La piraterie Barbaresque en Méditerranée XVIe-XIXe
La piraterie Barbaresque en Méditerranée XVIe-XIXe siècle
Quand l’histoire rejoint l’actualité…
«Pour les pirates maures, au début, la piraterie est plus une forme de djihâd, une sorte de guerre sainte maritime contre les chrétiens qu’une source de profits»
Roland Courtinat (éditions Dualpha)
Roland Courtinat est né à Alger en 1927. Après des études au lycée Bugeaud puis à la Faculté des sciences d’Alger, il commence sa vie professionnelle dans la société algérienne des Entreprises Léon Chagnaud, comme chef de fabrication des canaux d’irrigation en béton armé. Son parcours professionnel le conduit de Rouen à Marseille où il occupe un poste d’ingénieur au Dragage et Travaux Publics.
En 1984, il retrouve sa ville natale après avoir été nommé ingénieur sécurité pour tous les chantiers de la société en Algérie.
Il rentre en France en 1986 pour prendre sa retraite. Il se passionne alors, au travers de ses lectures, à l’histoire de la piraterie barbaresque ayant comme base essentielle la régence d’Alger.
Débutant par l'historique de la piraterie que l'on peut dater des débuts de la navigation (4 à 5 mille ans avant notre ère), l’auteur fait la distinction entre un «mCorsaire», mandaté par un souverain pour « piller un navire ennemi » et un « Pirate », agissant pour son propre compte, pillant tout navire et faisant le commerce d’esclaves.
Dans son ouvrage, Roland Courtinat aborde plus spécifiquement la piraterie et l'esclavage organisés durant des siècles par la Régence Turque d'Alger. Pour lui, cette « Piraterie » était à ses débuts une forme de « djihad », sorte de guerre maritime contre les chrétiens qui les avaient chassés d'Espagne : « Après la chute de Grenade en 1492, la Reconquista est terminée. Beaucoup de Maures refusent de vivre dans un monde chrétien et se réfugient en Afrique du Nord, base de départ de leurs ancêtres, le cœur rempli de ressentiment contre la chrétienté, avec un désir de revanche. Sur place, le peuple berbère souffre de la défaite de l’islam andalou. L’émotion berbère, attisée par les marabouts, explique la piraterie, car faute de pouvoir lever des armées à la reconquête de l’Andalousie, les navires maures vont semer la terreur et la désolation sur les côtes ibériques. »
La piraterie deviendra au fil des siècles «Brigandage» et les soldats de l'islam des «pillards barbaresques» soutenus, voire encouragés, par les différents Deys d'Alger car source de richesses pour la Régence : « L’essor pris par la piraterie étant devenu redoutable, les pirates s’associent entre eux, puis avec le souverain turc d’Alger. Avec l’accord du souverain concerné, la piraterie devient alors une guerre maritime de prééminence religieuse entre l’islam et la chrétienté. Mais ce n’est pas la seule motivation, car apparaît aussi la notion de profit. La Régence d’Alger ne possède aucune économie publique et ne peut subsister que par la piraterie qui lui procure l’équilibre de son budget par la vente des marchandises capturées sur les navires arraisonnés, et, bien sûr, la vente des esclaves. La piraterie barbaresque, comme la piraterie chrétienne, s'intègre dans le contexte des opérations guerrières menées de part et d'autre. C'est par la suite que les écumeurs des mers saisissent tout le profit que la Méditerranée peut leur apporter.»
Durant tout le XVIe siècle, la piraterie barbaresque est souveraine dans toute la Méditerranée voire même au-delà du détroit de Gibraltar et jusqu'en Islande. Du XV au XVII siècle, toutes les opérations punitives tentées contre la Régence d'Alger se révéleront désastreuses, principalement celle de Charles Quint en 1541. Ce n'est qu'au XIX siècle que les puissances européennes réunies, décidèrent de mettre fin à cette piraterie mandatant la France et l'Angleterre. Seule la France agira. En janvier 1830, la décision est prise en Conseil des Ministres et approuvée par le Roi Charles X. En juin 1830, débarquant et investissant la Régence Turque, la flotte et les troupes françaises mettront fin à la « Piraterie Barbaresque. »
De jour comme de nuit, sans trêve et sans relâche, les raïs d'Alger sillonnent toutes les mers à bord de leurs navires. Leur haine des chrétiens aboutit impitoyablement à une impressionnante série de coups de mains, de harcèlement contre les convois maritimes de transport de troupes et de pèlerins chrétiens à partir des côtes de Barbarie. Au-delà de la piraterie proprement dite, ce repaire de pirates qu'était Alger attirait les trafiquants sans scrupule qui se chargeaient de rachat à vil prix des cargaisons capturées et des victimes infortunées qui finissaient aux fers sur les bancs de chiourme, au bagne et vendues au plus offrant sur le marché des esclaves.
La Régence d’Alger
Au début du XVIe siècle, le Maghreb est une mosaïque de roitelets plus ou moins indépendants. Certains même payent tribut à l’Espagne. Après bien des péripéties, Kheir-ed-Din, l’un des frères Barberousse se rend maître d’Alger. Très habilement, il offre au sultan de Constantinople la souveraineté de son nouveau territoire. Le sultan accepte d’autant plus aisément que cette suzeraineté lui permet de mettre un pied dans le bassin méditerranéen occidental. C’est ainsi qu’Alger devient la Régence d’Alger, possession turque, qui le restera jusqu’en 1830, soit 312 ans plus tard.
« La plupart de ces capitaines-pirates, les raïs, sont des renégats issus des provinces misérables du pourtour méditerranéen. D’origine chrétienne ayant renié leur foi, ils sont recrutés par leurs aînés, souvent leurs ravisseurs. Le frère bénédictin de Haëdo, lui-même captif à Alger, dénombre en 1612, parmi les 35 principaux raïs d’Alger, 24 d’origine chrétienne. Ils sont réunis dans une corporation, la Taïffa, qui, avec l’Odjak de la milice des janissaires, forment les deux institutions dominatrices dans la Régence turque d’Alger. C’est la Taïffa qui, par ses prises, entretient la prospérité de la ville et de ses finances. C’est la Taïffa qui élit ou exécute à sa guise les deys d’Alger.»
Pas d’esclavage sans piraterie…
Miniature de Mohammed Racim
« Le pirate fait des prisonniers qu’il vend ensuite sur le marché des esclaves ou qu’il garde dans sa part de prise pour compléter les rameurs de sa chiourme. En 1580, de Haëdo estimait à 25 000 le nombre d’esclaves chrétiens détenus à Alger. Le père trinitaire Dan en dénombrait 30 000 en 1634… »
Le dernier acte de piraterie remonte à 1823. L’Europe ne pouvait plus supporter la piraterie et l’esclavage en Méditerranée, champ d’action propice aux rapines, à la traite des femmes, au trafic des esclaves. Presque toutes les interventions navales contre la Régence d’Alger s’étaient soldées par des échecs. Ce n’est qu’à la réunion des puissances européennes à Aix-la-Chapelle en 1819, que le congrès mandate les gouvernements anglais et français pour notifier au dey d’Alger la volonté de l’Europe de voir supprimée la piraterie. Le dey d’Alger se moque de cet ultimatum. Après le « coup de l’éventail » donné au consul de France à Alger en 1827, le gouvernement français décide d’une intervention militaire.
« Contrairement à l’imagerie d’Épinal qu’on veut bien lui donner, l’expédition française n’est donc pas un honteux prétexte pour coloniser une contrée paisible et sans défense.
La présence française s’est faite en Algérie avec des généraux qui avaient servi dans les armées de la Révolution, puis de l’Empire. De Cadix à Moscou, ces soldats français libéraient les peuples opprimés d’Europe au nom de la Liberté et des Droits de l’Homme. Arrivés à Alger, leur premier acte a été de détruire les quartiers pénitentiaires tristement célèbres, se souciant peu de la conservation de vestiges qui symbolisaient à leurs yeux la société médiévale qu’ils avaient partout combattue. »
Bien des pirates se sont installés en Provence pendant la totalité du Xe siècle. On leur doit le Cannet des Maures, le massif des Maures, la forêt des Maures.
Notes annexes.
De 1500 à 1800, la côte barbaresque du Maroc à la Libye fut le foyer d’une industrie des plus florissantes, celle du rapt de blancs européens et chrétiens en Méditerranée, alimentant ainsi l’exploitation et le commerce des esclaves. Tous les spécialistes évaluent leur nombre à 1 million et 250 000 pendant cette période.
Ces pirates qui ont fait de la Méditerranée “la mer de la peur” sont de véritables riches seigneurs. Certains d’entre eux peuvent posséder de belles villas et jusqu’à 3000 esclaves chrétiens. On les nomme les raïs. Leurs prisonniers sont vendus sur les marchés de Tunis ou d’Alger s’ils sont pauvres. Les riches, les nobles les Juifs ou les religieux peuvent être libérés s’ils paient une rançon. L’intervention de nombreux intermédiaires alimente un fructueux commerce qui les enrichit à tous les niveaux.
Miguel de Cervantes auteur de don Quichotte, capturé au large de Rosas lors de son retour de Naples avait été déporté comme esclave au bagne d’Alger avec son frère Rodrigo le 26 septembre 1575. Après quatre tentatives d’évasion, il fut libéré contre rançon en septembre 1580 après 5 ans de captivité.
Saint Jean de Matha (1160-1213) provençal d’origine espagnole, fondateur de l’Ordre de la Sainte-Trinité et de la Rédemption des captifs, racheta des dizaines de milliers d’esclaves des barbaresques d’Afrique du Nord, parmi lesquels se trouvait l’écrivain Cervantès. Un tiers des revenus des écoles et des hôpitaux qu’il avait créés étaient consacrés aux rançons.
C’est à l’initiative de l’abbé Grégoire que fut votée pour la première fois l’abolition de l’esclavage, le 16 pluviôse de l’an II (1794). Après avoir été gardien du troupeau familial près de Dax dans les Landes, Vincent-de-Paul fut ordonné prêtre en 1600, après 7 ans d’études. Partant de Marseille en 1605 où il avait touché un modeste héritage et se dirigeant vers Narbonne par voie maritime, il fut capturé par des barbaresques et vendu comme esclave à Tunis.
Après deux ans de captivité, il réussit à s’évader et retourner en France. Il fut alors aumônier des galériens, des enfants trouvés et des paysans ignorants. Créateur d’institutions hospitalières, il fut canonisé en 1737.
En 1846, Ahmed Bey I fit une première tentative de réduction de l’esclavage, mais ce n’est qu’après le décret français de 1890 que ce fléau disparut définitivement en Tunisie.