La-Croix.com
23/10/12
Les scientifiques sous le choc du jugement de L’Aquila
La condamnation, lundi 22 octobre, par le tribunal de L’Aquila, de sept membres de la commission italienne des grands risques à six ans de prison pour avoir sous-estimé le danger avant le séisme meurtrier a entraîné la démission du président de la commission et suscité de multiples réactions dans le monde entier.
Plusieurs scientifiques européens se sont dits « choqué s» par la condamnation infligée à leurs collègues italiens, voyant dans ce jugement « un précédent très dangereux ». De son côté, l’influente ONG américaine Union of Concerned Scientist a qualifié la sentence d’« absurde » et « dangereuse » .
Cette affaire montre le poids croissant pris par la parole des experts dans nos sociétés, qui s’accompagne du développement corrélatif d’un débat sur leur responsabilité dans la prévention des risques.
L’onde de choc de la décision du tribunal de L’Aquila a été ressentie jusqu’aux États-Unis. « Un tribunal italien a condamné sept scientifiques à six ans de prison pour ne pas avoir prédit un séisme, ce qui est absurde et dangereux », s’est émue ainsi, dans un communiqué publié mardi 23 octobre, l’association de scientifiques Union of Concerned Scientists.
Sans précédent, la décision a soulevé un tollé dans la communauté scientifique européenne, inquiète de voir paralysée la prise de parole des scientifiques. D’autant que la peine prononcée – six ans de prison ferme pour « homicide par imprudence » – est particulièrement sévère.
Risque de repli des scientifiques
« Cette décision risque d’entraîner un repli de la société scientifique, s’inquiète le politologue Daniel Boy, spécialiste notamment des questions environnementales. On sollicite de plus en plus les scientifiques pour donner leur avis, on les met dans la position de prendre des décisions, mais, quand ils se trompent, il y aurait de peines de prison à la clé ?
Je ne vois pas pourquoi ils consentiraient, dès lors, à participer à des commissions ou des groupes de travail. » Pour le chercheur, seule la responsabilité des politiques, élus et responsables devant le peuple peut être engagée. Pas celle du chercheur, « qui a le droit de se tromper ! ».
« Il y a un grand émoi dans la communauté scientifique, qui se comprend parfaitement , ajoute Jean-Michel Besnier, professeur de philosophie à l’université Paris IV. On demande aux scientifiques de produire du certain avec de l’incertain, de faire une prédiction sur un phénomène qui ne peut qu’être probable, en l’espèce un séisme, et ensuite, on les condamne si la catastrophe survient. »
Le droit à l’erreur
Une demande sociale qui est, selon lui, contraire à l’essence même du travail du scientifique « dont l’objet est de décrire le factuel » . Là encore, le philosophe réclame pour les scientifiques le droit à l’erreur : « Un scientifique a même le droit d’être mauvais, cela ne peut pas être pénalement répréhensible. »
La responsabilité de sélectionner les chercheurs les plus compétents revient en effet, selon lui, aux agences ou aux organismes qui sollicitent leur avis ou mettent en place des commissions. « Il s’agit d’un précédent très dangereux et je crains que cela ne décourage d’autres scientifiques de donner leur avis sur les hasards de la nature », résume Richard Walters, de l’université d’Oxford, interrogé hier par l’AFP.
« Cela dit, il faut y regarder de plus près, estime Arnaud Gossement, avocat spécialisé en environnement. Ces chercheurs n’ont pas été condamnés en tant que scientifiques purs, mais pour leur rôle dans une commission administrative chargée de conseiller le gouvernement italien sur les risques sismiques ; ce qui est de mon point de vue tout à fait différent. »
La délicate question de l’expertise
Dans cette affaire, c’est au fond à nouveau la délicate question de l’expertise qui est posée. « Un scientifique fait des travaux de recherche, il avance dans le doute, explique Michel Parigot, membre de l’Association de défense des victimes de l’amiante, et par ailleurs chercheur en mathématiques. Si on lui demande son opinion, il sort du strict domaine de la recherche scientifique pour entrer dans celui de l’expertise. Et là, il ne peut plus se contenter de dire qu’il ne sait pas, il pèse sur les décisions. »
« Quand vous appartenez à une commission d’experts, vous êtes confrontés à d’autres facteurs que votre seul domaine de connaissance scientifique, précise Gérard Arnold, directeur de recherche à l’institut des sciences de la communication du CNRS. Par exemple, la prise en compte de la sécurité des populations. »
« Responsabilité morale »
Choqué dans un premier temps par la sévérité de la décision rendue à l’encontre des sismologues italiens, le chercheur considère qu’il est cependant normal de s’interroger sur la responsabilité de scientifiques ayant pris la casquette d’experts. « Si la science ne vous permet pas de dire dans ce cas-là : “Oui, un séisme va arriver”, elle ne vous permet pas non plus de dire : “Dormez tranquilles”, à des populations qui vivent avec une faille sismique sous les pieds ! »
Incorporé dans une fonction de conseil aux gouvernants, le scientifique ne peut s’affranchir du poids de sa parole. « C’est vrai qu’il a à tout le moins une responsabilité morale , reconnaît Jean-Michel Besnier. Il doit se rendre compte qu’on lui reconnaît une parole autorisée sur le sujet et que sa prise de parole, auréolée de son statut de scientifique, va avoir des effets importants. »
Résister aux groupes de pression
Pour François Desriaux, président de l’Andeva, le scientifique doit avant tout rester vigilant face aux sirènes des groupes de pression. « Beaucoup d’industries utilisent la caution des scientifiques pour faire avancer leur cause » , rappelle-t-il.
Et si, dans l’affaire de l’amiante, « aucun scientifique n’a été mis en cause en tant que tel », en revanche, un professeur de médecine du travail, membre du comité permanent amiante, a été mis en examen dans l’instruction en cours en France. « On lui reproche d’avoir participé à cette entreprise de désinformation qu’était le comité amiante, alors que ses connaissances scientifiques auraient dû l’alerter », précise François Desriaux.
Pour le spécialiste de la gestion de crise, Claude Gilbert, l’affaire de L’Aquila révèle encore une fois un dysfonctionnement des sociétés actuelles face à la gestion des risques. « On focalise trop sur l’aléa, pas assez sur la vulnérabilité, pointe le politologue. En clair, un séisme dans un désert ne fait pas de dégâts. Le plus souvent, on va chercher des scientifiques que l’on utilise comme des voyants pour prédire l’improbable, au lieu de s’interroger sur la solidité des habitations en zone sismique ou l’organisation pertinente des secours. »
Par LEXPRESS.fr
publié le 24/10/2012L’express
Allemagne: un mémorial dédié aux Roms victimes de l'Holocauste
Angela Merkel inaugure, ce mercredi à Berlin, un mémorial dédié aux Roms victimes du génocide nazi, durant la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, la plus grande minorité d'Europe fait encore l'objet de nombreuses discriminations.
Plus de 65 ans après l'Holocauste, la chancelière allemande Angela Merkel inaugure ce mercredi à Berlin le mémorial aux Roms victimes du nazisme alors qu'ils subissent toujours racisme et discrimination dans de nombreux pays d'Europe.
Près de 500 000 Sinti et Roms d'Europe, considérés comme "racialement inférieurs", ont été assassinés sous le IIIème Reich, selon des estimations officielles.
Situé face au parlement allemand, le mémorial aux Sinti et Roms, conçu par l'artiste israélien Dani Karavan, est constitué d'un puits avec au centre une stèle sur laquelle repose chaque jour une fleur fraîchement cueillie. Il est installé à proximité de celui consacré aux victimes de la Shoah et de celui dédié aux homosexuels tués par les nazis.
Un génocide reconnu en 1982
"L'Holocauste contre les Roms -ou 'Porajmos' qui signifie littéralement 'dévorer'- a longtemps été nié et n'a pas fait l'objet de recherches historiques, non seulement en Allemagne, mais aussi dans d'autres pays, comme la France de Vichy ou les pays d'Europe de l'est qui ont participé aux persécutions", estime l'historien Wolfgang Wippermann de l'Université libre de Berlin.
Afin d'identifier les individus Roms, catholiques pour la plupart, des "chercheurs raciaux" de l'Allemagne nazie ont enregistré toute une série de caractéristiques et établi des généalogies remontant parfois jusqu'au 16ème siècle. A Auschwitz ou Ravensbrück, ils ont servi de cobayes pour des expériences médicales, explique Romani Rose, président du Conseil central allemand des Sinti et Roms.
La RFA n'a reconnu officiellement qu'en 1982 ce génocide, avec un geste du chancelier Helmut Schmidt. Et en 1997, le président Roman Herzog a souligné pour la première fois qu'il avait le même motif raciste et avait été perpétré par les nazis avec la même résolution et le même volonté que l'extermination des juifs.
La situation des Roms en Europe
Actuellement, 11 millions de Roms vivent sur le continent européen, dont sept millions dans l'UE, la plupart en Europe centrale et du sud-est, en Roumanie, Bulgarie, Hongrie et Slovaquie.
La plus grande minorité ethnique d'Europe est aussi la plus pauvre, subissant toujours discriminations et racisme. Le président du Conseil central allemand des Sinti et Roms dénonce notamment leur situation en Roumanie -où ils ont été affranchis de l'esclavage en 1856-, en Bulgarie, Hongrie, Slovaquie, mais aussi en France et en Italie, qui ont opéré des tours de vis sécuritaires en démantelant des camps jugés illégaux.
En Allemagne vivent actuellement quelque 70 000 Roms de nationalité allemande. "Ce ne sont pas des nomades et leur famille est parfois installée depuis 600 ans dans notre pays", indique l'historien Wolfgang Wippermann. Ils font partie, depuis 1997, des quatre minorités protégées en Allemagne, comme les Danois et les Frisons, installés dans le Nord, et les Sorbes, vivant dans l'est du pays.
Depuis la chute du rideau de fer, plusieurs dizaines de milliers de Roms originaires d'Europe de l'est ont également tenté leur chance en Allemagne.
Récemment, Berlin a manifesté son souhait de marquer un point d'arrêt à ces migrations, en souhaitant que soit levée l'exemption de visa pour les ressortissants serbes et macédoniens, dont beaucoup sont des Roms.