Pour nananews.fr : Y. Benini

"LE BAL DES CHÂTAIGNES"

Le 31 octobre 1501, grande fête en l'honneur de Lucrèce BORGIA au Vatican.

C'est un cadeau de son frère César, progéniture comme elle du maître des lieux : Le Pape Alexandre VI.

Lucrèce n'a que 21 ans et l'on célèbre l'annonce de son troisième mariage. Le premier fut annulé par son père le Pape Alexandre VI, le mari ne lui convenant plus.

Le second cessa faute de partenaire, César ayant poignardé lui-même l'époux de sa soeur.

Rien n'est trop beau pour la fille légitime du Pape et la fête est somptueuse. Le père Alexandre VI trône, une coupe de vin à la main. A sa droite sa fille Lucrèce, une des femmes les plus belles de la péninsule, couverte de bijoux et d'or, regarde avec amusement l'assistance. A la gauche du Pape, son fils César, prince sanguinaire, contemple les ducs, contes, évêques, ambassadeurs qui se vautrent à ses pieds.

A cet instant cette famille Borgia, de basse noblesse, originaire d'Espagne, est au fait de sa gloire et de sa puissance.

Vers minuit César se lève et tape dans ses mains. A l'instant même une cinquantaine de courtisanes se dévêtissent tandis que serviteurs parsèment la salle de bougies, puis eux-mêmes se déshabillent. De nouveaux claquements de mains de César et de toutes parts on lance des châtaignes vers le centre de l'assemblée. A quatre pattes et complètement nues les filles de joie se ruent sur les fruits, esquivant les flammes des bougies mais poursuivies par les valets, bien décidés qu'ils sont, à pratiquer ce que l'on fait habituellement dans la plus stricte intimité.

Le jeu dure près de deux heures, César s'amuse beaucoup, Alexandre VI aussi, ils récompensent les plus vaillants, Lucrèce se contente de regarder en souriant. Le vin coule à flot, la nourriture est abondante, les musiciens entretiennent le fond musical... Orgies, débauche et luxure sont les quotidiens des Borgia.

Lucrèce pense à son futur mari qu'elle ne connaît pas encore, ou à son second mari qui fût le seul véritable amour de sa vie, dira t-elle dans ses moments calme. Devant toute cette débauche, elle se demande si rien ne sera beau dans sa vie ?

"Tout cela" à commencé une vingtaine d'années auparavant.

Une naissance douteuse

1480, Giorgio Della Croce, citoyen Romain, rentre chez lui. Sa femme Vannoza Catansi est alitée, elle vient de donner la vie à une petite fille. Indifférent, Giorgio reste dans un coin de la chambre tandis que des dames étrangères à la maison s'occupent du bébé avec attention. IL sait qu'il n'est pas le père de l'enfant.

Le vrai géniteur vient d'entrer dans la pièce, à son passage tous s'agenouillent. Il est vêtu d'une robe rouge, à tous il présente sa main baguée, la bague des cardinaux. C'est lui le père, le Cardinal BORGIA, archevêque de Valence, de Porto, de Carthage, vice Chancelier du Saint siège et futur Pape. BORGIA passe devant Giorgio, regarde à peine sa maîtresse Vannozza, se penche au dessus du berceau de sa fille, la prend dans ses bras et lance à l'assemblée attentive : "ma fille se nommera Lucrèce".

Une figure historique vient de naître

Lucrèce est aujourd'hui encore un mythe. Symbole de la féminité, mais aussi de perversité.

L'histoire de cette femme va se confondre avec celle de l'Italie datant de quarante ans. Car Lucrèce est une Borgia, dont le but est de s'emparer du pouvoir de tous ces petits états qui forment l'Italie d'alors. Lucrèce est donc une "bâtarde" de Cardinal. Certes, mais l'on chercherait en vain les hauts dignitaires de l'église à Rome dont la chasteté serait intact. Les maîtresses des prélats sont reconnues comme telles et les enfants sont légitimes. D'ailleurs Lucrèce vivra toute son enfance avec d'autres enfants bâtards de cardinaux et même ceux de Pape Innocent VIII. C'est donc monnaie courante.

Et n'allez surtout pas imaginer qu'on cache la chose. Fille de prince Lucrèce aura droit à tous les égards de son rang. A l'age de 7 ans, le mari "officiel" de sa mère meurt. Le Pape, son amant se charge de lui en trouver un autre.

Fiancée à 12 ans

On charge Adriana Orsini de l'éducation de la petite Lucrèce. Comme toutes les filles de prince on lui cherche très vite un bon parti.

D'ailleurs les demandes ne manquent pas. Ce n'est un secret pour personne, la famille Borgia a un grand avenir et vaut mieux être de leur coté que de celui de leurs ennemis. C'est le Pape lui-même qui s'occupe des fiançailles de sa fille. Il retient tout d'abord la proposition d'un noble Espagnol à qui il fait promesse formelle, mais ensuite trouve meilleur parti et lie une nouvelle fois sa fille, (qui a deux fiancés officiels).

La mort du Pape Innocent VIII simplifie la situation. Le second prétendant Jean Sforza, appartient à la famille du cardinal. Rodrigue Alexandre Borgia veut se faire élire pape et il a besoin de leurs voix. On promet donc aux Sforza, la fille du futur Pape. Les choses se passent comme prévues et Rodrigue devient :

Alexandre VI, chef suprême de l'église Chrétienne encore unifiée à cette date, mais aussi chef de l'un des états les plus puissants et les plus riches d'Europe

Un des premiers gestes du nouveau pape est de rompre les fiançailles avec le premier prétendant Espagnol, qui est dédommagé, et de signer l'acte de mariage avec Jean Sforza.

Nous sommes le 02 février 1493, Lucrèce n'a pas encore 13 ans.

Son père lui donne une demeure : le Palais de Santa Maria in Porticu en face du palais de l'inquisition. Lucrèce y emménage avec Adriana Orsini et la belle fille de celle-ci Giullia qui est aussi la seconde maîtresse du pape et qui deviendra aussi la confidente de Lucrèce.

Trois mariages pour Lucrèce

Le 12 juin on célèbre le premier mariage, La ville est en fête, toute la nuit on danse, l'on boit, l'on mange. Les restes sont jetés des fenêtres au peuple. Lucrèce dans sa robe couverte de pierreries les plus précieuses s'ennuie déjà.

Le matin, alors que la fête n'est pas finie, Alexandre VI raccompagne les jeunes époux dans leurs appartements. Des confidentes de Lucrèce nous rapportent qu'il ne se passa rien durant la première nuit de noce. Ce fut d'ailleurs le drame de ce pauvre Sforza auquel on reprocha, le pape en tête, le manque d'ardeur amoureuse.

Mariée Lucrèce ne change pas son existence. Autour d'elle pourtant on s'agite. Surtout césar, le frère turbulent, qui est nommé par son père archevêque. Il devient l'éminence grise du Vatican, l'homme le plus influent de la péninsule. Il suit de prés le mariage de sa soeur et le moins qu'on puisse dire c'est que ce 'est pas le grand amour entre beau-frère. D'ailleurs César n'aimera aucun des maris de Lucrèce, d'aucuns diront même qu'il est amoureux de sa soeur...

A Porticu, la retraite dorée de Lucrèce, il y a du nouveau, Giullia, son amie et confidente accouche d'une petite fille : Laure.

Le père n'est autre qu'Alexandre VI, c'est donc la petite soeur de Lucrèce.

A cette époque, Lucrèce fait la connaissance d'une femme qui aura une grande influence sur elle, Sancia, femme de son frère Geoffrey. Sa belle soeur vient de la cour de Naples, à coté de laquelle le Vatican fait figure de gentille chaumière. La napolitaine fait scandale à Rome, Lucrèce set séduite par cette femme qui provoque les hommes, caresse son mari en public, et ne se gène pas pour le tromper avec le premier séducteur venu. Devenues amies les deux jeunes femmes font les quatre cent coups, défrayent la chronique romaine pourtant large d'esprit.

Un jour lors d'un office religieux, nos deux donzelles s'ennuyaient à mourir, l'une d'elles proposa un peu d'amusement et elles allèrent s'assoir sur les sièges réservés aux chanoines. Emois dans tout le Vatican et début de la réputation douteuse de Lucrèce.

Dans le même temps des jeux plus dangereux se préparent. La famille Sforza se range du côté de la France à propos d'un duché, s'opposant ainsi aux volontés de César Borgia. Le pauvre Jean doit choisir son camp, mais César ne lui laisse pas le choix et décide de l'éliminer, Lucrèce le prévient à temps et il peut s'enfuir. Elle ne le reverra jamais. Lucrèce à sans doute compris à ce moment, que le seul homme qui compte et intervient dans sa vie, c'est son propre frère.

L'amour au couvent

Le 06 juin 1497, Lucrèce entre au couvent de San Sisto. Pour quelle raison ? Personne ne le sait vraiment. Officiellement un grand désir de vie religieuse. Mais les évènements qui précédent sa retraite et surtout ceux qui suivent, font penser que César l'y a fortement poussée.

14 juin 1497, Jean Borgia, le frère, est retrouvé mort dans le Tibre. Diagnostic : 9 coups de poignard. Tous les regards se tournent vers la terrible famille. Qui a osé. Jean avait beaucoup d'ennemis. On pense à Jean Sforza qui ne pouvant atteindre César se venge sur son frère. Pourtant très vite on soupçonne le plus jeune frère Geoffrey Borgia dont la femme était la maîtresse de Jean et de César. Les règlements de compte dans la famille Borgia font trembler tout Rome, et Lucrèce préfère rester au couvent.

D'ailleurs sa vie n'est pas aussi ennuyeuse que l'on pourrait le penser. Elle voit régulièrement un certain Perotto. Il devient son amant. Sa mission consistait à préparer les termes du divorce de Lucrèce. Finalement Sforza devra déclarer qu'il n'a jamais eu de relations conjugales avec Lucrèce et qu'il était physiquement incapable d'honorer sa femme. De son coté Lucrèce déclarera qu'elle est encore vierge, serment bien aventureux après le passage du joli Perotto. Un peu plus tard on retrouvera également le corps du jeune Perotto, dans le Tibre. (très à la mode à cette époque.)

Il n'est pas seul à terminer dans le Tibre, ses assassins ont fait coup double en y jetant également Sancia, la confidente de Lucrèce.

César se défend à peine, mais Alexandre VI commence à s'inquiéter des agissements de son fils sans pour cela le destituer.

Lucrèce amoureuse.

De nouveau on cherche un mari pour Lucrèce. Tâche plus ardue à cause de sa réputation d'une part, et à cause des fins tragiques de ses amants et maris d'autre part. Ce sera finalement le frère de Sancia, Don Alphonse d'Aragon, âgé alors de 17 ans qu'on choisira.

Lorsque les deux fiancés se voient pour la première fois, ce fut le coup de foudre. Il est très beau et intelligent, ce qui agace déjà au plus haut point César. Mais celui-ci s'absente de Rome pendant plusieurs mois, il sera en France où il se mariera. Est-ce un hasard ?

Durant cette période, Lucrèce est très heureuse. Tout se gâte pourtant, les relations entre Naples et Rome se dégradent et le couple préfère s'éloigner de l'agitation politique. Mais, César revient et il va tout faire pour séparer le couple.

Le 13 juillet 1500, Alphonso se rend au Vatican, dans une ruelle, il est attaqué par trois hommes qui le poignardent, mais ne peuvent le tuer, Alphonso en réchappe de justesse. Un mois plus tard, César vient le voir au sortir de sa convalescence et lui dit " Ce qui ne s'est pas fait au dîner, peut se faire au souper ". Le souper arrive deux jour plus tard. Au menu strangulation et coups de poignard.

Le chef cuisinier: César lui même.

Alexandre VI étouffe l'affaire et fait enterrer son gendre le plus discrètement possible. La vie reprend son cours, César part guerroyer, Lucrèce se remet de son chagrin dans les bras d'autres amants..

De nouveau elle est à marier et de nouveau quelques prétendants se présentent. Alexandre VI et César ont déjà fait leur choix, mais l'affaire sera difficilement conclue. Il s'agit ce coup-là de Alphonse d'Este, fils du Duc de Ferrare, veuf. Sa famille est l'une des plus illustres d'Europe et les Borgia seraient heureux de croiser leurs blasons. Les tractations vont durer des mois, le parfum de scandale qui rôde à Rome ne plait pas aux d'Este.

Finalement mariage il y aura, et le Vatican sera de nouveau en fête. César brillera pas ses audaces et son fameux " bals des châtaignes" .

Les bâtards du pape

A cette même époque un nouveau scandale éclate. Le pape publie deux bulles, dans la première, on apprend l'existence de Jean Borgia, 3 ans, considéré comme le fils illégitime de César. Dans la seconde, l'enfant n'est plus de César, mais de Lucrèce. Alexandre VI le considère comme le sien.

Qu'en est-il en réalité ? Il est admis que la mère est bien Lucrèce, mais qui est le père ?

Revenons trois ans en arrière, Lucrèce est au couvent, séparée de son premier mari, et les seuls hommes qu'elle ait vus, ce sont Perotto, César ou son père Alexandre VI. Perotto étant mort, le père serait donc, soit César, soit Alexandre VI.

Choquant certes, mais sans doute vrai, tant les soupçons d'inceste avec le frère et le père sont apparents pour tout Rome.

Duchesse de Ferrare

Mariée pour la troisième fois, Lucrèce doit cette fois quitter Rome, et s'installer à Ferrare. Elle y vivra une vingtaine d'années avec un mari qui passait plus de temps à courir les courtisanes, que de s'occuper de sa femme.

Entourée de gens peu favorables aux Borgia, Lucrèce se morfond et ne peut compter que sur très peu d'amis. L'un d'eux est poète et devient son amant, ce sera la seule parenthèse connue de sa vie monotone ponctuée de fausses couches.

C'est aussi la fin d'une époque. Alexandre VI meurt en 1503. Le nouveau pape Jules II s'en prend aux possessions des Borgia et chasse César de Rome.

Celui-ci se réfugie à Naples où il est fait prisonnier puis emmené en Espagne.

Lucrèce, qui aime toujours son frère, essaie en vain de le faire libérer, peine perdue, César meurt en 1507.

Lucrèce ne s'en remet pas et devient de plus en plus religieuse.

Seule joie dans sa retraite, son fils, dont la naissance avait fait scandale, et qui la rejoint. Au terme d'une très douloureuse maladie, Lucrèce Borgia meurt le 24 Juin 1519 à l'âge de 39 ans.

Pour nananews.fr : Y. Benini.