Arendt fut aussitôt attaquée par les « libéraux », alors qu’elle ne réclamait au fond que le respect de la loi républicaine. Ou encore dans son texte toujours d’actualité « Retour à l’envoyeur » dans lequel Arendt dénonce et fustige la perversion que représente à ses yeux la conception de la politique comme « politique spectacle » qui croit pouvoir s’affranchir du réel.

« Aussi, l’attention à ce qui se dessine dans le courant de l’actualité est-elle pour Arendt tout le contraire d’une diversion à son propos théorique, et les textes qui s’y rapportent, bien plus que des « marginalia » à l’oeuvre (...) Les sujets d’actualité sur lesquels Arendt est intervenue se répartissent clairement en trois domaines : la question allemande, les problèmes du sionisme et de l’Etat d’Israël, la politique américaine. On reconnaît la parenté de ces trois sujets avec les questions qui dominent son oeuvre : le totalitarisme, la question juive, la démocratie moderne. On peut ajouter que ces thèmes d’intervention recoupent les trois identités qu’Arendt a assumées dans le cours de sa vie : Allemande, Juive et citoyenne américaine. Non qu’il faille rabattre l’engagement politique sur des données biographiques. Mais cette corrélation permet de souligner le lien entre la compréhension politique et la compréhension de soi-même, thème qui n’est pas étranger au propos d’Arendt[23]. »

Cette osmose entre connaissance politique et connaissance de soi est, par exemple, décisive lorsqu’elle souligne que la résistance du nazisme en Allemagne ne fut pas l’apanage des intellectuels, pas plus que de ceux qui cultivaient des valeurs. En réalité, résistèrent au « nouvel ordre » les gens les plus divers, qui n’avaient rien en commun, ni la classe sociale, ni le métier, ni la même catégorie d’âge ; mais, note Arendt, chacun d’eux avait en partage « l’habitude de vivre avec soi-même sur un mode explicite ».

Dans son texte « Après le nazisme, les conséquences de la domination», le plus saisissant est sans doute le portrait sans concession qu’elle fait des Allemands, dénonçant chez la plupart d’entre eux une inconscience qui confine à l’hébétude, une ignorance brutale de l’histoire et des faits. Elle est plus féroce encore dans les lettres qu’elle envoie d’Allemagne à son mari : « Les Allemands vivent à travers le mensonge quotidien et la bêtise».

« Hutzpath Hannah » la culottée et Eichmann, le faux kantien

On peut imaginer le choc émotionnel et intellectuel qu’Arendt reçoit lorsqu’elle revient pour la première fois en Allemagne, retrouve ses amis, compte ceux qui ne sont plus là, commente le journaliste/philosophe Robert Maggiori. Elle reprend de vive voix son dialogue ininterrompu avec son ami et directeur de thèse Karl Jaspers, dont l’amitié est pour elle, dit Laure Adler, « un habitacle de survie ». Alors qu’elle n’a jamais pardonné à l’auteur d’« Etre et Temps » sa lâcheté à l’égard d’Husserl, son maître et encore moins sa défense embrouillée d’après-guerre (« rien que des mensonges, avec une teinte nettement pathologique »), elle retrouve à Fribourg Heidegger dont elle se sent comme « captive » et qu’elle admire toujours. Ambivalente « Hutzpah Hannah », c’est-à-dire Hannah la culottée, ainsi que la surnommait affectueusement Hans Jonas, un de ses proches, très affecté par la lecture d’« Eichmann à Jérusalem. » A se plonger dans ce texte, de loin le plus controversé d’Arendt, le trouble reste intact devant la liberté absolue du regard porté par « Hutzpath Hannh » sur ce bourreau clownesque, qui n’hésite pas à invoquer l’impératif catégorique de Kant devant ses juges. Sur ce Ponce Pilate piteux qui se souviendra publiquement qu’à la conférence de Wannsee, où se décida en l 942, la solution finale, l’atmosphère était « très détendue » (sic).

« C’est alors qu’à la stupéfaction générale, Eichmann produisit une définition approximative mais correcte de l’impératif catégorique : « Je voulais dire, à propos de Kant, que le principe de ma volonté doit toujours être tel qu’il puisse devenir le principe de lois générales » (...) Interrogé plus longuement, il ajouta qu’il avait lu « La Critique de la Raison pratique » de Kant. Il se mit ensuite à expliquer qu’à partir du moment où il avait été chargé de mettre en oeuvre la Solution finale, il avait cessé de vivre selon les principes de Kant ; qu’il le savait, et qu’il s’était consolé en pensant qu’il n’était plus « maître de ses actes », qu’il ne pouvait « rien changer ».(...) Mais il est vrai que la déformation inconsciente d’Eichmann correspond à ce qu’il nommait lui-même une adaptation de Kant « à l’usage domestique du petit homme ». Dans un tel usage domestique, tout ce qui reste de l’esprit kantien est l’exigence qu’un homme doit faire plus qu’obéir à la loi, qu’il doit aller au-delà du simple impératif d’obéissance et identifier sa propre volonté au principe qui sous-tend la loi – la source qu’où jaillit la loi. Dans la philosophie de Kant, cette source était la raison pratique ; dans l’usage domestique qu’en faisait Eichmann, c’était la volonté du Führer[28]. »

Par touches successives, on plonge ainsi dans l’étonnant portrait qu’elle donne Eischmann : moins menteur que mensonger, un terne fonctionnaire fort médiocre qui n’était même pas sadique et frise souvent le ridicule. L’inconsistance du personnage imprime un nouveau tour à la réflexion du reporter d’idées : ce n’est plus la radicalité, mais « la banalité du mal » qui devient le centre de ses pensées. Son regard «décentreur» se veut inquisiteur et dérangeant pour le « nous », pour le public qui est débordé par son propre spectacle. « Pas seulement une pomme de discorde grâce à laquelle, pour finir, la communauté se reconstruit, mais une altérité propre à dissoudre le nous ».

Dans « Le « cas Eichmann » et les Allemands », Arendt réitère ses accusations contre la résignation du peuple allemand à vivre avec les assassins, ce qui l’incite à douter de la sincérité des déclarations des non-coupables. Paradoxe : le «décentreur» doit inoculer à « nous » l’expérience de ce qui rompt avec nous (ici en l’occurrence le peuple allemand), mais ceci ne peut advenir que si tout lien n’est pas coupé avec le « nous». C’est pourquoi Arendt, la décentreuse à l’aise dans le conflit, se défend bec et ongles que son livre contienne une thèse, encore moins des opinions, et cherche à se retrancher derrière les faits du dossier Eichmann qu’on ne doit pas travestir en théories dans le feu de la polémique. Elle se moque notamment de la prétention sioniste du « spécialiste de la question juive » contrairement à ce que suggèrent ses détracteurs avec plus ou moins de bonne foi.

 « C’est un compte-rendu qui se borne à exposer tous les faits dont il a été question au cours du procès de Jérusalem (...) Malheureusement, la controverse suscitée par ce livre tourne en grande partie autour de faits et non pas autour de thèses et d’opinions – autour de faits que l’on a travestis en théories afin de leur ôter leur caractère de faits. La personne de l’accusé occupe le centre du livre et celui du procès[31] »

Le procès est l’occasion pour Arendt de revenir sur la question de la culpabilité et « a permis de mettre au jour l’effondrement moral qui a affecté dans sa totalité le coeur de l’Europe, dans toute son effroyable réalité factuelle. On peut échapper à cette réalité de plusieurs manières très différentes : soit en la niant, soit, de manière réactive, en faisant des aveux de culpabilité pathétiques qui n’engagent à rien et où tout ce qui est spécifique est détruit ; on peut y échapper également en invoquant une responsabilité collective du peuple allemand, ou bien encore en affirmant que ce qui s’est passé à Auschwitz ne serait que la conséquence de la haine immémoriale du Juif[32]. »

 L’originalité de sa position est frappante, surtout si on la rapproche de celle de Jaspers. Celui-ci distinguait, parmi d’autres catégories, la culpabilité criminelle, qui porte sur des actes effectivement commis et qui relève des tribunaux, et la culpabilité morale qui porte non sur des actes, mais sur l’absence d’acte, sur le fait d’avoir laissé faire, et que, selon lui, chaque Allemand a le devoir de juger en son for intérieur.

Le compte-rendu d’Arendt du procès à Jérusalem montre comment cette distinction est apparente et non opératoire. La question de la culpabilité criminelle doit être reposée à nouveau à l’aune du cas Eichmann qui est un « défi moral et juridique ». La notion de banalité du mal qui hante le livre n’a pas été toujours bien comprise. Le jugement de crimes inédits exige une réflexion juridique nouvelle, comme en témoigne la discussion sur la notion de « crimes contre l’humanité », et ne peut faire l’économie d’une compréhension politique du totalitarisme.

« Il est rare qu’Arendt évoque l’impuissance politique de manière neutre, comme s’il s’agissait d’une pure donnée de fait. Comment prendre acte d’une absence d’acte ? », remarque Claude Habib. S’il est difficile, autant que nécessaire d’en tenir compte après coup, dans le présent de l’actualité, le problème est encore plus lourd. Il n’est pas question, bien sûr, de faire un amalgame entre l’impuissance politique des Allemands au lendemain de la guerre et l’impuissance de ceux que le régime nazi avait réduit au silence et à l’inaction. Arendt, on le sait, refuse avec la dernière énergie cette fausse symétrie des malheurs qui conduit à placer sur le même plan les victimes du nazisme et les vaincus de la guerre.

Mais sans nul doute, une forme d’impuissance politique caractérise l’Allemagne qu’elle retrouve après guerre, or c’est à peine si elle le mentionne dans la conclusion du reportage qui suit son premier voyage. L’impuissance, et son corollaire psychologique, le désespoir, posent en effet un problème particulier : ce sont des états qui peuvent exister, mais qui ne peuvent s’exprimer, car leur formulation risque de changer le fait en indignité. Comment en parler sans faire le jeu de l’impuissance, sans la renforcer et lui donner droit de cité ?

Liberté absolue du regard nomade

Volontiers abrupt, alarmiste et parfois de parti-pris, le reportage d’idées à la mode arendtienne prouve qu’un espace d’intervention et de controverse est toujours possible pourvu qu’on garde le goût de s’adresser à des êtres libres. Elle croit que la réalité est malléable, et que par la politique, les hommes peuvent donner forme à l’idée qu’ils se font de leur pouvoir. Mais là où les extrémistes ne font que démontrer que le pouvoir de la violence, Hannah Arendt affirme la valeur et la force de l’utopie, au sens le plus généreux du terme. « Il y a peu d’illusions à se faire sur l’issue d’une guerre totale entre Arabes et Juifs. On peut gagner de nombreuses batailles sans gagner la guerre.»

Alors que les publications se succèdent, on aurait tort de croire aujourd’hui à l’affaiblissement de son oeuvre. Fléau des bien-pensants d’hier, Arendt le demeure face à ceux d’aujourd’hui en assumant son évolution de penseur libre face aux thèses sionistes[35] notamment. Bien qu’elle ait collaboré de nombreuses années au sein d’une organisation sioniste lors de son séjour à Paris, Hannah Arendt évolua progressivement au sujet d’Israël, et exprima son opposition constante à tout enfermement nationaliste. Elle était favorable à un État fédéral mixte judéo-arabe. C’est au mois de juin 1950 que Arendt commence la rédaction du premier des vingt huit Cahiers qui, ajoutés au Cahier sur Kant, composent son « Journal de pensées[36] », véritable laboratoire de sa philosophie, qui vient de paraître en français à l’occasion du trentième anniversaire de sa mort. A cette époque, elle n’est pas encore citoyenne américaine[37], n’a encore publié, outre quelques articles, que sa thèse sur Saint Augustin, et n’est évidemment pas un personnage public. Dans ces deux volumes copieux[38] à la lecture assez difficile, on suit à la trace le penser-qui-se fait qui n’a rien à voir avec le prêt-à-penser et les pensées toutes faites. Ce « journal » d’Arendt est le « témoin d’un engendrement », « les exercices matinaux de la pensée vive et de la révision des savoirs », écrivent Alain Badiou et Barbara Cassin dans leur préface à quatre mains. Il y a en effet urgence de repenser un salut politique possible après l’apocalypse de l’idée de progrès. L’impératif de résister au nivellement planétaire dont elle pressent la progression accélérée. Dans cette lutte féroce engagée contre l’esprit, les citations de la grande tradition lui servent d’armes de poing et jalonnent son «reportage d’idées». La pensée pourtant ne saurait se concevoir indépendamment de toute volonté de communication, car si l’activité mentale suppose bien le retrait hors du monde des phénomènes, elle n’est pas pour autant orientée vers l’intérieur du moi. Dans la mesure où l’apparaître du monde structure à la fois la pensée et le jugement, seule l’opinion pourra vaincre la violence. Mais la politique de l’opinion ne saurait être une antidote possible aux calculs politiciens que si elle rassemble la perspicacité jugeante (phronêsis) des spectateurs racontant et partageant « ce qui arrive ». « C’est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c’est-à-dire penser. Par conséquent Aristote a tort : l’ami n’est pas « un autre moi », c’est le moi qui est un autre ami. »

Tout en évitant « délibérément » de poser la question « Pourquoi pense-t-on ? » pour aborder « Qu’est-ce qui nous fait penser ? », Hannah oblige la pensée à s’arrêter pour penser l’imprévu, le paradoxe, l’impensé, voire même l’impensable... tout en accordant la part belle à Platon, Cicéron, Saint Augustin, Montesquieu, Kant, Hegel, Nietzsche, Marx, etc. Et en prenant ainsi ses distances avec son maître et ex-amant Heidegger et en se rapprochant de son maître et ami Jaspers, elle confie n’avoir pu trouver de remède à sa mélancolie mortifère que dans l’activité de penser. Mois après mois, on assiste dans ce journal, véritable reportage sur sa pensée en devenir, à la gestation de son oeuvre maîtresse, « La condition de l’homme moderne », publiée en l958. Si le rapport troublé d’Arendt à sa judéité est là en filigrane à chaque page, elle incarne surtout la figure et le style du journaliste critique à la frontière des mots et des choses.

« Ici, écrit le journaliste Robert Maggiori, on voit véritablement Arendt à « l’oeuvre », en train d’œuvrer, coller des idées, les détacher, les limer pour qu’elles s’adaptent, les écarter, les rapprocher des textes, les citations, les auteurs pour qu’ils se parlent, mêler le grec, le latin, l’anglais, l’allemand, le français parfois, pour faire accoucher quelque chose de nouveau d’une langue philosophique hybride. Les spécialistes s’escrimeront certainement à établir des correspondances entre ce qui se trouve dans cette chambre d’expérimentation et ce qui apparaît dans l’oeuvre publiée. Mais l’opération n’est guère nécessaire. Le Journal n’a besoin de rien pour être lu, sauf peut-être la passion pour la philosophie. » La passion au bout du compte sans cesse recommencée de penser l’événement, de juger et de reporter l’idée sans oublier l’obsession du concret et de l’actualité dans la droite ligne du journalisme en lutte prôné par Marx, Kraus, Tucholsky et qui débouche sur un nouvel idéal du reportage d’idées. Car pour Arendt « vivre s’enracine dans la félicité (c’est son terme) de penser et de juger».

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[1] Malcom de Chazal « Sens plastique », Préf. Jean Paulhan, Paris, Gallimard 1948, réed. 1985 p. 98. C’est un poète, écrivain, paintre mauricien.

[2] Dixit son amie biographe Hans Jonas.

[3] Ndlr : son second mari, Heinrich Blücher, communiste berlinois, antisioniste virulent, refugié sans papiers, etc.

[4] Hannah Arendt « Vérité et politique », la crise de la culture. Paris, Gallimard, 1972, p. 147.

[5] Hannah Arendt, « Du mensonge à la violence », Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 118.

[6] Hannah Arendt, « Action and the Pursuit of Happiness », in Politishe Ordnung and Menschliche Existenz : Festgabe für Eric Voeglin, Munich, Beck, p. 2.

[7] Hannah Arendt « Conditions de l’homme moderne » début chap. V L’action, Paris, Calmann-Lévy, 1961 et 1983.

[8] Nota : un grand nombre d’articles publiés par Arendt dans « Aufbau » entre l941 et 1966 ont été rassemblés dans « Auschwitz et Jérusalem», Paris, Tierce, 1989.

[9] Laure Adler, «Sur les pas de Hannah Arendt», Paris, Gallimard, 2005.

[10] 26 juillet 2005.

[11] Rahel Varnhagen : «La vie d’une juive allemande à l’époque du romantisme», Paris,Tierce, 1986.

[12] Aude Lancelin « « Arendt l’incorrecte », Le Nouvel Observateur N° 2134, du 29 sept. Au 5 octobre 2005, p. 106.

[13] Quand la petite Hanna, alors adolescente, eut des doutes religieux, elle alla voir le rabbin de la famille Arendt et lui avoua qu’elle ne croyait plus en Dieu. Le rabbin eut une réponse magnifique : « Mais qui te le demande ?».

[14] Hannah Arendt Introduction de Claude Habib, « Penser l’événement », Paris, Belin, 1989, p. 7.

[15] Hannah Arendt, « Du mensonge à la violence », Paris, Calmann-Lévy, 1972, p. 140.

[16] Ibid., p. 174.

[17] Hannah Arendt, « Penser l’événement », Paris, Belin 1989, p. 206.

[18] Hannah Arendt « L’intérêt pour la politique dans la pensée européenne d’aujourd’hui », in Philosophie de l’existence et autres essais, Paris, Payot & Rivages, 2000, pp. 221-246.

[19] Ndlr : au sens américain du terme.

[20] Hannah Arendt, « Penser l’événement », op. cité, p. 199-200.

[21] Ibid, p. 193.

[22] Ibid., p. 11.

[23] Claude Habib, introduction, Hannah Arendt, op. cité, pp. 9-10.

[24] « Responsabilité personnelle et régime dictatorial » in Hannah Arendt « Penser l’événement » op. cité, p. 102.

[25] « The Aftermath of Nazi Rule, Commentary », 10 oct. 1950.

[26] Lettre à Blücher du 14 déc. 1949, cité dans Wolfgang Heuer « Hannah Arendt », Rowohlt, 1987.

[27] Robert Maggiori « Hannah Arendt, une vie de l’esprit », Libération, 8 septembre 2005.

[28] Hannah Arendt « Les origines du Totalitarisme. Eichmann à Jérusalem », Paris, Quarto Gallimard, 2002, p. 1150.

[29] Géraldine Muhlmann « Une histoire politique du journalisme XIXe-XXe siècle », Paris, PUF, 2004, p. 29-30.

[30] Ibid., p. 31.

[31] Hannah Arendt « Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem », Gallimard, Paris, 2002, p. 1410.

[32] Ibid., pp. 1410-1411.

[33] Ibid., p. 19.

[34] Ibid., p. 147.

[35] Diffusé récemment sur Planète TV, le documentaire «Cinquante ans de terrorisme international» revient sur l’histoire du terrorisme israélien du début du XXe siècle jusqu’à la création de l’Etat d’Israël en 1948, c’est-à-dire au temps du mandat britannique en Palestine. Il rappelle le radicalisme de certains mouvements armés révisionnistes juifs, celui de la bande du banquier Abraham Stern et celui de l’Irgoun, qui privilégiaient l’action directe.

[36] Paris, Seuil, 2005.

[37] Hannah Arendt sera naturalisée en l951.

[38] Vol. I juin 1950-février 1954, 647 pages, Vol. II mars 1954-1973, 679 pages.

[39] Hannah Arendt Cahier XXV, juillet 1968, vol. 2, p. 94.

[40] Julia Kristeva «Hannah Arendt ou la refondation comme survie». Discours de réception du Prix Hannah Arendt pour la pensée politique, 16 décembre 2006. Reproduit dans la revue L’Infini N°98, printemps 2007, Paris, Gallimard, p. 59 : «Une tension permanente traverse, on l’a beaucoup dit, toutes les avancées arendtiennes dans ce démantèlement de la métaphysqiue héritée de Heidegger, qu’elle poursuit à sa manière.»

[41] Robert Maggiori « Arendt, une vie de l’esprit », Libération, 8 septembre 2005.

 

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